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Qui de nous, Messieurs, eût d'avance soupçonne Despréaux d'une telle préférence? Et cependant, que de choses sympathiques à un esprit jaloux de la perfection! Simplicité, grâce naïve, choix exquis des épithètes, harmonie facile, tendre et plaintive, quel charme dans ce peu de vers!

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On ne peut le méconnaître, au grand siècle, l'histoire, de même que la nature, est étouffée, mise sous clef. Une organisation politique où un homme seul pouvait dire L'État c'est moi, interdisait la recherche des souvenirs du passé. Et quant à la politique, il va sans dire qu'il n'était permis à l'intérêt pour les affaires publiques de se montrer nulle part; la politique se resserrait dans les limites de la diplomatie; l'intérêt commun à tous n'existait pas. Le peuple avait donné sa démission. Toutefois, on a beau faire, un prestige invincible s'attache à la personne du monarque qui donna son nom à cette grande époque. Quelle fut sa part dans le développement des talents qui illustrèrent son règne? Nous laissons à d'autres cette question à résoudre. Ce qui nous importe à nous, c'est la littérature elle-même, et les éléments qui influaient sur elle. L'éloignement de la politique n'est pas toujours regrettable; la politique est peu littéraire.

Mais ce qui l'est davantage, c'est la science; elle peut fournir à la littérature des matériaux abondants et variés. Elle n'en fournit pas à cette époque; la scission est tranchée, les savants sont peu lettrés, et les lettrés ne sont pas savants. Quelques hommes seu

lement se doutaient peut-être du dommage produit par un schisme pareil; ainsi Cavoie, qui disait, en parlant de Racine et de Boileau, que ce n'est pas avoir assez d'esprit que de n'en avoir que d'une sorte; mais cette remarque est unique. Les prosateurs eux-mêmes n'allaient guère plus loin que les poëtes; ils connaissaient peu de territoires divers. La religion leur offrait un domaine ample et élevé; mais hors de là et des vocations spéciales nous rencontrons peu de variété dans les occupations de leur esprit. Il est vrai que Bossuet s'occupait d'anatomie; mais son jardinier se plaignait de son indifférence pour les fleurs de son jardin. « Il faudrait planter des Saint-Jean-Chry<< sostome pour vous les faire regarder, » lui disait-il. Aussi les allusions, les rapprochements entre les di- + verses classes d'objets manquaient-ils à cette littérature.

Mais si, de notre temps, nous sommes parvenus à un tout autre étage en fait d'universalité, nous payons chèrement la variété d'aspects, la richesse de rapprochements, qui nous plaît si fort. Plus de cette pureté, de cette sérénité noble, de cette énergie contenue, qui marquent le siècle de Louis XIV; c'est un pêlemêle, un fracas de couleurs, un tout-y-va, où la somme de nos forces s'éparpille.

La rupture complète avec le moyen âge est un autre caractère du dix-septième siècle. On lui fait des adieux solennels. Jusqu'à une époque qu'on peut désigner à une année près, la littérature demeure moyen âge; mais depuis Malherbe, elle cesse tout à

coup d'être gauloise. Le caractère de la littérature nouvelle va se composer d'un compromis entre le génie indigène et les souvenirs, les exemples, les imitations plus ou moins infidèles de l'antiquité; heureusement le génie national l'emporte le plus souvent sur le respect des Grecs et des Latins. Malheur à la littérature qui néglige son pays et son temps! Celle du dix-septième siècle est éminemment française.

On peut sans doute reprocher au dix-septième siècle une certaine timidité dans la forme, trop d'asservissement à la tradition littéraire, une déférence trop grande pour les talents, en eux-mêmes inférieurs, de la période intermédiaire. Parfois de vrais génies se règlent moins, pour le style, sur des artistes que sur des artisans; ils n'ont pas secoué l'influence des esprits de second ordre, arrêtés au mécanisme du langage et presque étrangers à la séve de la pensée. Le bon goût même va jusqu'à la tyrannie; par bonheur, le dix-septième siècle eut des tyrans habiles et capables, Malherbe d'abord, Boileau ensuite; toutefois quelque bon que soit un tyran, il abuse toujours de son pouvoir sur quelque point. La prose, il est vrai, échappe en partie à cette influence; mais elle ne laisse pas que de s'en ressentir : le style s'est appauvri; on rejette, d'instinct ou de force, beaucoup d'expressions dont quelques-unes sont heureuses. Reste à décider si une langue en travail d'épuration s'appauvrit réellement en rejetant ses scories. Quelques parcelles de métal précieux se perdent sans doute; mais peut-il en être autrement? Une langue est un effet; tout

effet a une cause; une époque ne peut avoir que la langue de ses idées; et la langue du dix-septième siècle était l'histoire des jouissances les plus délicates, des passe-temps les plus ingénieux d'un monde qui s'appelait Versailles. Ces impressions choisies, ces nuances exquises ne pouvaient se revêtir de termes issus de la rude et grossière existence du peuple. La langue est le fruit de la vie; la vie de ce siècle est, dans un sens, une abstraction,

Telles sont les lacunes de la littérature du grand siècle. Il nous est aisé maintenant de les reconnaître; il nous l'est moins d'apprécier et de goûter les qualités supérieures propres à cette période. Cette grandeur modèle, cette originalité vraie, subsistent, malgré l'influence dominatrice de la tradition, espèce de vasselage accepté, quant à certains détails et à certaines formes, par les génies les plus distingués. Le joug est trop superficiel pour porter atteinte à l'inspiration; ces écrivains ont des précautions extrêmes; ils se soumettent à des lois de pure convention; mais ils ne s'en meuvent pas moins avec aisance. Le siècle de Louis XIV ressemble à un homme dans la virilité de l'âge, qui, une fois ses classes finies et possédant sa grammaire à fond, se conforme, sans en être gêné, à cet ensemble de règles et d'usages auquel il s'était appliqué avant la maturité de ses forces.

En fait de qualités positives, la première à signaler dans la période qui nous occupe, c'est la réunion de la synthèse et de l'analyse. Lorsqu'une littérature a plusieurs siècles d'existence, la critique sur

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vient et trouve matière à s'exercer. La critique a son mérite sans doute, mais elle a aussi ses inconvénients; l'esprit de critique, c'est-à-dire d'analyse, ne laisse pas que de porter atteinte à la spontanéité. Les époques de critique sont périlleuses. Il est fâcheux sans doute de ne pas savoir ce que l'on dit ; mais il est fâcheux aussi de le savoir trop bien. Se mettre à penser pour écrire, c'est renoncer à ses meilleures pensées. La synthèse, espionnée par l'analyse, ressemble à un homme qui s'épanche, qui se prodigue dans une confidence à son intime ami, et puis qui s'interrompt tout à coup pour lui dire : « Je << t'en écrirais bien plus encore si je n'avais derrière «< moi un curieux impertinent qui lit par-dessus mon «< épaule. » Il écrit encore pourtant, mais la digue est posée, l'effusion est comprimée; il peut lui rester du naturel, mais il n'a plus de candeur, la naïveté lui est impossible. Souvent ce qu'il y a de plus beau dans un auteur c'est ce qu'il n'a pas bien compris lui-même. Il y a des choses qu'on sait par intuition, qu'on ne peut savoir autrement et que l'indiscrétion de la réflexion obscurcit ou efface. Ces vérités d'intuition, ces vérités de l'âme sont les plus précieuses; elles seules donnent naissance aux pensées du plus grand prix. On se souvient du mot de Vauvenargues. Notre littérature actuelle en a-t-elle beaucoup de ces << grandes pensées qui viennent du cœur? »> Comment en attendre beaucoup d'un siècle tout intellectuel? A l'âme seule appartiennent les pensées qui réunissent; à l'esprit seul celles qui divisent. Le

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