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naïveté tiennent surtout à l'abandon où la laissaient les esprits trempés et aiguisés par les sérieuses études de la scolastique. Le latin retenait dans son domaine les matières qui auraient pu donner de la gravité à la pensée et de l'élévation au langage. Pendant que les plus puissants esprits du moyen âge, les Alcuin, les Anselme, les Abeilard, les saint Bernard, les saint Thomas, les Vincent de Beauvais, écrivaient en latin tant d'œuvres sérieuses et solides, la langue vulgaire s'égayait en libres propos auxquels elle convenait, et s'y complaisait, de sorte qu'elle se trouvait doublement empêchée et par sa nature propre et par les habitudes de ses interprètes, lorsqu'elle abordait témérairement de graves sujets. Toutefois elle avait de si heureuses qualités qu'elle se répandit au loin. Ses essais charmèrent les étrangers mêmes qui s'approprièrent ses récits et ses fictions et elle finit par atteindre sa perfection relative dans la prose de Joinville et de Froissard, où elle se prête avec grâce et souplesse à la simplicité de récits variés, et dans les vers de Marot, où elle exprime, avec une vivacité naïve et piquante, les saillies de l'esprit gaulois et quelques nuances délicates du sentiment. Même elle était si bien appropriée à cet ordre d'idées, qu'elle a survécu sous le nom de langue marotique, comme un dialecte de la langue générale affecté à l'usage des genres secondaires, que le talent exquis de Marot avait consacrés. Avant Marot, les doctes efforts de Christine de Pisan, d'Alain Chartier, de Georges Chastelain, écrivains lettrés et gourmés, avaient tenté de porter la langue vulgaire à la hauteur des idiomes de l'antiquité; mais ils n'étaient parvenus qu'à lui donner une noblesse roide et empesée, une majesté d'emprunt. A la manière des parvenus, elle portait gauchement l'ample et riche manteau jeté sur elle à l'improviste. Comines, sans lui apporter d'ornement étranger, sans lui ôter rien de sa simplicité naturelle, lui prêta de son propre fonds, « l'autorité et gravité représentant, comme dit Montaigne, son homme de bon licu et eslevé aux grands affaires. >>

La forte adolescence du langage français date du 16° siècle. Elle correspond à la renaissance des lettres antiques. C'est alors qu'on puise largement à la source latine de nouvelles richesses, et qu'on reprend, même pour un autre usage et sans les transformer, des mots dont la langue romane s'était emparée en leur donnant son empreinte '. Calvin, dans son Institution chrétienne, lui communiqua la gravité et la force du latin, dont il connaissait toutes les ressources; le polyglotte Rabelais l'enrichit de tours et d'expressions empruntés au grec et au latin, qu'il ajouta aux trésors de la langue vulgaire employés par lui avec une merveilleuse habileté. La richesse de son vocabulaire n'est comparable qu'à la souplesse de sa syntaxe, qui suit docilement les plus folles imaginations et les plus saines pensées de ce prodigieux esprit. Amyot, sans innover dans les mots, donna à la période une étendue et une ductilité inconnues à ses devanciers. « Personne, dit Vaugelas, ne connut mieux le caractère de notre langue; il usa de mots et de phrases naturellement françaises, sans nul mélange des façons de parler des provinces, qui corrompent toujours la grâce et la pureté du vrai langage français. Tous nos magasins et trésors sont dans les œuvres de cet homme. » Montaigne n'eut pas les mêmes scrupules, et le gascon lui venait en aide lorsque le français ne suffisait pas à représenter sa pensée. Il avait moins de souci de la correction que du relief et de la couleur. Son exemple a montré comment on pouvait oser avec succès. Les controverses religieuses introduisirent en même temps de nouvelles formes d'éloquence oratoire consacrées par la Menippée, dans le discours de Daubray.

1. Ainsi, quand solliciter fut introduit, il y avait déjà longtemps que sollicitare avait formé en se corrompant soucier; apprehendere nous avait donné apprendre, lorsqu'il fournit de nouveau appréhender, mot qui reçut un double sens également distinct d'apprendre. Nous avions combler avant cumuler, blasme avant blasphème, et cent autres semblables. La coexistence de ces mots de même source, et cependant de forme et d'acception différentes, indique plusieurs àges dans la formation de la langue.

Cette vigoureuse croissance annonçait la maturité prochaine de notre idiome. En effet, Malherbe, soutenu par les travaux de ses précurseurs qui avaient vu le but sans l'atteindre, éclairé par leur chute, reprit dans l'ordre poétique l'œuvre de Ronsard et de son école; critique impitoyable, il rejette de la langue des vers toute incrustation, tout placage étranger, soit grec, soit latin, soit italien, soit espagnol, et avec l'exactitude d'un grammairien consommé, par intervalle avec l'inspiration d'un poëte, toujours guidé par une raison plus forte qu'étendue, et par cela même plus puissante, il constitue et il impose la langue poétique. Dans la prose, Balzac, avec un mélange d'emphase castillane qui veut dissimuler et qui accuse le vide de la pensée, introduit le nombre et le rhythme. Il charme l'oreille au point de la fatiguer, cela est vrai, mais enfin il crée l'harmonie; il faudra sans doute abaisser le diapason qu'il donne pour retrouver la variété, sans laquelle il n'y a point de plaisir durable pour l'esprit; mais il a donné ce diapason. Heureusement à côté de Balzac, et comme moyen de préservation, Descartes enseigne par l'exemple l'art de penser et d'établir la proportion, l'analogie du fond et de la forme, la convenance de l'idée et de l'expression. On peut dire que Descartes, après Malherbe et en présence de Balzac, complète cette éducation des intelligences qui aboutit, dans Corneille et dans Pascal, pour la poésie et pour la prose, à l'harmonieux accord de la pensée et du langage. Dès lors la période de formation est achevée, le point de maturité est atteint. Les hommes supérieurs peuvent naître, l'instrument ne manquera point à leur génie, car le langage, tel que l'ont façonné de si longs efforts, a des tons variés qui peuvent monter naturellement de la simplicité de l'expression familière jusqu'aux plus mâles conceptions de la raison éloquente, et des couleurs capables de représenter dans tout leur éclat les plus brillantes créations de la muse.

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Division du moyen âge en deux périodes. Chansons de gestes, Cycle carlovingien.-La chanson de Roland.-Analyse de ce poëme. · Ogier le danois.—Origine de ce nom.-Analyse du poëme d'Ogier. Etendue du cycle carlovingien.

Le moyen âge, dont nous allons esquisser l'histoire littéraire, se partage en deux périodes distinctes dont la première embrasse le 12 siècle entier et la plus grande partie du 13o, et dont la seconde, ouverte à la fin du 13° siècle, se prolonge jusqu'à la renaissance. Le règne de saint Louis termine la première, qui commence avec les croisades; le règne de Philippe le Bel inaugure la seconde. L'esprit qui domine ces deux périodes diffère tellement, que la dernière semble consacrée à l'affaiblissement et à la destruction même des principes dont le développement donne à la première sa physionomie morale et littéraire.

La ferveur religieuse et le courage guerrier qui provoquèrent la croisade et que la croisade exalta, furent aussi l'inspiration de la poésie populaire du 12° siècle. Plus tard l'amour se mêla à la piété et au courage, et du concours de ces trois éléments se forma ce genre particulier d'héroïsme inconnu des anciens qui est l'esprit chevaleresque. Parmi les compositions héroïques que nous a léguées cette époque, les unes, et ce sont les plus anciennes, ne respirent que la guerre et la religion, les autres, venues plus tard, sont une image complète de la chevalerie. Les premières ont reçu le nom de chansons de gestes, et les autres forment ce qu'on est convenu d'appeler le cycle de la Table ronde.

Les chansons de gestes, qu'on nomme ainsi parce que les poëmes consacrés à célébrer les exploits (gesta) guerriers, étaient chantés, comme autrefois les poésies d'Homère, par les trouvères qui avaient au moins ce point de ressemblance avec les rapsodes de l'antiquité, se partagent en

deux classes principales la première tire ses sujets de l'histoire nationale, la seconde s'empare des faits antiques que le moyen âge avait reçus des écrivains apocryphes et qu'il transformait à son image. La Table ronde est une légende bretonne dont nous aurons à raconter la noble origine et les brillantes destinées.

Ces trois matières distinctes avaient leur caractère propre et un but spécial. C'est le trouvère Jean Bodel d'Arras qui nous l'apprend au début de sa chanson des Saxons : les chansons de France se piquaient de vérité historique celles qui reproduisaient les prouesses de l'antiquité avaient la morale pour but; celles de Bretagne étaient destinées à plaire. Cette classification, respectable par sa date et par son auteur, aura l'avantage de nous guider et de nous éclairer dans le labyrinthe où nous allons nous engager.

Les chansons de gestes, soit nationales, soit antiques, sont écrites en vers de dix ou de douze syllabes partagés en deux hémistiches, comme le pentamètre et l'hexamètre modernes, avec cette seule différence que la syllabe muette à la fin du premier hémistiche n'a pas besoin d'être élidée. La règle de l'élision est une conséquence de l'écriture qui rend visibles à l'œilles syllabes de ce genre que l'oreille ne perçoit pas. Cette contradiction à nos habitudes n'est pas un signe de barbarie; mais ce qui atteste la grossièreté de cette versification primitive, c'est que ces vers tombant l'un sur l'autre par lignes uniformes composent des strophes ou couplets monorimes d'une longueur indéterminée, et qui ne s'arrêtent que lorsque le trouvère, à bout de finales. consonantes ou assonantes, juge à propos de continuer sa psalmodie sur une autre rime qui dure jusqu'à nouvel épuisement.

Il est possible que la mélopée adaptée à cette métrique, et les sons de la vielle ou du rebec qui servaient d'accompagnement, aient tiré de la voix du rapsode et de l'habileté de ses doigts un agrément capable de compenser, au profit d'oreilles peu délicates et très-indulgentes, la mo

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