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répondit le Chanoine. Elle est de ces diables qui se font ermites avant de vieillir. »

En ce moment la Baronne entrait.

C'est une grande personne bien taillée, un peu maigre, hâlée par le soleil, très-dame et très-paysanne. Un langage brusque et doux, des allures hardies, des yeux innocents.

« Vois-tu, me dit le Peintre, quand nous partîmes le soir, ce teint hâlé est une beauté secrète et dangereuse. C'est un précipice couvert d'herbe. On dirait : Elle est hâlée, causons moutons et pâturages.

<< On s'avancerait sans défiance, et on serait pris avant d'y avoir seulement songé. Puisqu'elle ne veut pas se marier, tout homme jaloux de vivre content évitera de rencontrer souvent cette originale Baronne dans ce sauvage pays.

<< Si elle se voulait marier, on devrait l'éviter encore. Elle serait femme de bien, je n'en doute aucunement, mais il y a de ces vertus qui cassent trop les assiettes. En ménage, foin de l'originalité !

« Le pot-au-feu! le pot-au-feu! Plus j'observe, plus je me convaincs que le mieux en tout est d'être comme tout le monde... Quel malheur que tout le monde ne

soit pas ainsi! Je n'exprime pas très-clairement ce que je veux dire.

« La Baronne me plairait considérablement, mais son plus grand charme, c'est d'être veuve. En l'épousant on lui ôterait juste cela. Beaucoup de gens font cette folie : ils aiment la fumée de la pipe, qui est jolie à voir... et ils en épousent l'odeur. Voilà mon idée.

« Que crois-tu que deviendra notre Baronne en vieillissant? Elle sera comme le torrent qui entoure sa maison. C'est un caractère fier qui s'est d'abord creusé un lit fertile. Elle abandonnera ce premier lit, et pendant qu'il y poussera de l'herbe et des fleurs,

<< Elle se jettera vaillamment sur la pierre, elle la percera, elle la vaincra, elle s'y creusera des routes profondes; et par ce travail elle aura mis son héritage en sûreté. D

X

LA VRAIE MISÈRE.

UN

N hommme descendait de la montagne, à pied, abrité d'un mauvais parapluie. Il était jeune et déjà courbé. Ses habits, propres, sentaient pourtant la mauvaise fortune. Sur sa figure intelligente, les rides laissaient deviner qu'elles étaient venues avant l'heure.

Le Chanoine le salua de quelques mots d'amitié ; il répondit de bonne grâce, sans sourire. Il semblait que l'on dût craindre de lui sourire en parlant. Bientôt il reprit sa route, pressé de rentrer dans la solitude de son cœur. Le Chanoine le suivit d'un regard attristé.

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«< Assurément, dit le Peintre, cet homme porte quelque grande douleur. J'ai vu couler bien des larmes, répondit le Chanoine, et je ne sais pas si j'ai rencontré jamais homme plus à plaindre que celui-ci, qui peut-être n'a jamais pleuré.

« Il a de l'instruction, du talent, de l'esprit, du cou

rage, tout ce qu'il faut pour autoriser l'ambition, et il a aussi de l'ambition. Sa vie pauvre, perdue sans espoir, horriblement tourmentée, s'écoule sur cette route où il va et revient toujours.

<< Il remplit là-haut, dans un village, un petit office, et là-bas, dans la ville, il exerce un petit emploi. Deux fois par semaine, en toute saison, quelque temps qu'il fasse, toujours à pied, il monte et redescend.

« Il travaille ainsi pour nourrir un père déshonoré, une sœur, encore jeune et belle, livrée à l'ignoble passion du vin, un frère que le vice aurait conduit au crime s'il ne l'avait plongé dans la stupidité.

<< Telle est l'existence de cet homme savant, disert, qui se sent capable d'un grand rôle. Attaché ici, sur cette route, par ces liens durs et ignominieux, jamais il ne se plaint, jamais il ne sourit, jamais il ne parle de sa famille.

<< Sa vie est sans consolation. Il n'aime point ces misérables, qui ne l'aiment pas, car son sacrifice ne les a pu corriger. Il les porte par honneur, non par charité. Or telle est son inénarrable misère : il n'a point de Dieu; la prière n'a jamais rafraîchi son cœur.

« Nous autres, prêtres de ces cantons, ses amis d'enfance, les compagnons de sa jeunesse, que de messes

nous avons offertes pour lui, pour ramener à Dieu cette grande vertu humaine et ce formidable malheur ! Implacable contre lui-même,

« Il nous a dit : « Laissez-moi; ne me forcez pas « d'attrister vos oreilles par des paroles que vous regar<< deriez comme des blasphèmes. Si c'est votre Dieu « qui m'a fait cette destinée, elle n'est pas trop lourde « pour moi; je saurai la porter sans lui. »

« Cruelle folie de l'orgueil! Cet homme, qui ne passe pas une heure sans maudire le jour où il est né, s'admire lui-même dans sa souffrance. Levant contre Dieu sa tête altière, armé de sa hauteur stupide, dit l'Écriture, il met son Créateur au défi de le consoler.

<«< Ainsi le démon nous leurre et nous fait faire pour lui, aux dépens de notre salut, tout ce que nous pourrions faire pour Dieu, au grand profit de notre salut. Car les saints aussi veulent souffrir. Sous la main qui les frappe, ils disent : « Seigneur, encore, encore! »

<«< Mais ils souffrent pour expier; en souffrant ils adorent et s'humilient. L'orgueil souffre pour s'exalter, pour se parer de sa douleur, pour se fournir un prétexte de haïr et braver Dieu : « Tu ne vaincras pas! » Ainsi Satan, le singe, se crée des martyrs.

« Cet homme que nous venous de rencontrer, on le plaint de ses malheurs. Je le plains plus amèrement que

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