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rendre la situation du Joueur encore plus effroyable qu'elle n'est dans la pièce anglaise, en lui donnant un fils. Cet enfant, âgé de sept à huit ans, que la mère a laissé dans la prison auprès de son père, pendant qu'elle est allée épuiser toutes ses ressources pour l'en tirer; cet enfant, dis-je, dort paisiblement dans un fauteuil, tandis que son malheureux père livré aux plus cruelles agitations se détermine à finir sa vie par le poison. Contraste beau et vraiment pathétique de l'innocence du premier âge, avec les tourmens d'une vie criminelle! Lorsque Béverley a pris le poison, il aperçoit son fils. Il réfléchit que cet enfant va se trouver exposé à la dernière misère et peut-être au crime. Son sombre désespoir lui persuade que le plus grand service qu'il puisse rendre à son fils, c'est de le garantir à jamais des vicissitudes du sort, en le faisant passer de ce sommeil au sommeil éternel. Obsédé de cette idée, il tire un couteau pour frapper son fils; mais il n'ose achever cet horrible sacrifice. Le couteau échappe de ses mains. L'enfant se réveille tout effrayé. La mère revient, et annonce en vain une révolution aussi heureuse qu'imprévue, arrivée dans la fortune de son mari. Déjà le poison opère, la pâleur de la mort et ses angoisses succèdent à la violence des agitations et des remords, et Béverley expire après une longue et douloureuse agonie.

Le grand défaut de cette pièce, telle qu'elle a été représentée sur notre théâtre, c'est la faiblesse

de l'intrigue el le défaut de naturel et de vérité. Il n'est pas vrai que les choses se soient ainsi passées dans la maison de M. Béverley. Les trois premiers actes se consument en allées et venues perpétuelles et inutiles. Les personnages arrivent sans projet et s'en retournent de même, et se tournent toujours le dos lorsqu'ils auraient le plus besoin les uns des autres. Ce malheureux Béverley a une femme dont il est adoré, une sœur qui s'intéresse vivement à lui; il a dans Léuson un ami sage et ferme qui pénètre très-bien les infâmes projets de Stuckeli, il ne demande lui-même qu'à être retenu sur le bord du précipice qu'il voit toujours entr'ouvert sous ses pas. Il ne se fait pas un seul instant illusion sur sa situation; il aime sa femme et sa sœur; s'il a quelques soupçons sur la droiture de Léuson, un mot, un éclaircissement de deux minutes les détruiraient sans retour: mais personne ne vient à son secours; on l'abandonne sans miséricorde à sa passion, à sa funeste étoile et à la perfidie de Stuckeli. Sa femme n'est là que pour faire parade d'une fausse délicatesse, d'un faux calme, d'un faux désintéressement, qui ne sont pas dans la nature. On attache une trop grande importance au sacrifice qu'elle fait de ses diamans, assez bêtement, puisqu'ils sont joués et perdus un moment après; ou plutôt le poëte n'a pas su tirer parti de ces diamans. Si Sedaine s'était mis dans la tête de les employer, vous verriez quel rôle ils auraient joué. Du moins fallait-il qu'en les enlevant à sa femme, Béverley eût dé

couvert qu'une partie de ces bijous avait déjà servi à soutenir cette femme malheureuse dans l'indigence, et à payer par exemple les maîtres de son fils. Si l'on pouvait passer au poëte l'affaire des diamans, madame Béverley est du moins inexcusable de laisser entre les mains de son mari, les cent mille écus qui arrivent de Cadix, au point nommé selon le bon et plat plaisir du poëte. Le vieux Jervis aussi ne sait qu'offrir sa petite fortune au joueur j'ai connu ce vieux bon homme, et je vous assure, M. Saurin, que c'est à madame Béverley et non à monsieur qu'il faisait ses offres de service. Il faisait mieux; il la secourait à son insu, mais au su de tous les spectateurs qui n'étaient rien pour lui: mais jamais il n'aurait eu assez peu de sens pour offrir de l'argent à M. Béverley, afin de nourrir et de fortifier sa fatale passion. Vous me direz qu'en suivant mes mémoires vous auriez eu bien de la peine à conduire votre joueur jusqu'au désespoir et jusqu'au poison; mais c'était là la tâche du génie que le défaut de force comique ou tragique, comme vous voudrez, ne vous a pas permis de remplir. Un des grands défauts de votre pièce aussi, c'est que votre joueur n'est point aimable, ni par conséquent intéressant. Il fallait lui donner toutes les vertus possibles, tous les agrémens dont une seule passion funeste aurait terni tout l'éclat. Il n'est dans votre pièce que joueur et perdant, et jouant et perdant encore peu m'importe qu'un tel homme s'empoisonne. Votre tableau en général est sombre,

terne, noire, par-tout de la même couleur et par conséquent de peu d'effet.

M. Saurin a écritsa pièce en vers libres. Je pense que cela n'a pas peu contribué à en affaiblir l'effet; on n'est pas dédommagé du défaut d'énergie et de concision, de la prolixité et du ba vardage que la versification entraîne, par ces expressions et tournures prétendues poétiques qu'un homme de goût supporte encore plus difficilement. En général la pièce de M. Saurin est un peu vide d'idées et de sentimens, il règne par-tout une grande aridité; c'est qu'une pièce empruntée dont le sujet n'est point né dans la tête du poëte, se ressent presque toujours de la privation de ce suc premier et créateur qui répand la vie tout autour de lui. Si cela n'était point, les copistes seraient au premier rang confondus avec les auteurs originaux. Ceux qui n'ont pas beaucoup réfléchi ont cru que cette aridité et l'ennui pénible qui en résulte, étaient une suite de l'horreur du sujet, et ont dit qu'il fallait réserver ces sortes de spectacle pour la Grève. On leur a répondu que ce sujet n'est pas plus horrible que celui de la tragédie de Mahomet; et cela est vrai, mais la manière des deux poëtes est très-différente elle fait que l'un vous révolte et vous dessèche, quand l'autre vous touche et vous attendrit.

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M. Saurin a tiré l'épisode de l'enfant du roman de Cléveland. Autant que je puis me le rappeler, il y a là aussi un père mélancolique qui craint de laisser ses enfans exposés après lui, aux caprices

du sort. Mais si la situation du roman est plus vraie, le tableau de la pièce me paraît plus beau; cet enfant dormant paisiblement dans la prison est d'un bel effet. Avec plus de goût l'auteur n'aurait fait remarquer cet enfant ni par sa mère ni par le vieux Jervis; moins les acteurs auraient fait attention à cet enfant, plus il eût été pathétique pour les spectateurs. Je ne sais s'il est bien dans la nature que l'idée de tuer son fils vienne à ce père coupable après le poison pris; elle eût été plus vraie, ce me semble, pendant les accès qui précèdent cet instant fatal: car au moment où le sacrifice de la vie est consommé, l'homme moral perd sa force, l'homme physique recouvre la sienne; et cette révolution soudaine rompt toutes les liaisons morales, isole cet être composé qu'on appelle homme, et le rend tout-à-fait personnel. Alors toutes ses idées, toutes les facultés de son âme sont concentrées dans l'idée de sa propre destruction; et l'intérêt de tout autre objet disparaît, ou du moins s'affaiblit considérablement. Je conçois qu'un père désespéré forme le projet de tuer ses enfans et de se donner la mort ensuite; mais je soutiens qu'il ne les frappera jamais, s'il commence par se porter le premier coup.

Je doute aussi que le suicide soit en lui-même intéressant au théâtre. Il n'est ni moral ni pathétique dans la réalité. Qu'est-ce que cela m'apprend, ou qu'est-ce que cela me fait qu'un homme ennuyé de la vie ou travaillé par le désespoir se tue? Rien. Ma curiosité satisfaite sur les circons

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