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dans le château de Gaston de Foix, il est impossible de peindre avec plus de grâce la vie oiseuse, les délices, les fêtes de cette cour. Passez-vous en Espagne, la tyrannie de Pierre le Cruel, la hardiesse de Henri de Traustamarre, le génie du Prince Noir, sont devant vous. Rentrez-vous en France, la sagesse de Charles V, son activité, son administration habile et réparatrice, sont décrites avec un soin et un sérieux que fait ressortir l'enjouement habituel de Froissart. Grands événements, anecdotes familières, nations diverses, Anglais, Flamands, Français, tout se mêle et se succède sans confusion; et jamais les couleurs de l'historien ne sont semblables, quoiqu'il soit toujours naïf, naturel, abandonné. » Il n'y a rien à ajouter à ce jugement, et on ne peut rien en retrancher; nous n'avons qu'à l'appuyer de quelques preuves.

Voici, par exemple, un tableau de peu d'étendue qui ne perdra rien à être détaché de l'immense galerie de notre peintre flamand: c'est la mort d'Yvain de Galles, traîtreusement assassiné par son chambellan, Jacques Lambe, pendant le siége de Mortagne, que ce brave étranger conduisait au profit de Charles V. « Yvain de Galles avait un usage, lui étant au siége devant Mortaigne, que volontiers au matin quand il était levé, mais que il fit bel, il s'en venait devant le châtel seoir sus une tronche qui là avait été du temps passé amenée pour ouvrer au châtel; et là se faisait pigner et galonner le chef une longue espace, en regardant le châtel et le pays d'environ; et n'était en nulle doute de nul côté. Et par usage nul n'allait là avecques lui si soigneusement que ce Jacques Lambe. Et moult souvent lui avenait que il se parvestait et appareillait là de tous points. Et quand on voulait parler à lui ou besogner, on le venait là querre. Avint que le derrain jour que il y vint, ce fut assez matin, et faisait bel et clair, et avait fait toute la nuit si chaud que il n'avait pu dormir. Tout déboutonné, en une simple cote et sa chemise, affublé d'un mantel, il s'en vint là et se assit. Toutes gens en son logis dormaient, ni on n'y faisait point de gait, car ils tenaient ainsi comme pour con

quis le châtel de Mortaigne. Quand Yvain fut assis sur cette tronche de bois que nous appelons souche en français, il dit à Jacques Lambe: «< Allez-moi querir mon pigne; je me veuille ci un petit rafraîchir. » — « Monseigneur, dit-il, volontiers. » En allant querir ce pigne et en l'emportant, le diable alla entrer au corps de ce Jacques; avec ce pigne il apporta une petite courte darde espaignole à un large fer, pour accomplir sa mauvaiseté. Si très-tôt que il fut venu devant son maître, sans rien dire il l'entoise et avise, et lui lance cette darde au corps, qu'il avait tout nu, et lui passa outre, et tant qu'il chut tout mort. Quand il eut ce fait, il lui laisse la darde au corps et se part, et se trait tout le pas à la couverte devers le châtel, et fit tant que il vint à la barrière. Si fut mis ens et recueilli des gardes, car il s'en fit connaissable, et fut amené devant le souldich de l'Estrade. « Sire, dit-il au souldich, je vous ai de l'un des plus grands ennemis que vous eussiez délivré. » — « De qui ? » dit le souldich. « De Yvain de Galles, » répondit Jacques. « Et comment? » dit le souldich. « Par telle voie,» répondit Jacques. Adonc lui récita de point en point toute l'histoire, ainsi que vous avez ouï. Quand le souldich l'eut entendu, si crola la tête et le regarda fellement, et dit : « Tu l'as murdry! et saches certainement, tout considéré, que si je ne véais notre très-grand profit en ce fait, je te fairais trancher la tête, et jeter corps et tête dedans les fossés; mais puisqu'il est fait, il ne se peut défaire, mais c'est dommage du gentilhomme quand il est ainsi mort; et plus y aurons de blâme que de louange. »

A côté de cette tragique peinture, qui laisse dans l'âme une si profonde impression, nous pouvons placer comme un modèle de grâce et de noblesse la départie d'Édouard III et de la comtesse de Salisbury : « Toutes voies le roi anglais demeura tout celui jour au châtel, en grandes pensées et à grand mésaise de cœur, car il ne savait que faire. Aucune fois se ravisait; car honneur et loyauté lui défendaient de mettre son cœur en telle fausseté, pour déshonorer si vaillant dame et si loyal chevalier comme son mari était, qui

loyalement l'avait toudis servi. D'autre part, amour le contraignait si fort que elle vainquait et surmontait honneur et loyauté. Ainsi se débattit, en lui, le roi tout le jour et toute la nuit. Au matin se leva, et fit tout son ost déloger et aller après les Escots, pour eux suivre et chasser hors de son royaume; puis prit congé à la dame, en disant : « Ma chère dame, à Dieu vous recommande jusques au revenir : si vous prie que vous vous veuillez aviser, et autrement être conseillée que vous ne m'avez dit.» « Cher sire, répondit la dame, le Père Glorieux vous veuille conduire, et ôter de mauvaise et vilaine pensée et déshonorable; car je suis et je serai toujours appareillée à vous servir à votre honneur et à la moye. » Adonc se partit le roi tout confus et abaubi. »

Suivons maintenant notre chroniqueur au lit de mort de Charles V, et recueillons de la bouche du roi mourant les plus belles paroles que la sagesse ait jamais dictées dans ces heures de lucidité et de détachement qui peuvent précéder la mort, à un prince chrétien, ami de son peuple : « Mes beaux frères, par l'ordonnance de nature, je sens bien et connais que je ne puis longuement vivre : si vous recommande et rencharge Charles, mon fils; et en usez ainsi comme bons oncles doivent user de leur neveu, et vous en acquittez loyaument; et le couronnez à roi au plus tôt après ma mort que vous pourrez, et le conseillez en tous ses affaires loyaument; car toute ma fiance en gît en vous. Et l'enfant est jeune et de léger esprit, si aura mestier qu'il soit mené et gouverné de bonne doctrine; et lui enseignez ou faites enseigner tous les points et les états royaux qu'il doit et devra tenir, et le mariez en lieu si haut que le royaume en vaille mieux. J'ai eu longtemps un maitre astronomien qui disait et affirmait que dans sa jeunesse il aurait moult faire, et istrait de grands périls et de grands aventures; pourquoi, sur ces termes, j'ai eu plusieurs imaginations et ai moult pensé comment ce pourrait être, si ce ne vient et nait de la partie de Flandre; car, Dieu merci, les besognes de notre royaume sont en bon point. Le duc de Bretagne est un cauteleux homme, et divers, et a toujours eu le courage plus anglais

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que français; pourquoi tenez les nobles de Bretagne et les bonnes villes en amour, et par ce point vous lui briserez ses ententes. Je me loe des Bretons, car ils m'ont toujours servi loyaument, et aidé à garder et défendre mon royaume contre mes ennemis. Et faites le seigneur de Cliçon connétable; car, tout considéré, je n'y vois nul plus propice de lui. Enquérez pour le mariage de Charles, mon fils, en Allemagne, par quoi les alliances soient plus fortes vous avez entendu comment notre adversaire s'y veut et s'y doit marier; c'est pour avoir plus d'alliances. De ces aides du royaume de France dont les povres gens sont tant travaillés et grevés, usez-en en votre conscience, et les ôtez au plus tôt que vous pourrez ; car ce sont choses, quoique je les aie soutenues, qui moult me grèvent et poisent en couraige; mais les grands guerres et les grands affaires que nous avons eues à tous les pour la cause de ce, pour avoir la mise, m'y ont fait entendre. »

On a fait à Froissart une mauvaise querelle en lui reprochant de n'avoir point pris parti pour la France. On devrait bien plutôt s'étonner que ce bon prêtre flamand, qui ne relevait pas directement de nos rois, clerc dès sa jeunesse de la reine d'Angleterre sa protectrice, n'ait pas de prédilection plus marquée pour les Anglais. La vérité est qu'il n'a pas d'autre passion que de voir et de narrer, ni d'autre partialité que celle de l'imagination qui colore ce qui la charme. Il raconte les faits, il décrit les combats et les fêtes, il fait agir ses personnages, et, sans mêler de réflexions à ses récits, il fait naître la sympathie ou la haine, l'admiration ou l'effroi, par le spectacle qu'il met sous nos yeux. Il n'omet rien, du moins avec intention, de ce qui nous est favorable; et même n'est-ce pas lui qui maintient devant la postérité la réalité du dévouement d'Eustache de Saint-Pierre et des cinq autres bourgeois de Calais contre la critique malavisée d'un érudit français qui a voulu dépouiller notre histoire de cet épisode héroïque? Ne cherchons donc dans Froissart que la sincérité d'un témoin, et si nous voulons trouver à la même époque le sentiment

patriotique, la haine de l'étranger et la commisération aux souffrances du peuple, demandons-les à un serviteur de la France, au Champenois Eustache Deschamps.

Ce poëte, qui fut homme de guerre et magistrat, aime la justice, qu'il a dû rendre en qualité de bailli, et déteste l'Anglais, qu'il a combattu comme soldat. Il fait des vœux non-seulement pour que le sol de la France soit purgé de la présence de l'étranger, mais pour que s'accomplisse la prophétie qui annonce la destruction de l'Angleterre : Lors passeront Gaulois le bras marin,

Le povre Anglois destruiront si par guerre,
Qu'adonc diront tous passant ce chemin :
« Au temps jadis estoyt cy Angleterre.

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Deschamps se berçait de cet espoir au souvenir de Crécy et de Poitiers, et il était loin de prévoir Azincourt. C'est ce même amour de la France qui lui inspire, après ces vœux contre l'Anglais, de touchants regrets sur la mort de leur plus rude adversaire, Bertrand du Guesclin. Nous entendons ici le premier accent lyrique de la langue vulgaire :

Estoc d'oneur et arbres de vaillance,
Cuer de lyon, espris de hardement,

La flour des preux et la gloire de France,
Victorieux et hardi combattant,

Sage en vos faicts et bien entreprenant,
Souverain homme de guerre,

Vainqueur des gens et conquereur de terre,
Le plus vaillant qui oncques fust en vie,
Chacun pour vous doit noir vestir et querre :
Plourez, plourez, flour de chevalerie!

Cette strophe est le premier couplet d'une ballade, genre léger consacré à la galanterie par les troubadours et que Deschamps détourne vers la haute poésie, comme de notre temps la chanson est devenue, grâce à un autre poëte populaire et national, la rivale de l'ode. Nous pouvons rattacher à la même pensée de patriotisme intelligent l'amour du poëte pour Paris: en effet, ceux qui veulent l'unité du pays ne la conçoivent pas sans un centre où con

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