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Polyeucte fut intitulé par Corneille Polyeucte martyr, tragédie chrétienne. Ce titre me rappelle une remarque judicieuse exprimée par l'auteur lui-même : << L'exclusion des personnes tout à fait vertueuses qui << tombent dans le malheur, bannit les martyrs de <«< notre théâtre. Polyeucte y a réussi contre cette << maxime. >>

Le personnage de Polyeucte est peu dramatique, en effet; il ne suffirait pas au drame à lui seul. En disant ceci, je ne prétends pas faire une critique; mais je ne prétends pas non plus infirmer la règle d'Aristote. Entre les personnages tout à fait vertueux et les événements, il y a défaite ou victoire; il ne saurait y avoir cette lutte intestine, ce combat du cœur contre le cœur, qui est, nous l'avons dit, le véritable élément tragique. Il y a chez Néarque et chez Polyeucte des revirements brusques, mais non motivés. Polyeucte parle de son amour pour Pauline, mais il ne sait pas le montrer. Nous aimerions mieux un peu plus de passion pour cette femme, épousée depuis quinze jours, que cet attachement si modéré et si tranquille; il semble qu'il ne lui en coûte rien de la quitter. Il est sublime quand il lègue sa femme à Sévère (1); il le serait plus encore si l'on apercevait en lui quelque trace de combat, et s'il ne venait pas de dire :

Et je ne regarde Pauline

Que comme un obstacle à mon bien (2).
(2) Acte IV, scène II.

(1) Acte V, scène III.

Polyeucte est intéressant par son christianisme; mais son christianisme n'est pas très intéressant. Un peu plus d'humanité, et il nous eût touchés davantage. Le fanatisme emporté qui le pousse à renverser les idoles au moment du sacrifice est un défaut au point de vue dramatique moderne. Il est des époques où la contemplation suffit, et où les idées peuvent tenir lieu de personnages.

Voltaire a dit : « Un martyr qui ne serait que << martyr serait très vénérable, et figurerait très bien << dans la Vie des saints, mais assez mal au théâtre. « Sans Sévère et Pauline, Polyeucte n'aurait point eu « de succès. » Ailleurs encore il le répète :

De Polyeucte la belle âme
Aurait faiblement attendri,

Et les vers chrétiens qu'il déclame

Seraient tombés dans le décri,

N'eût été l'amour de sa femme

Pour ce païen son favori,

Qui méritait bien mieux sa flamme
Que son bon dévot de mari.

Ce qu'il y a de vrai dans le jugement de Voltaire, c'est que l'intérêt dramatique, le drame lui-même, est dans la complication de l'amour de Sévère et de Pauline, dans l'arrivée inopinée de Sévère cru mort et revenu tout-puissant, dans une situation qui fait dépendre le sort de Polyeucte du résultat de la lutte engagée dans ces deux cœurs entre la passion et la vertu. Dans chacun d'eux se pose cette redoutable alternative Polyeucte vivra-t-il? ou succombera-t-il en laissant le champ libre à Sévère ? Une voix secrète

murmurerait oui à cette dernière question, dans l'intimité du cœur de Pauline; mais elle est couverte par la voix impérieuse qui crie: Non, il ne succombera pas. Chez Sévère, la première voix se permet de dire oui; mais le non généreux survient ensuite. Si nous nous arrêtons sur ce détail, c'est qu'il forme le nœud vital de tout le drame. Ce n'est pas même uniquement du sort de Polyeucte que nous sommes préoccupé; il y a là une question plus haute; c'est l'intérêt suprême de la vertu, du bien au point de vue absolu, qui est ici en cause. Voilà l'idée de la tragédie; elle est dramatique, elle est belle. Examinons si l'exécution y répond.

Prenons, l'un après l'autre, les deux personnages de Sévère et de Pauline. Je passe au premier son langage, dont le mauvais goût et l'affectation langoureuse ont été suffisamment critiqués par Voltaire. Il est permis de l'imputer au temps où Corneille vivait, et ce serait peu de chose, si le fond du caractère n'était pas, à mon avis, trop inférieur à celui de Pauline. Je veux bien qu'il ne lui soit pas égal; ni le théâtre ni l'imagination ne se plaisent à une parité complète, et les nobles dévouements sont plus communs chez les femmes. Mais il ne faut pas qu'on puisse penser que les premières affections de Pauline n'ont pas été placées en bon lieu. Tout le monde connaît cette belle apostrophe adressée par Pauline à Sévère : Mon Polyeucte touche à son heure dernière; Pour achever de vivre il n'a plus qu'un moment; Vous en êtes la cause, encor qu'innocemment. Je ne sais si votre âme, à vos désirs ouverte,

Aurait osé former quelque espoir sur sa perte:
Mais sachez qu'il n'est point de si cruels trépas
Où d'un front assuré je ne porte mes pas,

Qu'il n'est point aux enfers d'horreurs que je n'endure,
Plutôt que de souiller une gloire si pure,

Que d'épouser un homme, après son triste sort,
Qui, de quelque façon, soit cause de sa mort;

Et si vous me croyiez d'une âme si peu saine,

L'amour que j'eus pour vous tournerait tout en haine.
Vous êtes généreux; soyez-le jusqu'au bout.
Mon père est en état de vous accorder tout,

Il vous craint; et j'avance encor cette parole,
Que s'il perd mon époux, c'est à vous qu'il l'immole.
Sauvez ce malheureux, employez-vous pour lui;
Faites-vous un effort pour lui servir d'appui.

Je sais que c'est beaucoup que ce que je demande;
Mais plus l'effort est grand, plus la gloire en est grande.
Conserver un rival dont vous êtes jaloux,

C'est un trait de vertu qui n'appartient qu'à vous;

Et si ce n'est assez de votre renommée,

C'est beaucoup qu'une femme autrefois tant aimée,
Et dont l'amour peut-être encor vous peut toucher,
Doive à votre grand cœur ce qu'elle a de plus cher:
Souvenez-vous, enfin, que vous êtes Sévère.
Adieu. Résolvez seul ce que vous voulez faire;
Si vous n'êtes pas tel que je l'ose espérer,
Pour vous priser encor je le veux ignorer (1).

Elle sort ensuite sans attendre sa réponse, et elle fait bien; car elle aurait souffert d'entendre l'exclamation de Sévère :

Qu'est-ce ci, Fabian ? quel nouveau coup de foudre
Tombe sur mon bonheur et le réduit en poudre (2)!

Il se relève sans doute un peu, quand il dit que le prix qu'il espère de ses efforts, c'est

La gloire de montrer à cette âme si belle
Que Sévère l'égale et qu'il est digne d'elle (3).

(1) Acte IV, scène V. (2) Acte IV, scène VI. (3) Ibid.

Mais ce n'est pas assez pour faire revenir sur l'idée qu'on s'est faite de lui; elle n'est pas détruite non plus par le beau parallèle entre le polythéisme et le christianisme, mis dans la bouche de Sévère par Corneille, et qui commence ainsi

La secte des chrétiens n'est pas ce que l'on pense (1).

Nous vous y renvoyons, Messieurs. Mais après tout cela, j'avoue que, pour ma part, je suis pour le bon droit du mari contre l'amour du chevalier romain.

Pauline est la seule physionomie de la pièce. Mais que de vérité, de dignité, de beauté ! Comme elle est bien de la famille des Andromaque, des Monime, des Esther! Corneille n'a su que rarement représenter la femme dans la belle et véritable condition de sa nature morale; il a Chimène, il a Sabine, il a Pauline surtout. La sublimité de ce caractère n'a pas toujours été comprise du premier coup; c'est, je crois, Madame de Sévigné qui cite le mot de Madame : <«< Eh bien! voilà une très honnête femme qui n'aime « pas son mari. » Mais c'est le beau de la chose que, ne l'aimant pas d'amour, elle n'en est pas moins très honnête et plus qu'honnête. Elle honore son mari, elle le vénère, on peut même dire qu'elle l'aime. Il y a, en effet, deux amours; on peut aimer par penchant, on peut aimer par volonté, et les deux sentiments peuvent exister à la fois dans le cœur, quoi qu'en disent les casuistes du genre. Dans tous les cas, Pauline est tout entière au devoir; elle s'y atta

(1) Acte IV, scène VI.

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