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PREMIER SERMON

POUR

LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.

(PREMIÈRE RÉDACTION) (a).

Omnia vestra sunt, vos autem Christi.

Tout est à vous, et vous êtes à Jésus-Christ, dit le grand Apôtre, parlant aux justes. I Cor., III, 22 et 23.

Si nous employions à penser aux intérêts qui nous sont préparés dans le ciel la moitié du temps que nous perdons à songer aux vains intérêts de ce monde, nous ne vivrions pas comme nous faisons dans un mépris si extravagant des affaires de notre salut. Mais c'est une des punitions de notre péché : ce tyran ne s'est pas contenté de nous faire perdre le royaume dans l'espérance duquel

(a) Bossuet a écrit deux fois ce sermon.

La première rédaction a été faite vers 1653 plusieurs marques indiquent cette date. Accumulant les textes sacrés, l'auteur parle autant latin que françois : défaut qu'il trouva régnant à son début dans la carrière apostolique, et qu'il devoit détruire lui-même; il se sert aussi d'expressions qui alloient vieillissant depuis le commencement du XVIIe siècle, et qu'il a bannies plus tard. Il dit, par exemple: « Souffrirez-vous pas bien? pensons-nous pas que? cependant que, prenez garde de vous le pas représenter, » pour, de vous le représenter; « quasi pas, quasi plus, quasi rien, quasi toujours; châteaux enchantés de qui les poètes disent; considérer en gros; il (Dieu) n'y trouve rien à raccommoder (à la création), il régalera les élus dans le banquet de la gloire; il faudra que l'abondance divine se débonde; les grands hommes qui ont planté l'Eglise par leur sang. >>

Bossuet écrivit de nouveau le sermon sur les bienheureux vers 1657. Dans l'œuvre retouchée, les textes bibliques occupent moins de place et les expressions surannées se produisent plus rarement. L'écriture du manuscrit révèle elle-même une époque plus récente; à peine reconnoissables dans la première rédaction, les caractères commencent à prendre dans la dernière des formes plus nettes et plus distinctes.

Les premiers éditeurs ont mêlé et juxtaposé les deux rédactions pour n'en former qu'une seule œuvre oratoire. Après avoir mélangé les deux exordes, ils ont fait un premier point avec le premier sermon, puis un deuxième et un troisième point avec le dernier. Dans cette disposition, les deux derniers points ne sont que la répétition du premier. D'ailleurs le sujet ne comporte que deux points: les élus, 1o le dernier accom plissement de l'œuvre de Dieu, 2o la dernière fin de l'œuvre de Jésus-Christ.

TOM. VIII.

1

nous avions été élevés, il nous a tellement ravalé le courage que nous n'osons plus prétendre à sa conquête, quelque secours qu'on nous offre pour y rentrer. A peine nous en a-t-il laissé un léger souvenir; ou, s'il nous en demeure encore quelque vieille idée qui ait échappé à cette commune ruine, cette idée, Messieurs, n'a pas assez de force pour nous émouvoir, elle nous touche moins que les imaginations de nos songes. Ce qui est plus cruel, c'est qu'il ne nous donne pas seulement le loisir de penser à nous. Il nous entretient toujours par de vaines flatteries (a); et comme il n'a rien qui nous puisse entièrement arrêter, toute sa malice se tourne à nous jeter dans une perpétuelle inconstance, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, et nous faire passer cette misérable vie dans un enchaînement infini de désirs incertains (b) et de prétentions mal fondées. Cela fait que nous ne concevons qu'à demi ce qui regarde l'autre vie; ces vérités ne tiennent quasi pas à notre ame déjà préoccupée des erreurs des sens. En quoi nous sommes semblables à ces insensés desquels parle le Sage, qui sans considérer les grands desseins de Dieu sur les saints, s'imaginoient qu'ils fussent enveloppés dans le même destin que les impies, parce qu'ils les voyoient sujets à la même nécessité de la mort: Videbunt finem sapientis, et non intelligent quid cogitaverit de eo Dominus1. Souffrirez-vous pas bien, Messieurs, pour nous délivrer de ce blâme, que nous donnions un peu de temps à admirer la providence de Dieu sur les saints? Certes nous ne pouvons rien dire qui contribue plus à leur gloire ni à notre édification. Comme c'est l'endroit par où (c) il estime plus leur félicité, aussi doit-ce être ce qui nous excite davantage.

Voyons donc dans ce discours les grandes choses que Dieu s'est proposé de faire en ses saints, quid cogitaverit de illis Dominus; comme il les a regardés dans toutes ses entreprises: Quæ sit magnitudo virtutis ejus in nos qui credimus; comme il les a inséparablement attachés à la personne de son Fils, afin d'être obligés de le traiter comme lui: Vos autem Christi. Après avoir établi ces vérités, il ne me sera pas beaucoup difficile de vous 1 Sap., IV, 17. 2 Ephes., 1, 19.

(a) Var. Prétentions.

(6) Vagues. :

(c) Par lequel.

persuader des merveilles qu'il opérera dans l'exécution de ce grand dessein. Ce que je tâcherai de faire fort brièvement en concluant ce discours. Je vous prie d'implorer avec moi l'assistance du Saint-Esprit, par l'intercession de la sainte Vierge.

PREMIER POINT.

Pour nous représenter quelle sera la félicité des enfans de Dieu en l'autre vie, il faut considérer premièrement en gros combien elle doit être grande et inconcevable, afin de nous en imprimer l'estime; et après il faut voir en quoi elle consiste, pour avoir quelque connoissance de ce que nous désirons.

Pour ce qui regarde la première considération, nous la pouvons prendre de la grandeur de Dieu et de l'affection avec laquelle il a entrepris de donner la gloire à ses enfans. C'est une chose prodigieuse de voir l'exécution des desseins de Dieu. Il renverse en moins de rien les plus hautes entreprises; tous les élémens changent de nature pour lui servir; enfin il fait paroître dans toutes ses actions qu'il est le seul Dieu et le créateur du ciel et de la terre. Or il s'agit ici de l'accomplissement du plus grand dessein de Dieu et qui est la consommation de tous ses ouvrages.

Toute cause intelligente se propose une fin de son ouvrage. Or la fin de Dieu ne peut être que lui-même. Et comme il est souverainement abondant, il ne peut retirer aucun profit de l'action qu'il exerce, autre que la gloire qu'il a de faire du bien aux autres et de manifester l'excellence de sa nature; et cela parce qu'il est bien digne de sa grandeur de faire largesse de ses trésors, et que d'autres se ressentent de son abondance. Que s'il est vrai qu'il soit de la grandeur de Dieu de se répandre, sans doute son plus grand plaisir ne doit pas être de se communiquer aux natures insensibles. Elles ne sont pas capables de reconnoître ses faveurs, ni de regarder la main de qui elles tirent leur perfection. Elles reçoivent, mais elles ne savent pas remercier. C'est pourquoi quand il leur donne, ce n'est pas tant à elles qu'il veut donner qu'aux natures intelligentes, à qui il les destine. Il n'y a que celles-ci à qui il ait donné l'adresse d'en savoir user. Elles seules en connoissent le prix; il n'y a qu'elles qui en puissent bénir l'auteur. Puis donc

que Dieu n'a donné qu'aux natures intelligentes la puissance de s'en servir, sans doute ce n'est que pour elles qu'il les a faites. Aussi l'homme est établi de Dieu comme leur arbitre; et si le péché n'eût point ruiné cette disposition admirable du Créateur dès son commencement, nous verrions encore durer cette belle république. Dieu donc a fait pour les créatures raisonnables les natures inférieures. Et quant aux créatures intelligentes, il les a destinées à la souveraine béatitude, qui regarde la possession du souverain bien; il les a faites immédiatement pour soi-même. Voilà donc l'ordre de la Providence divine, de faire les choses insensibles et privées de connoissance pour les intelligentes et raisonnables, et les raisonnables pour la possession de sa propre essence. Donc ce qui regarde la souveraine béatitude, est le dernier accomplissement des ouvrages de Dieu. C'est pourquoi dans le dernier jugement Dieu dit à ses élus : « Venez, les bien-aimés de mon Père, au royaume qui vous est préparé dès la constitution du monde'. » Il dit bien aux malheureux : « Allez au feu qui vous est préparé2,» mais il ne dit pas qu'il fût préparé dès le commencement du monde. Cela ne veut dire autre chose, sinon que la création de ce monde n'étoit qu'un préparatif de l'ouvrage de Dieu, et que la gloire de ses élus en seroit le dernier accomplissement. Comme s'il disoit : Venez, les bien-aimés de mon Père; c'est vous qu'il regardoit quand il faisoit le monde, et il ne faisoit alors que vous préparer un royaume.

Que si nous venons à considérer la qualité de la Providence, nous le jugerons encore plus infailliblement. La parfaite prudence ne se doit proposer qu'une même fin, d'autant que son objet est de mettre l'ordre partout; et l'ordre ne se trouve que dans la disposition des moyens et dans leur liaison avec la fin. Ainsi elle doit tout ramasser pour paroître universelle, tout digérer par ordre pour paroître sage, tout lier pour paroître uniforme; ct c'est pourquoi il y doit avoir une dépendance de tous les moyens, afin que le corps du dessein soit plus ferme et que toutes les parties s'entretiennent. L'imparfait se doit rapporter au parfait, la nature à la grace, la grace à la gloire. C'est pourquoi si les cieux se meuvent 1 Matth., XXV, 34. 2 Ibid., 41.

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