Obrazy na stronie
PDF
ePub

les hyperboles de Juvénal et les invectives des prophètes, est un chaos et un déluge; mais du sein de ce prodigieux fatras brillent çà et là des étincelles de génie et retentissent des accents d'un homme de bien dans le délire de la fièvre. Cette étrange sortie contre la corruption des Valois, les violences de la persécution, et les vices du clergé, de la magistrature, de la cour, ne contient pas moins de onze mille vers; tous les tons s'y heurtent, toutes les formes s'y mêlent, l'épopée, la satire, l'hymne biblique, l'idylle même, s'y confondent. M. Sainte-Beuve en a tiré, pour en orner son histoire de la poésie au seizième siècle, les portraits de Charles IX et de Henri III, sanglante satire de ces deux princes. On peut aller chercher dans le texte même l'image des guerres civiles sous les traits de la France, témoin et victime des fureurs de ses enfants et s'écriant avec désespoir :

Vous avez, félons, ensanglanté

Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté :
Or, vivez de venin, sanglante géniture;

Je n'ai plus que du sang pour vostre nourriture.

D'Aubigné n'est pas moins énergique lorsque, poussé à bout par l'opiniâtreté des méchants, il leur déclare que l'enfer n'est pas une menace mensongère, et que, parmi les supplices qui les attendent, le plus pénible sera l'assurance de l'éternité du châtiment, car, dit-il,

De l'enfer il ne sort

Que l'éternelle soif de l'impossible mort.

Il frémit lui-même de son énergie, il se fatigue des coups qu'il porte d'une main impitoyable, il a honte des infamies qu'il révèle :

J'en ai rougi pour vous, quand l'acier de mes vers
Burinait votre honte aux yeux de l'univers.

Il n'a manqué à d'Aubigné, pour être vraiment un poëte. que de savoir se borner et se contenir; mais il est prolixe

et déclamatoire. Cet esprit bizarre et puissant a mis ailleurs bien du fiel dans la Confession de Sancy, satire amère des convertis et des convertisseurs, beaucoup d'esprit et de la gaieté dans les Aventures de Faneste, et quelque impartialité dans sa volumineuse Histoire universelle. Mais nulle part il n'a plus de verve et de style que lorsqu'il parle de lui-même, avec une sincérité de Gascon, dans ses Mémoires.

Nous n'avons pas à rompre l'alliance que Boileau a établie entre Desportes et Bertaut, ni à protester contre le jugement qu'il a porté sur leurs œuvres poétiques. Dociles tous deux, par l'intention, aux leçons de Ronsard, ils ont été préservés de ses écarts par la tiédeur de leur tempérament. Ce sont des poëtes lymphatiques, de fibre molle et non sans grâce, d'une teinte dont la pâleur est relevée d'une couche de fard discrètement étendue; tous deux fort avant dans la faveur royale, l'un sous Henri III, l'autre sous son successeur, tous deux chargés de bénéfices ecclésiastiques et de couronnes poétiques, tous deux s'annonçant par des vers galants, où leur veine brille et s'épuise pour aboutir à la paraphrase languissante et décolorée de la poésie inspirée de David. Malherbe avait raison, au fond, lorsqu'il disait à Desportes: « Votre potage vaut mieux que vos psaumes; » car la table de l'opulent et sensuel abbé de Tiron, Bonport, Aurillac et autres lieux, était excellente, et les vers édifiants de sa vieillesse n'avaient pas le même parfum. Ce qui reste de gloire littéraire à Desportes lui vient de ses jeunes années, du temps où il composait les couplets que répétaient tous les amoureux, et que fredonnait à Blois Henri de Guise quelques minutes avant de tomber sous le poignard de Valois :

Rosette, pour un peu d'absence,
Votre cœur vous avez changé;
Et moi sachant cette inconstance,
Le mien autre part j'ai rangé.
Jamais plus beauté si légère
Sur moi tant de pouvoir n'aura :
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s'en repentira.

C'est encore une inspiration de jeunesse, bien qu'elle soit imitée de l'Arioste, que la gracieuse boutade contre la nuit, si souvent citée et qui commence par ces vers:

O nuit ! jalouse nuit contre moi conjurée,
Qui renflammes le ciel de nouvelle clarté,
T'ai-je donc aujourd'huy tant de fois désirée,
Pour estre si contraire à ma félicité?

Toute cette première floraison de l'esprit de Desportes conserve encore, après tant d'années, de la grâce et de la fraîcheur. Bertaut, moins vif, moins dégagé que Desportes, n'a pas eu, au même degré, ces heureuses rencontres; il n'a laissé dans la mémoire des amateurs que deux passages de douce mélancolie. Voici le premier :

Mes plaisirs se sont envolez,

Cedans au malheur qui m'outrage;
Mes beaux jours se sont escoulez
Comme l'eau qu'enfante un orage,
Et s'escoulans ne m'ont laissé
Rien que le regret du passé.

Le second est encore un regret, mais il est immortel. Nos mères, dit M. Sainte-Beuve, le savent encore et l'ont chanté :

Félicité passée

Qui ne peux revenir,

Tourment de ma pensée,

Que n'ai-je en te perdant perdu le souvenir !

Une mélodie qui charme l'oreille, une perle qui caresse les yeux, un air qui réjouit le cœur, un diamant qui scintille, il ne faut pas plus que cela pour porter un nom à travers les temps! Voilà de quoi tuer de dépit ceux qui ont sué et ahané sur de longs ouvrages, sans pouvoir espérer un regard de la postérité.

C'est bien un peu le sort de Garnier, dont les œuvres sont délaissées, dont le nom est à peine connu, quoique fidèlement enregistré par les historiens du théâtre, mais qui n'en

a pas moins le mérite, dans ces tragédies et tragi-comédies aujourd'hui oubliées, d'avoir habituellement évité l'emphase et la platitude, sans toutefois atteindre l'élégance ni se soutenir dans la noblesse, et d'avoir, dans des dialogues bien coupés et dans des récits intéressants, dérouillé et parfois assoupli la langue que parlera Corneille. Donnons encore un souvenir au Normand Vauquelin de La Fresnaye, qui a mis de la grâce et de la délicatesse dans ses poésies pastorales, de la gravité et de l'élévation dans des satires et épîtres morales à l'imitation d'Horace, et qui de plus a renouvelé l'art poétique du poëte latin, en l'honneur de l'école de Ronsard. Ce code poétique, en vers un peu languissants, a été connu de Boileau, qui n'a pas dédaigné d'en tirer quelques hémistiches.

En terminant cette rapide revue des poëtes qui forment le cortége et la suite de Ronsard, il convient de rappeler que cette école généreuse, bruyante et féconde n'a pas été inutile aux progrès de la littérature et au développement de la langue. Elle a provoqué une crise nécessaire à la croissance de la poésie. Il fallait appeler énergiquement les esprits supérieurs, encore attardés par l'habitude dans l'usage du latin qui paraissait le seul vêtement digne des pensées sérieuses, à l'emploi de la langue vulgaire qui avait besoin de leur secours pour se fortifier et s'enrichir. Cet appel fut entendu on continua de savoir le latin, on apprit mieux le grec, ce qui est une grande ressource, mais on se crut moins obligé à écrire dans ces langues anciennes, et dès lors n'étant plus qu'un exercice, un moyen et non un but, elles servirent à l'accroissement de la langue dont leur voisinage avait retardé la marche; au lieu de continuer à la retenir dans l'enfance, elles contribuèrent à l'amener à une maturité trop longtemps attendue. Si l'école de Ronsard n'a rien fondé, elle a imprimé un mouvement qui devait conduire au but, et ses efforts ont préparé des matériaux et des instruments pour le solide et majestueux édifice que des mains plus favorisées ont pu construire.

[blocks in formation]

Ses idées sur la religion.

de son rôle. Passages de ses discours.
-Sur la justice.
éloquence.

- Sur la conciliation des partis. - Caractère de son

La réforme littéraire tentée par Ronsard se poursuivait avec éclat, lorsque les germes de discorde civile déjà développés sous François Ier et sous Henri II, tantôt par l'incurie de la royauté, tantôt par ses rigueurs, aboutirent enfin à des entreprises qui mirent les armes aux mains des partis et firent de la France, pendant plus d'un quart de siècle, un champ de bataille. L'ambition d'une famille puissante qui aspirait au trône, à l'imitation des Carlovingiens dont elle se prétendait issue, la faiblesse et les vices des derniers Valois, l'intolérance religieuse, de tous les fléaux le plus terrible, détournèrent les forces de la nation de leur véritable emploi, qui était, dans l'ordre politique, de consolider l'autorité royale, d'abaisser la maison d'Autriche, de revendiquer, soit par d'habiles négociations, soit au besoin par la guerre, les provinces qui limitaient notre territoire bien en deçà de ses frontières naturelles surtout du côté de l'Allemagne. Tout semblait mûr pour cette œuvre de légitime conquête que Henri IV, Richelieu, Louis XIV même, n'ont pas achevée. Mais les passions humaines mettent leurs convoitises au-dessus du bien public, et lorsque aucune force supérieure n'est là pour arrêter leur déchaînement, l'intérêt général, qui leur sert souvent de prétexte, ne leur est jamais un frein. Heureusement, la pensée de justice, de probité, de dévouement, qui pouvait seule prévenir d'effroyables malheurs est personnifiée à cette époque par un homme dont tous les actes et toutes les paroles sont des enseignements de vertu et de patriotisme. C'est pour cela que nous devons nous arrêter devant

« PoprzedniaDalej »