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notonic de la versification. Au reste, notre vers héroïque, même perfectionné, n'a jamais brillé par la variété. Ceux qui peuvent lire sans fatigue telle de nos épopées modernes, seraient mal venus à se moquer de la longanimité de nos bons aïeux qui trouvaient leur plaisir à entendre ces complaintes héroïques. Quant aux poëtes qui les ont composées, on peut dire à leur décharge qu'ils avaient au moins l'avantage de ne pas s'être tourmentés beaucoup, s'il leur arrivait de paraître insipides. Quoi qu'il en soit, il n'est pas permis de contester que la production musicale et presque scénique de ces légendes rimées ait été, au moyen âge, un spectacle populaire et une sorte d'enseignement historique.

Parmi ces importantes ébauches de poésie héroïque, œuvres du moyen âge, il faut donner la première place à la chanson de Roland; elle la mérite par sa vétusté et par l'importance du héros et de la perte triomphante, comme aurait dit Montaigne, qu'elle glorifie. Elle est un curieux exemple du travail de l'imagination populaire sur les faits réels nulle part cette puissance de transformation ne se montre avec plus d'ensemble et d'originalité. L'histoire, par la plume d'Eginhard, gendre de Charlemagne, enregistrait un désastre douloureux demeuré sans vengeance, et que la destruction complète d'un corps d'armée, surpris par les montagnards dans les gorges de Roncevaux, avait laissé sans témoins. Mais le neveu de Charlemagne, Roland, était au nombre des victimes, lui et tous les pairs: il fallait honorer sa chute, il fallait laver l'affront imprimé aux armes d'un roi toujours victorieux. La douleur et l'admiration vont opérer ce prodige, et voici la légende qui perpétuera le souvenir de ce sinistre événement, et qui fera d'un chant de mort un hymne de victoire.

Quelques mots suffiront à l'analyse du poëme : L'Espagne est conquise, Sarragosse scule est restée debout, défendue. par le roi africain Marsile; mais ce prince propose de se soumettre. Blancardin se présente en son nom devant Charlemagne, qui envoie Ganelon traiter des conditions de la paix. Ganelon chargé contre son gré et à l'instigation de

Roland de cette mission périlleuse, déjà traître par la pensée, s'engage à faire tomber dans une embuscade Roland et l'élite de l'armée de Charlemagne qui formera l'arrière-garde au moment de la retraite. Le complot ainsi tramé s'exécute. Le gros de l'armée est déjà sur le revers des Pyrénées, lorsque l'arrière-garde, enfermée dans la vallée de Roncevaux, entend le bruit d'une armée formidable dont les nombreux bataillons vont l'atteindre. Le combat est désormais inévitable; toutefois si Roland faisait retentir les sons terribles de son olifant', Charlemagne averti rebrousserait chemin, et il arriverait à temps pour repousser les Sarrasins. Mais Roland rejette comme une faiblesse indigne le conseil que lui donne le brave Olivier; il se flatte de tenir tête à l'ennemi et de l'exterminer sans l'aide de l'empereur. Le combat s'engage qui pourrait décrire et nombrer les exploits de Roland, de l'archevêque Turpin, d'Olivier? Ici, tout est grandiose, et le champ de bataille et les héros. Cette phalange indomptable qui ne recule jamais jonche le sol de cadavres ; mais elle périra sous les coups d'ennemis sans cesse renaissants. C'est alors que Roland fait retentir son olifant, dont les sons formidables sont répétés par l'écho des montagnes. Le combat continue plus acharné que jamais, pendant que l'armée de Charlemagne, enfin avertie, revient sur ses pas. Le secours approche, mais le péril redouble: le frère d'armes de Roland, Olivier vient de mourir deux guerriers survivent seuls au carnage: l'archevêque Turpin et Roland. Leurs derniers exploits ont jeté l'épouvante au cœur des Sarrasins que le bruit formidable des clairons de Charlemagne achève de troubler. Ils prennent la fuite. L'archevêque est mortellement blessé ; Roland trouve encore assez de force pour aller chercher les corps de ses amis morts, et les dépose aux pieds de Turpin, qui meurt en les bénissant. Roland scul n'a pas rendu le dernier soupir, mais son sang coule de ses veines rompues: il va mourir.

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1. Cor d'ivoire. Ce mot vient du latin Elephas, éléphant.

Vainement il essaye de briser son épée. Il se couche enfin à terre le visage tourné du côté de l'Espagne, et à ce moment suprême les anges du Seigneur descendent pour recueillir l'âme du héros qu'ils emportent vers Dieu, lorsque Charlemagne paraît avec son armée. Ainsi, dès que l'œuvre de la trahison est consommée, le vengeur se montre. Roland n'est plus, mais il faut qu'il soit vengé; il le sera par la défaite et par la mort de Marsile, par la destruction d'une nouvelle et plus formidable armée d'infidèles; il le sera encore par le supplice de Ganelon, dont le nom demeurera à jamais flétri, comme symbole de trahison, et dont le châtiment glacera d'effroi le cœur des traîtres.

On le voit, le cœur et l'imagination d'un grand peuple ont travaillé de concert à cette œuvre nationale, qui explique, par la trahison, la mort d'un capitaine invincible, et la compense, en dépit de l'histoire, par une soudaine et glorieuse revanche. Aussi la chanson de Roland fut-elle au moyen âge un cri de guerre et un signal de victoire. Le grand nom de Roland fut dans toutes les bouches, et l'exemple de ses exploits, l'image de son indomptable courage, devinrent un perpétuel enseignement d'héroïsme. La version qui nous est parvenue, et qu'on peut sans témérité faire remonter jusqu'au 11° siècle, préparée sans doute par des chants antérieurs, nous offre l'ébauche régulière et déjà imposante d'un poëme véritablement épique par l'unité du plan, la vérité et la variété des caractères, par la grandeur des événements. Les beautés dont il étincelle nous frappent encore sous la rouille d'un langage inculte, sous la négligence d'une versification qui se contente pour tout élément musical du repos de l'hémistiche, du nombre régulier des syllabes et trop souvent d'une assonance imparfaite bien éloignée de la rime. Toutefois, l'expression simple et forte y traduit énergiquement de belles pensées et de nobles sentiments. La vétusté du langage nous interdit les longues citations: mais, parmi les passages saillants propres à donner une idée de cette rude poésie et à expliquer l'effet qu'elle produisait sur des âmes naïves et fortes,

Histoire littéraire.

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il en est un que nous n'hésitons pas à placer ici. Lorsque les Sarrasins approchent, Olivier supplie Roland de sonner du cor pour avertir Charlemagne; il renouvelle par trois fois cette prière, et trois fois il reçoit la même réponse, dont les termes varient, mais dont le sens est toujours le même. Voici la dernière de ces réponses, dont le retour et la symétrie décèlent la main d'un poëte qui connaît ou qui devine les secrets de l'art :

« Cumpainz Rollant, sunez vostre olifan;
Si l'orrat Carles qui est as porz passant;
Je vous plevis, jà returnerunt Franc!

Ne placet Deu, ço li respunt Rollant,
Que co seit dit de nul hume vivant
Ne pur paien que jà sei-jo cornant!
Jà n'en aurunt reproece mi parent.
Quant jo serai en la bataille grant,
E jo ferrai e mil colps e vii cenz,
De Durandal verrez l'acer sanglent!
Franceis sunt bon, si ferrunt vassalment!

Jà cil d'Espaigne n'auerunt de mort guarant1 ! »

C'est sans doute ce serment de vaincre ou quelque passage analogue que le jongleur Taillefer chantait aux premiers rangs de l'armée de Guillaume, avant la bataille d'Hastings. Rien ne prouve victorieusement, mais aussi rien ne défend absolument de croire que le Turold, auteur du poëme de Roncevaux, n'ait été au nombre de ces Normands qui suivirent leur duc à la conquête de l'Angleterre, et que nous ne possédions le texte même auquel Taillefer empruntait

Ainsi l'entendra

Que

1. Compagnon Roland, sonnez votre olifant; Charles qui est aux ports passant; Je vous (le) garantis, aussitôt retourneront Francs. - Ne plaise à Dieu, ce lui répond Roland, cela soit dit par aucun homme vivant-Et surtout pour des païens que Jamais j'aie été sonnant du cor! Jamais n'en auront reproche mes parents. Quand je serai dans la bataille grande Et (que) je frapperai et mille coups et sept cents, - De Durandal (vous) verrez l'acier sanglant, Les Français sont courageux, ainsi frapperont-ils bravement; Jamais ceux d'Espagne n'auront contre la mort de garant.

ses chants guerriers. Ce soupçon seul ajoute à la vénération que doit nous inspirer cet antique monument de poésie nationale.

Le caractère exclusivement guerrier et religieux de ce poëme, où la galanterie n'a point de place, où le merveilleux se laisse à peine entrevoir; le sentiment de patriotisme qui l'anime et qui ramène si souvent le nom de douce France, et la majesté de Charlemagne toujours respecté, toujours obéi, autorisent la critique à rattacher l'inspiration première de la chanson de Roland au règne même de ce prince, quand l'autorité royale n'avait reçu aucune atteinte, ct quand les efforts de l'héritier des Césars pour constituer l'unité d'une grande nation avaient imprimé le patriotisme au cœur des peuples unis sous sa main puissante. C'est le seul qui ait conservé profondément l'empreinte de ce sentiment de nationalité que les divisions féodales devaient altérer si promptement. En effet, la plupart des chansons de gestes qui célèbrent les exploits des pairs de France compagnons de Charlemagne tirent leur intérêt de la lutte du vassal contre le suzerain. Nous n'y voyons plus l'image d'une grande nation soumise avec enthousiasme à un grand empereur, mais le tableau de cette société féodale où l'affaiblissement de la royauté enhardit la résistance. Roland, neveu de Charlemagne et sujet fidèle, est le héros de la France : c'est un Achille national; Renaud de Montauban, l'aîné des quatre fils Aymon, Ogier le Danois, sont les héros de la féodalité. Leur supériorité glorifie la lutte contre l'empire. Aussi Charlemagne est-il bien déchu dans les compositions de ce genre: il y porte la peine de la faiblesse de ses successeurs. Dans les quatre fils Aymon, non-sculement la victoire lui manque souvent, mais il est en butte aux mauvais tours de la sorcellerie de Maugis, et tourne au comique; il y arrive même dans le Voyage à Jérusalem, qui n'est qu'un fabliau de forme épique et qui, tout vieux qu'il est, appartient au genre héroï-comique. Il paraît que le travail de poésie populaire qui éleva si rapidement Charlemagne à des proportions surhumaines s'arrêta brusquement avant la fin du 9° siècle,

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