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moins parmi les choses que parmi les idées des choses, qui se promène parmi l'apparence, n'est pas une de celles qui démoralisent le plus, et si l'âme ne se vide pas de ce dont l'imagination se remplit. Être sensible à tout, c'est être indifférent à tout : « Je suis «< chose légère, » dit le poëte parlant de lui-même. Ceux qui échappent à ce danger, ceux qui même, chose rare, grandissent comme hommes en grandissant comme poëtes, sont des monuments de la protection divine; mais je remarque avec effroi que quelques-uns des plus grands parmi les poëtes ont été à peine des hommes. Est-ce à dire qu'il n'y ait rien que du talent, en fait d'art et de poésie? Non, certes,

II. PREMIÈRES OEUVRES DE RACINE, LA THÉBAÏDE. (1664.)-ALEXANDRE-LE-GRAND. (1665.)

Deux pièces de vers, dont l'une, la Nymphe de la Seine, parut en 1660, procurèrent à Racine la réalisation de ses vœux, l'entrée à la cour, La Renommée aux Muses est de 1664. Tout cela valut, en outre, à Racine une petite pension. Mais ce n'étaient que des essais. On parle volontiers des illuminations soudaines, des révélations mystérieuses du génie; la plupart des poëtes n'ont pas été menés si violemment à leur but. On avance, on tâtonne, on tente plusieurs sujets les uns après les autres, comme on essaye plusieurs paires de gants avant de rencontrer la bonne. Souvent c'est une circonstance fortuite qui amène l'é

crivain au genre où son vrai talent pourra se déployer dans toute son ampleur, Nous allons voir d'autres tâtonnements de Racine,

La Thebaïde, ou les Frères ennemis, parut en 1664, Les triomphes de la scène étaient alors la gloire littéraire la plus ambitionnée. Racine n'était pas encore affranchi de la tradition de Corneille. Sa pièce présente peu de symptômes de ce qu'il sera bientôt; c'est Corneille affaibli, éventé; on dirait un flacon d'essence mal bouché, qui a perdu le meilleur de son parfum. Le drame est tragique, sans doute; on y compte cinq ou six morts; mais on n'y sent rien de touchant. Le personnage le plus intéressant, Ménécée, qui se sacrifie pour apaiser les dieux et accomplir l'oracle, est précisément celui qu'on ne voit pas. L'intérêt est nul et ne s'attache à personne. Au milieu de ces horreurs se rencontre le ridicule amour du vieux Créon pour sa nièce Antigone. Ce rôle vicieux de Créon est la caricature des héros cornéliens, ou plutôt, ce qui est à remarquer, des héroïnes. Racine a transporté au sexe masculin cette opiniâ– treté, cette satisfaction dans le mal, dont Corneille avait fait l'apanage des femmes. Comme Cléopâtre, comme Léontine, Créon est un être en qui la nature est morte, et qui professe les plus détestables maximes. Et c'est lui qui vient faire, en vers pompeux, le récit de la mort de son fils Hémon! C'est pis que Théramène. Il dit à son confident en parlant d'Étéocle et de Polynice:

Ne t'étonne donc plus si je veux qu'ils se voient :
Je veux qu'en se voyant leurs fureurs se déploient;
Que rappelant leur haine, au lieu de la chasser,
Ils s'étouffent, Attale, en voulant s'embrasser (4).

Et plus tard, en parlant de la mort de ses deux fils :

Oui, leur perte m'afflige;

Je sais ce que de moi le rang de père exige;

Je l'étais mais surtout j'étais né pour régner;

Et je perds beaucoup moins que je ne crois gagner (2).

Certes, c'est bien ici qu'on est tenté de s'écrier :

Voilà, je vous l'avoue, un abominable homme (3)!

Et pour comble, on le voit essayer de se tuer, et mourir, ou peu s'en faut, de douleur, à la nouvelle de la mort d'Antigone. Dans la préface jointe plus tard à sa tragédie, Racine s'excuse en quelque sorte d'avoir fait Créon amoureux; il dit qu'en un sujet pareil «< il « faut jeter l'amour sur un des seconds personnages, « comme il a fait, et qu'alors cette passion, qui de« vient comme étrangère au sujet, ne peut produire << que de médiocres effets. >>

Mais la Thébaïde était son début. Racine ne connaissait encore ni son art, ni les ressources de son génie; il n'avait d'autre idéal que l'idéal créé par Corneille; c'était sur cette voie qu'il espérait les applaudissements. D'ailleurs, il ne savait pas encore exprimer les passions au moyen du style; son style, malgré beaucoup de beaux vers, et même de beaux morceaux, n'a pas dans la Thébaïde la flexibilité et

(1) Acte III, scène VI.

(3) Le Tartufe, acte, IV, scène VI.

(2) Acte V, scène IV.

les nuances qu'il aura plus tard. Déjà, cependant, il annonce un écrivain distingué; il possède de la pureté, de la propriété, de l'élégance, et il diffère, sous ce rapport, de celui de Corneille, d'une manière très marquée. C'est là que la langue poétique moderne commence à paraitre.

Alexandre-le-Grand est de 1665. Ici il y a progrès, quoique la pièce soit dans un genre faux. Racine imite encore, il calque même Corneille, et dans ce que celui-ci a fait de moins vrai; mais le style s'est perfectionné. Alexandre, d'ailleurs, n'est guère plus intéressant que la Thébaïde. Les deux ou trois amours qui occupent la scène sont fastidieux. Qui croirait que dans une pièce où paraissent Alexandre et Porus, et où une bataille décisive se livre entre ces deux princes, l'intrigue consiste dans les prétentions rivales de Porus et de Taxile à la main d'Axiane, et que tout soit subordonné à cet intérêt? Alexandre luimême n'est plus héros et conquérant que pour les beaux yeux de Cléofile; et Porus, le véritable héros de la pièce, quoi qu'en dise l'auteur, est aussi possédé d'une amoureuse langueur pour les divins appas d'Axiane. Le langage de ces amants est celui dont nous avons signalé le ridicule chez Corneille. Cléofile dit d'Alexandre :

Pour venir jusqu'à moi, ses soupirs embrasés

Se font jour au travers de deux camps opposés (1).

(1) Acte I, scène I.

Et Taxile, en parlant d'Axiane ;

Reine de tous les cœurs, elle met tout en armes
Pour cette liberté que détruisent ses charmes;
Elle rougit des fers qu'on apporte en ces lieux,
Et n'y saurait souffrir de tyrans que ses yeux (1).

Ce rôle de Taxile n'est que de la faiblesse sans aucun mélange de grandeur.

L'ensemble de la pièce, cependant, manque plus d'intérêt que de beautés. On y rencontre çà et là de magnifiques vers, qui ne sont point indignes du grand Racine. Il s'y trouve des caractères noblement tracés, Porus et Alexandre sont grands tous deux, Porus surtout. Dans la scène entre Porus, Taxile et Éphestion, Éphestion sollicitant la soumission des princes indiens emploie, en parlant de son maître Alexandre, cette admirable expression :

Mais vous-mêmes, trompés d'un vain espoir de gloire,
N'allez point dans ses bras irriter la victoire (2).

Taxile s'est lâchement rendu; mais Porus fait une réponse pleine de noblesse, dans laquelle il faut signaler ces beaux vers :

Mais nous, qui d'un autre œil jugeons les conquérants,
Nous savons que les dieux ne sont pas des tyrans;

Et de quelque façon qu'un esclave le nomme,

Le fils de Jupiter passe ici pour un homme (3).

Et plus loin, dans la scène dernière, la réponse de Porus à la question d'Alexandre :

Parlez donc, dites-moi,

Comment prétendez-vous que je vous traite?

(1) Acte I, scène I.

(2) Acte II, scène II. (3) Ibid.

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