disparaît, lui et sa demeure. Qu'est-ce que l'homme? On est toujours étonné de la petitesse de cet être. « Mais, reprit le chanoine, pas si petit! <«< Là où nous allons, quand un pauvre tombe malade, un propriétaire, à tour de rôle, quitte son lit et le donne au pauvre, qui devient Jésus-Christ souffrant. << Cette charité pour les pauvres est la loi générale de la contrée; elle a créé des usages touchants et augustes. Non-seulement les pauvres malades sont soignés, mais on fait dire des messes et on se relaye devant l'autel pour obtenir leur guérison. << Certaines paroisses font la fête des pauvres. Ce jourlà on les rassemble tous à table, et la table est bien fournie. Tout le monde a contribué pour le festin; une confrérie, dont le curé est le principal membre, sert les convives. Trouvez-vous cela si petit? « Ces petits hommes vivent en relation constante avec Dieu et les saints. Le mois de janvier se passe ordinairement sous la neige; il est consacré aux saints dont on invoque le secours contre les fléaux qui menacent les campagnes. « Il y a un saint pour les maladies des gens, un autre pour celles des bestiaux, un autre pour la conservation des biens de la terre, un autre qui retient l'avalanche, un autre qui écarte l'incendie. << Sainte Agathe est la gardienne de ces murs de sapin et de ces toits de chaume. Elle s'acquitte bien de son office. Sans doute la maîtresse de la maison ne se couche pas sans avoir tout visité au dedans et au dehors; <«< Elle a fait le signe de la croix sur les cendres du foyer; elle a disposé en croix, devant l'âtre, la pelle et les pincettes. Mais, contre tant de dangers, la meilleure précaution est de prier sainte Agathe! << Il est rare que le feu prenne dans ces pieux villages des montagnes; il éclate fréquemment dans les plaines et dans les villes, où les prières sont remplacées par les assurances contre l'incendie. << Tous nos paysans connaissent la religion et l'histoire de la religion. Dès que l'enfant sait lire, c'est lui qui lit chaque soir la vie du saint à la famille assemblée; il rend compte du prône entendu le dimanche. « L'enfant sait pourquoi il est sur la terre, à quelle destinée Dieu l'appelle, quels devoirs lui sont imposés. Avez-vous rencontré beaucoup d'hommes de lettres et beaucoup d'hommes d'État qui en sachent autant que ces petits des petits? « Parce qu'ils sont humbles et parce qu'ils croient, les miracles obéissent souvent à leurs voeux. Un infirme se lasse de ne pouvoir plus travailler : il se traîne dans l'église; il sait que tout est possible au Dieu de toute bonté. << Plein de foi, il demande sa guérison. S'il ne l'obtient pas, telle est donc la volonté de Dieu, et le chrétien soumis se retire sans amertume. Mais plus d'un, laissant au pied de l'autel ses béquilles, s'en est allé guéri. « Oui, dans les splendeurs et dans les monuments des villes, dans les académies, partout où l'homme a multiplié ses ouvrages et étalé son orgueil, là, souvent, je me suis émerveillé de la petitesse de l'homme! Ici, où je vois les vertus des humbles, j'admire sa grandeur. « Ce que fait l'homme par lui-même est peu de chose, et il se rapetisse encore dans ces petits ouvrages dont il tire sottement vanité. Mais, lorsque je le considère parmi les œuvres de Dieu, lorsque je vois le soin que Dieu a pris de son domaine ; << Quand je pense que Dieu lui a donné ces montagnes, et le thym et l'hysope qui les fleurissent, et cette terre forcée de devenir féconde sous sa main, et cet air qu'il respire, et ces eaux puissantes, et tous les êtres dont elles sont peuplées ; « Quand je vois que ce roi de la terre connaît sa faiblesse, et que ce possesseur de la terre dédaigne son trésor et se connaît un royaume meilleur, vers lequel il aspire; « Alors je le trouve grand, plus grand que toute la création; et je loue et j'honore le chef-d'œuvre de Dieu, la créature de Dieu qui parle à Dieu, qui aime Dieu, qui passe ici-bas pour aller à Dieu. << Je loue et j'honore cet enfant de Dieu qui travaille à conquérir son royaume éternel; qui, dans ses plus rudes épreuves et dans ses plus sombres misères, ne cesse pas d'être assisté par les saints, d'être servi par les anges, <«< Et qui ne saurait tomber si bas qu'il ne puisse encore, faisant à Dieu même une sorte de commandement auquel Dieu obéira, lui dire «Père qui êtes au ciel, aidez-moi ! »> « Certes, Massillon, devant le cercueil de Louis XIV, avait raison de crier : « Dieu seul est grand!» Et toutefois, en vérité, en vérité, l'homme est grand! L'homme est le grand ouvrage de Dieu. » II LES PIERRES VIVANTES. Aux approches du village, nous vimes le curé, assis sous un arbre, son bréviaire à la main. Des femmes descendaient de la montagne, portant de grosses pierres qu'elles déchargeaient à ses pieds. « Quoi! monsieur le curé, on travaille le dimanche, et sous vos yeux ? Servir Dieu n'est pas œuvre servile. A CELUI qui chez nous n'avait plus où reposer sa tête, ces femmes font la charité d'une maison. « Les pierres qu'elles vont chercher dans le flanc de la montagne, où les chariots ne peuvent pénétrer, rebâtiront notre église en ruines. Tous mes paroissiens, sans en excepter un seul, ont ainsi travaillé pour édifier la maison du Seigneur. « Nous respectons le repos des animaux, et nous mettons à profit le dimanche, parce que les travaux de la |