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Louis XI nous servira de lien entre Charles d'Orléans, François Villon et Philippe de Comines: en effet, il outrage le premier, il protége le second, et il admet dans sa confidence le troisième, qui doit être son témoin devant la postérité. Le rapprochement que nous faisons entre Charles, duc d'Orléans, petit-fils et neveu de rois, père d'un roi, et cet enfant de Paris, nommé Corbueil, surnommé Villon pour ses méfaits, n'est pas un jeu d'esprit. Le temps les réunit. Charles meurt vers le temps où Villon écrit son Grand Testament, et dans ce double fait intervient la sombre figure de Louis XI, qui influe en sens opposé sur la destinée des deux poëtes. Les dures paroles du monarque conduisent au tombeau le fils chevaleresque de Valentine, et sa clémence dérobe au gibet l'enfant du peuple. Au même moment la voix du même homme tue et sauve : elle tue le représentant du passé poétique, elle sauve le précurseur de l'avenir. Est-ce effet du hasard? peut-être; mais c'est au moins un accident curieux et significatif. Nous reconnaissons là le roi qui fait tomber la tête des Armagnacs, et qui transforme son barbier en favori tout-puissant. Quant à Philippe de Comines, il a sa place marquée à côté de ce roi que la France a flétri comme tyran, tout en recueillant le bénéfice des services qu'il lui a rendus par l'abaissement de l'aristocratie féodale. Louis XI, comme Philippe le Bel, est un de ces bienfaiteurs involontaires que la politique peut absoudre, mais que la conscience doit condamner, et qui dispensent de reconnaissance le peuple dont ils ont servi indirectement les intérêts, sans autre vue que leur propre agrandissement. Mais laissons de côté Louis XI; Comines

nous y ramènera, lorsque nous aurons apprécié Charles d'Orléans et Villon.

La poésie de Charles d'Orléans est la dernière et la plus délicate fleur de l'esprit chevaleresque; c'est d'ailleurs, pourrait-on dire en style de moissonneur, un regain, car le quatorzième siècle a passé, et l'on sait que ce fut pour les sentiments tendres et délicats une saison morte. Aussi cette seconde floraison, accidentelle et isolée, est-elle due à un rayon détourné du soleil d'Italie; car le gracieux génie de Charles d'Orléans se compose de l'âme et de l'esprit de Valentine de Milan, transmis à son fils, heureux si l'influence de Guillaume de Lorris ne s'y fût pas mêlée. Pour Villon, il tourne le dos au passé et salue l'avenir; il donne pour berceau et pour palais à la poésie moderne la rue et les halles : et ce n'est pas sa faute si elle n'a pas été suspendue, dans sa personne, aux fourches patibulaires de Montfaucon. Au reste, Villon s'est avili sans se dépraver; le fond généreux de sa nature subsiste sous les souillures: il sent vivement les bienfaits, il aime sa mère, il aime son pays; de sorte qu'on est tenté de lui faire l'application des vers si connus de Marot:

Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demeurant le meilleur fils du monde.

Charles d'Orléans n'était pas trempé pour le rôle héroïque que sa naissance et les événements de son temps l'appelaient à remplir. Il eut cela de commun avec Thibaut de Champagne, moins favorisé que Charles d'Anjou et Richard d'Angleterre, qui, pour faire de beaux vers, n'en furent pas moins de terribles champions, le casque en tête, et qui portèrent fièrement leurs couronnes de rois. Ce n'est pas la pieuse et généreuse intention de venger son père, Louis d'Orléans, sur son meurtrier Jean Sans-Peur, duc de Bourgogne, ni le désir de faire triompher les Armagnacs, dont il devint le chef, qui manquèrent à Charles d'Orléans, mais les fortes qualités qui assurent le succès de l'homme poli

tique et du soldat. Sans doute il paya de sa personne, mais sa personne n'était pas taillée à vaincre et à dominer. Il était doué pour vivre heureusement dans un temps paisible, pour cultiver de douces affections et les chanter d'une voix molle et pure, comme ce bon roi René son contemporain, moins poëte que lui avec plus de naturel et de bonhomie. Aussi, dès que la captivité lui aura fait des loisirs, il charmera les ennuis de sa longue prison par les souvenirs de ses amours et par l'attente de plaisirs nouveaux; mais qu'on ne cherche dans ses vers ni un cri de douleur sur le meurtre de son père, ni une larme sur la mort de sa mère Valentine, ni un gémissement patriotique au souvenir d'Azincourt, ni un mouvement de pitié pour le supplice de Jeanne d'Arc. Il faut en prendre son parti, le prisonnier des Anglais sera surtout l'esclave de Beauté, l'homme lige d'Amour; il aimera à deviser avec son cœur, quoiqu'il l'ait laissé en dépôt dans une cassette dont Cupido garde la clef; il se promènera dans la forêt de Longue-Attente où souffle le vent de Mélancolie, et où il a compagnie de Deuil et de Tristesse; enfin nous le verrons trop souvent escorté de ces froides allégories sorties de l'alambic de Guillaume de Lorris: Bel-Accueil, Liesse, Danger, et le reste. C'est un malheur pour Charles d'Orléans de n'avoir pas conjuré tous ces fantômes métaphysiques; car son esprit, qui a des saillies piquantes, et son âme, capable de sentiments vrais, et sa riante imagination, auraient eu plus de vivacité, plus de grâce, plus d'éclat. En effet, il annonçait de la franchise et quelque chose de leste et de sémillant, celui qui faisait le serment d'aimer par cette boutade cavalière :

Tienne soy d'amer qui pourra,
Plus ne m'en pourroye tenir,
Amoureux me faut devenir.
Je ne scay qu'il m'en avendra.
Combien que j'ay oy, pieça,

Qu'en amours fault mains maulx souffrir,

Tienne soy d'amer qui pourra,

Plus ne m'en pourrove tenir.

Mon cueur devant yer accointa
Beaulté qui tant le scet chierir,
Que d'elle ne veult departir.
C'est fait, il est sien et sera.
Tienne soy d'aimer qui pourra,
Plus ne m'en pourroye tenir.

Il était capable d'émotion sincère celui qui s'écriait :

Dieu, qu'il fait bon la regarder,

La gracieuse, bonne et belle!

Pour les grans biens qui sont en elle,
Chascun est prest de la louer.
Qui se pourroit d'elle lasser?
Toujours sa beauté renouvelle.
Dieu, qu'il fait bon la regarder
La gracieuse, bonne et belle!

Par decà ne delà la mer,
Ne scay dame ne damoiselle
Qui soit en tous biens parfais telle.
C'est un songe que d'y penser.
Dieu, qu'il fait bon la regarder

La gracieuse, bonne et belle!

N'avait-il pas l'esprit plaisant et un fond de gaieté naturelle celui qui s'avise, pour rappeler un ami lequel, sous prétexte de mariage, se tenait trop longtemps à l'écart, de faire courir le rondeau suivant :

Crié soit à la clochete

Par les rues, sus et jus,
Fredet, on ne le voit plus;
Est-il mis en oubliete?

Jadis il tenoit bien conte

De visiter ses amis;

Est-il roy, ou duc, ou conte,

Quant en oubly les a mis?
Banny à son de trompete
Comme marié confus,
Entre chartreux, ou reclus,
A il point fait sa retrete?

Crié soit à la clochete
Par les rues, sus et jus,

Fredet, on ne le voit plus;

Est-il mis en oubliete?

Il est vrai que lorsque Charles d'Orléans faisait plaisamment crier à la clochette son ami Frédet, il était rentré sur la terre de France et dans son château de Blois; mais dans l'exil même l'enjouement ne lui manquait pas, lorsqu'il démentait le bruit de sa mort par cette jolie ballade :

Nouvelles ont couru en France,

Par mains lieux, que j'estoye mort;
Dont avoient peu deplaisance
Aucuns qui me hayent à tort;
Autres en ont eu desconfort,
Qui m'ayment de loyal vouloir,
Comme mes bons et vrais amis;
Si fais à toutes gens savoir
Qu'encore est vive la souris.

Je n'ay eu ne mal, ne grevance,
Dieu mercy, mais suis sain et fort,
Et passe temps en esperance

Que paix, qui trop longuement dort,
S'esveillera, et par accort

A tous fera liesse avoir;

Pour ce, de Dieu soient maudis
Ceux qui sont dolens de veoir
Qu'encore est vive la souris.

Jeunesse sur moy a puissance,
Mais Vieillesse fait son effort
De m'avoir en sa gouvernance;
A present faillira son sort,
Je suis assez loing de son port,

De pleurer vueil garder mon hoir;
Loué soit Dieu de Paradis,

Qui m'a donné force et povoir,
Qu'encore est vive la souris.

Nul ne porte pour moy le noir,
On vent meilleur marchié drap gris ;
Or tiengne chascun, pour tout voir,
Qu'encore est vive la souris.

Si les nouvelles sinistres qui couraient en France sur son compte ne l'attristaient pas, en retour il ne prenait

Histoire littéraire.

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