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les envieux de notre gloire qui voudraient persuader à l'Europe qu'il n'y a plus de génies créateurs en France. Si l'auteur, qui a la modestie de ne se pas nommer, veut encore, comme il le doit, avoir soin d'employer avec précision et exactitude la véritable nomenclature de chaque chiffon, nous aurons à la fin de l'année, un dictionnaire des modes des plus curieux, et un monument éternel de la richesse de la langue française. Les derniers bonnets des dames étaient, si je ne me trompe, des bonnets à la débácle, à cause de la débâcle de la Seine de l'hiver dernier. Mais il y a eu depuis cette époque, peut-être, nombre de découvertes importantes et nouvelles que je suis assez malheureux pour ignorer encore. La lecture du Courrier de la Mode me tiendra désormais au courant de cette science également profonde et agréable. La souscription pour ce journal n'est que de trois livres par an; mais quand on pense à combien de millions d'ames en Europe et en Amérique ce journal est indispensablement nécessaire, on prévoit que moyennant un petit privilége exclusif pour les deux hémisphères, le profit de l'auteur sera immense, sans compter les présens que les marchandes de modes feront à madame son épouse, s'il en a une, comme je l'espère. Mais je crains toujours qu'un génie ennemi de notre instruction et de notre gloire, ne s'oppose à une entreprise si utile et n'étouffe ce projet dans son berceau : le premier Journal du Courrier de la Mode de

vait paraître au commencement d'avril; et voilà le mois qui avance sans que le Courrier ait fait claquer son fouet.

On vient de publier une brochure intitulée : Lettres de milady Worthley Montague, écrites pendant ses voyages en diverses parties du monde, traduites de l'anglais; troisième partie, pour servir de supplément aux deux premières; volume in-12 de deux cents pages. Milady Montague est cette fameuse ambassadrice d'Angleterre à Constantinople, qui, au retour de ses voyages, fit présent à sa patrie, de l'inoculation de la petite vérole bienfait qui, répandu aujourd'hui sur toute l'Europe, mériterait seul l'immortalité, si la grâce de son style et ses lettres pleines d'agrément, d'intérêt et de philosophie n'assuraient à milady Montague une place distinguée parmi les écrivains de sa nation. Malgré la traduction maussade qu'on a faite ici de ces lettres, il y a quelques années, elles ont eu le succès le plus grand et le mieux mérité. Il serait à désirer que le traducteur de cette troisième partie qui est, je crois, M. Suard, eût traduit la totalité, il eût été capable de faire passer en français cette manière distinguée et pleine d'attraits qui caractérise les lettres de milady Montague. Mais c'est une plaisanterie de nous avoir donné cette troi→ sième partie comme une suite de ses lettres. Elle n'en contient que six dont le fond n'est pas

même

fort intéressant', quoique la manière le soit toujours. On dit que milord Bute possède des trésors immenses de la plume de cette femme célèbre; mais qu'il ne permettra jamais qu'ils deviennent publics. C'est nous faire un tort réel que de nous priver des productions d'une plume si séduisante; cette avarice, quels qu'en soient les motifs m'oblige de me ranger du parti de M. Jean Wilkes, que j'ai cependant assez connu pendant son séjour en France, pour n'en pas faire un cas infini. L'éditeur de cette troisième partie n'ayant pas de quoi la remplir par les lettres, a traduit un discours de milady Montague sur cette maxime du duc de la Rochefoucault; Il y a de bons mariages, mais il y en a peu de délicieux. Vous lirez ce discours avec plaisir; mais il n'a pas le charme des lettres : milady y combat le sentiment de M. de la Rochefoucault. Le reste de la brochure, et c'en est la moitié, consiste dans une lettre à M. Bourlac de Montredon, par M. Guys, négociant de Marseille. Cette lettre répond à une critique fort étendue des lettres de milady Montagne, envoyée au Journal encyclopédique, par M. le baron de Tott. Ce jeune homme, malgré son nom allemand, s'est comporté en véritable petit - maître français. Il a passé plusieurs années à Constantinople, à la suite de M. le chevalier de Vergennes', ambassadeur de France. A son retour à Paris, il y a deux ou trois ans, il a pris à tâche de décrier les lettres de milady Montagne, comme un recueil de mensonges qui ne peut donner que des idées

fausses sur les mœurs et le gouvernement turcs. Il est depuis, je crois, retourné en Turquie, et s'est chargé d'une commission auprès du kan des Tartares. Les gazettes disent aujourd'hui qu'il se trouve parmi les confédérés de Podolie; il fera bien de ne se pas laisser prendre par les Cosaques. M. Guys, dans sa lettre aussi solide que polie, prouve qu'on ne peut rien ajouter à la présomption, à la témérité, à la précipitation et à l'ignorance avec lesquelles M. de Tott a jugé les lettres de milady Montague. M. Guys a long-temps vécu à Constantinople; il a plus de jugement dans son pelit doigt que M. de Tott dans tout son crâne. Ainsi, je m'en tiens au sentiment de M. Guys, et donne quittance à M. de Tott de l'ouvrage qu'il nous promet, sur le gouvernement et les mœurs des Turcs.

Paris, 1er. mai 1768.

PARMI les différentes histoires qu'on a débitées ici depuis deux mois, sur le compte de l'illustre patriarche de Ferney, il y en avait une presque prophétique et d'ailleurs très-merveilleuse. On disait que M. de Voltaire, se promenant, après le départ de madame Denis, solitairement aux environs de son château, avait rencontré un chartreux, et qu'après s'être entretenu avec lui fort long-temps, il avait quitté Ferney en secret, et s'était rendu à la grande Chartreuse en Dauphiné, pour y prendre l'habit de novice. C'était le second tome de la conversion de saint Paul, excepté que le Saül de Ferney n'était pas renversé de son cheval, parce qu'il était à pied, et que Jésus-Christ avait pris cette fois-ci l'habit de saint Bruno pour triompher d'un ennemi non moins redoutable que l'ancien Sail.

Ce conte ridicule eut l'air d'une prophétie, lorsqu'on apprit, peu de jours après, que M. de Voltaire avait fait ses pâques le jour de Pâques. même avec toute la ferveur d'un prosélyte et toute la pompe d'un seigneur de paroisse. Il avait fait venir de Lyon six gros cierges; et les faisant porter devant lui avec un missel, escorté par deux gardes chasse et suivi de tout son nombreux domestique, il s'est rendu à l'église de Ferney où il

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