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dal, et d'être rois de fait dans leurs fiefs; les faibles, imparfaitement protégés par ceux qui devaient les défendre, tenus dans l'ignorance par ceux qui avaient charge de les instruire, frémissaient sous l'oppression et n'obéissaient pas toujours. Dès lors le droit divin des rois, la personnalité des nations, l'extinction des grands vassaux, l'allégement du joug qui pesait sur les masses, étaient nécessaires à la fondation d'un ordre nouveau. Il ne faudra pas moins de trois siècles pour arriver au but.

La crise qui devait aboutir à l'indépendance de la royauté et à l'unité nationale ne pouvait être ni de courte durée ni de médiocre labeur; mais l'épreuve fut plus longue et plus terrible que ne l'exigeait la tâche qu'il fallait accomplir. On peut dire que la France joua de malheur; car le principe qui devait avec le temps surmonter les obstacles produisit à peu d'intervalle les deux vices dont il recèle le germe, qui peuvent corrompre la vertu de l'hérédité du pouvoir, je veux dire le doute sur le droit et l'incapacité dans le droit. L'évidence du droit manqua à l'avénement de Philippe de Valois, et de là vinrent les prétentions de l'Angleterre; l'aptitude de celui qui avait le droit manqua pendant la minorité et pendant la démence de Charles VI, et par là les grands vassaux purent reprendre leurs avantages. Aussi jamais peuple n'eut à souffrir aussi longtemps des maux aussi cruels. Crécy, Poitiers, Azincourt, Bourguignons, Armagnacs, la Jacquerie, noms qu'on ose à peine. écrire, tant ils rappellent de désastres et de forfaits, et pour couronner le malheur par l'infamie, le bûcher de Jeanne d'Arc! voilà les sinistres trophées de cette lamentable époque. Cependant ces temps néfastes ne seront pas complétement stériles pour les lettres: ils nous donneront au moins un poëte noblement touché des misères du temps, et un chroniqueur qu'elles n'atteindront pas, qui remarquera à peine la peste noire et le massacre des Jacques, qui ne verra guère à Crécy et à Poitiers que les incidents d'une joute héroïque, dont l'oreille avide recueillera les bruits les plus mensongers, et dont les yeux s'arrêteront de préférence

devant les passes d'armes, les fêtes galantes, les brillantes armures de la chevalerie, dont il admire et colore les dernières et malencontreuses prouesses. D'ailleurs, dans cet orage il y aura, comme une éclaircie, le règne de Charles V, pendant lequel de nobles esprits, formés à l'école des anciens, feront quelques années plus tard, au retour de la tempête, entendre de généreuses paroles.

On sait que des premiers désastres de la guerre contre les Anglais faillit naître pour la France un gouvernement libre, où les états généraux annuellement convoqués auraient limité par le vote des subsides et la détermination de leur emploi le pouvoir de la royauté. En effet, l'ordonnance de 1355, grande charte de notre roi Jean, reconnaît tous les droits populaires compatibles avec l'existence de la monarchie. Nous n'avons pas à entrer ici dans le détail des actes et des délibérations de cette assemblée politique, orageuse comme la convention, esclave d'abord, et bientôt victime des passions populaires qu'elle avait soulevées. Elle eut ses orateurs dans Étienne Marcel, prévôt des marchands, et dans l'évêque de Laon, Robert Lecoq, dont le malheur des temps a fait des factieux devant le tribunal de l'histoire. Parmi ces orages intérieurs et ces agitations de la place publique commence à se produire l'éloquence des hommes d'État et des tribuns. Les chroniques attestent sa puissance par les effets qu'elle produit, et même nous pouvons en recueillir quelques vestiges dans le texte des remontrances adressées au roi Jean au nom de l'assemblée, quelques mois avant la bataille de Poitiers : « Il est clair et notoire que de tels officiers ont conseillé le roi par adulations, malice, fictions et simulations, et n'ont eu leur esgard en rien à la grandeur de Dieu, à l'honneur du Roi, au profit du Royaume ni à la grand misère du pueple, mais ont eu leur regard et pensée seulement à leur profit singulier, à grands possessions et richesses, et prenant grands dons du Roi et se faire donner grands dignités, de avancer leurs amis et dire au Roi peu de verité et de la misère de son pueple. Car il est vraisemblable que si les grands misères,

Histoire littéraire.

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pauretés et douleurs du pueple, les grands injustices qui estoient et sont faictes, et le grand défaut des officiers qui estoient mis par le Royaume et les très-grands périls en quoi le Roi et le Royaume estoient et sont en doute de venir par ses ignorances, négligences et défauts dessus enoncés eussent été bien et duement dits et exposés au Roi par lesdits officiers, comme ils estoient tenus et que le Roi s'en attendait à eux, les trois Etats tiennent fermement que le Roi y eust mis tel remède que le Royaume ni son pueple ne fussent pas ainsi désolés, mais il est tout certain et tout sûr que les gouverneurs et les principaux ne fesoient que passer temps, dissimuler et vendre à leur profit singulier et de leurs amis, et tel qui a plus haute dignité pensoit transporter hors du Royaume ses grands richesses, et laisser le Roi et le Royaume en tel estat comme il pourroit estre, et de ces racines sont venus maints grands maus au gouvernement du Royaume et sont encore à venir, si bon et brief remède n'y est mis. »>

Ces griefs et d'autres semblables fournissaient de matière les doléances et les invectives qui aboutirent au bouleversement de la France. Marcel, qui s'était annoncé comme un grand citoyen, irrité par les obstacles, fut entraîné par une pente fatale de la violence à la trahison; les paysans, exaspérés par la misère, avilis par le servage, aveuglés par l'ignorance, s'étaient mis de la partie : voulant être libres avant d'être hommes, ils s'étaient rués comme des bêtes fauves contre leurs seigneurs, qui les abattirent. Ce ne fut pas une guerre, mais une chasse. L'impression de terreur laissée par ces effroyables convulsions des communes et des campagnes donna à la sagesse cauteleuse et à l'ambition prudente de Charles V les moyens de réparer les pertes de la royauté et les ruines du royaume. Le tiers état, qui avait trop entrepris, se laissa, sans mot dire, dépouiller de sa part de souveraineté, trop heureux lorsqu'il parvenait à maintenir les priviléges des communes. Ainsi les menaces et le danger revinrent du côté des grands, qui déchirèrent l'autorité par la conflit de leurs ambitions, qui dissipèrent fol

lement les ressources de l'État par leurs prodigalités, qui défendirent mal le bien qu'ils usurpaient en jouant le sort des batailles par de vaines bravades, jusqu'au moment où le peuple, dans son inépuisable loyauté, dans son indomptable courage, prenant en compassion la royauté avilie, la France déjà démembrée et dans les affres de la mort, rendit, avec l'aide de Dieu et sous les auspices de Jeanne d'Arc, à la royauté la plénitude de ses pouvoirs, au pays son indépendance.

Toutes les phases de cette maladie de l'État, qui ne dura pas moins de cent années; les premières et violentes atteintes du mal sous Philippe de Valois et le roi Jean; la convalescence sous Charles le Sage; la terrible rechute sous son successeur, deux fois mineur, par l'âge d'abord, et plus tard par la démence; les effrayants symptômes de l'agonie, et enfin le miracle de la guérison, sous Charles VII; nous ont été racontées par Jean Froissart et son continuateur Monstrelet. Nous n'aurons pas à nous occuper de Monstrelet, 'qui n'est pas un écrivain, mais un greffier, bon à consulter, impossible à lire; mais il faut nous arrêter devant Froissart, qui sait écrire et peindre. Froissart, né vers 1337, à Valenciennes, fils d'un peintre d'armoiries, reçut comme un don de nature cette curiosité infatigable, cette passion de voir, de savoir et de raconter qui est la prédestination des historiens. Engagé dans l'église en vue des bénéfices qu'elle procurait et de la liberté que les mœurs du temps assuraient aux clercs, il n'en fut pas moins chevalier à sa manière. Il se mit en quête, non du saint Graal, et pour cause, mais d'aventures et de spectacles propres à charmer son imagination et à satisfaire son impatience de décrire et de conter. D'humeur enjouée et galante, causeur aimable, poëte facile et gracieux, partout bien venu, il profita de la confiance qu'il inspirait pour connaître la vérité sur les hommes et sur les choses.

Au reste, nous avons sur lui-même son propre témoignage, qui vaut mieux que toutes les conjectures. «< Or, dit-il, considérez, entre vous qui me lisez ou me lirez,

ou m'avez lu, ou orrez lire, comment je puis avoir su ni rassemblé tant de faits desquels je traite et propose en tant de parties. Et, pour vous informer de la vérité, je commençai jeune, dès l'âge de vingt ans ; et si, suis venu au monde avec les faits et les aventures; et si, y ai toujours pris grand plaisance plus que à autre chose; et si, m'a Dieu donné tant de grâces que je ai été bien de toutes les parties, et des hôtels des rois, et par espécial de l'hôtel du roi Édouard d'Angleterre et de la noble roine sa femme madame Philippe de Hainaut, roine d'Angleterre, dame d'Irlande et d'Aquitaine, à laquelle en ma jeunesse je fus clerc, et la servais de beaux dits et traités amoureux et, pour l'amour du service de la noble et vaillante dame à qui j'étais, tous autres seigneurs, rois, ducs, comtes, barons et chevaliers, de quelque nation qu'ils fussent, me aimaient, oyaient et voyaient volontiers, et me faisaient grand profit. Ainsi, au titre de la bonne dame et à ses coutages et aux coutages des hauts seigneurs en mon temps, je cherchai la plus grand partie de la chrétienté; et partout où je venais, je faisais enquête aux anciens chevaliers et écuyers qui avaient été en faits d'armes et qui proprement en savaient parler, et aussi à aucuns hérauts de crédence, pour vérifier et justifier toutes matières. Ainsi ai-je rassemblé la haute et noble histoire et matière, et le gentil comte de Blois dessus nommé y a rendu grand peine; et tant comme je vivrai, par la grâce de Dieu je la continuerai; car comme plus y suis et plus y laboure, et plus me plaît; car ainsi comme le gentil chevalier et écuyer qui aime les armes, et en persévérant et continuant il s'y nourrit parfait, ainsi, en labourant et ouvrant sur cette matière, je m'habilite et délecte. »

Froissart était donc né pour conter, et il contera admirablement; même il ne sera jamais surpassé pour l'aisance du récit, pour la naïveté du langage, pour la vérité du ton et la variété des couleurs : « Dans certains récits de batailles, dit M. Villemain, Froissart est véritablement homérique. On ne saurait décrire avec plus de force le choc de ces masses d'hommes d'armes qui se heurtent. Arrivez-vous

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