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suis très-éloigné de croire, que maman Denis, malgré sa laideur amère, a toujours été fort galante, ce que je serais encore plus éloigné de lui reprocher, il faut du moins supposer des choses vraisemblables, et se persuader qu'il arrive un âge où l'on est revenu des erreurs de la jeunesse, et où l'on sait faire la différence entre un oncle, le premier homme de la nation et à qui on doit tout, et un jeune étourdi, qui ne fera de sa vie ni la Henriade ni la Pucelle. Je sens cependant que j'aurai toujours un peu de peine à pardonner à maman Denis d'avoir laissé son oncle à la merci d'un ex-jésuite; et je pense que quand M. de Voltaire l'aurait chassée de sa maison par une porte, elle aurait dû y rentrer par l'autre, et ne jamais consentir que l'existence d'un homme si précieux à toute l'Europe, fût abandonnée aux soins de ses valets et d'un père Adam.

Il n'est plus douteux aujourd'hui que madame Denis ne fixe sa résidence à Paris, avec sa maussade pupille, madame Dupuits; elle vient de louer une maison dans la rue Bergère. Il est certain aussi que M. de Voltaire est résolu de vendre la terre de Ferney, et qu'il est déjà entré en marché avec diverses personnes de Genève. Reste à savoir s'il compte s'établir dans la vilaine maison de Ferney qu'il a achetée à vie, et qui est tout à côté de Ferney, ou s'il a pris le parti de quitter tout-à-fait le royaume et le canton où il s'est si bien trouvé depuis une quinzaine d'années. Il est

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certain encore qu'il écrit fréquemment et presque par chaque courier à sa nièce, et qu'il lui fait vingt mille livres de rente, payables tous les ans à Paris, indépendamment d'une somme de soixante mille livres qu'il lui a donnée en partant; ce qui, joint à sa propre fortune, qui, à coup sûr, n'a pas diminué pendant les quinze années qu'elle a passées auprès de son oncle, la met en état d'avoir à Paris, une maison fort honnête.

Cette nièce, que sa résidence auprès de son oncle a rendue célèbre, est veuve d'un commissaire des guerres elle a passé sa jeunesse à Lille, où son mari exerçait sa charge; elle jouaillait autrefois du clavecin, et passait pour habile dans le temps où une pièce de Couperin ou de Rameau était regardée comme le chef-d'oeuvre de l'exécution musicale. Dieu la fit sans esprit, et la doua d'une ame bourgeoise, ornée de toutes les qualités assortissantes: elle est ce qu'on appelle dans la société, une bonne femme, expression qui ne suppose aucune vertu, aucune bonté effectives. La naturé l'avait faite pour végéter paisiblement, faire sa partie de piquet avec les commères du voisinage, et s'entretenir des nouvelles insipides du quartier; mais le hasard lui ayant donné pour oncle le premier homme de la nation, elle a appris à parler de belles-lettres et de théâtre comme un serin apprend à siffler. Dans le temps que M. de Voltaire était à Berlin, elle fit une comédie, que les comédiens, par attachement pour cet homme

illustre, ne voulurent pas jouer. Lorsque la Coquette corrigée, de feu Lanoue, parut au théâtre, madame Denis prétendit que les plus belles situations et les meilleurs vers de sa pièce lui avaient été pillés : elle a fait depuis, pendant son séjour à Ferney, une tragédie qu'elle n'a jamais pu faire lire à son oncle, quelques instances qu'elle lui en ait faites.

Le mouvement singulier que la révolution arrivée au château de Ferney a excité dans le public, m'a fait entrer dans ces détails minutieux, mais intéressans, parce qu'ils regardent l'homme le plus célèbre de l'Europe. C'est parmi tant de bruits confus et divers tout ce qu'il y a de vrai et de certain jusqu'à présent.

La Guerre de Genève, qui a causé le renvoi de M. de La Harpe, de Ferney, s'est imprimée à Genève depuis la pacification des troubles de cette république : elle consiste en cinq chants; ainsi, il y en a deux de nouveaux que nous ne connaissons pas. Je n'ai pu encore voir cette édition dont il existe cependant un exemplaire dans Paris. On dit qu'il y a des détails de poésie précieux et charmans dans les deux nouveaux chants; mais qu'ils sont d'ailleurs médiocres pour le goût et l'invention. L'auteur a enrichi son poëme de notes, dans lesquelles on dit que M. Rousseau est extrêmement mal traité. On dit aussi que l'éditeur promet un sixième chant, quoique le poëme paraisse fini. Je crois être à peu près sûr que ce poëme a beau

coup plus d'étendue, et qu'il y a des chants où les plénipotentiaires des trois puissances médiatrices jouent des rôles assez plaisans et assez comiques; mais, à moins qu'il ne se trouve un second La Harpe aussi heureux dans son larcin que le premier, je crois que nous courons risque de ne voir de long-temps ce poëme tout entier.

M. de Sartine, conseiller d'état et lieutenant général de police, s'est occupé depuis nombre d'années du projet de mieux éclairer la ville de Paris, pendant la nuit. Le problème n'est pas aisé à résoudre quand on ne peut ou ne veut pas y mettre l'argent nécessaire. Après bien des essais, ce digne magistrat s'est fixé à une espèce de lanternes à réverbères qui éclaireraient en effet fort bien, si elles étaient un peu plus rapprochées. Mais la pauvreté de la caisse publique exige qu'elles soient placées à une grande distance les unes des autres, afin de regagner sur leur petit nombre l'augmentation de dépense qu'elles entraînent : elle oblige encore à ne changer les nouvelles lanternes contre les vieilles, que peu à peu. Cette misère n'est pas la marque d'un temps infiniment heureux. Plusieurs habitans des principales rues se sont cottisés librement, pour faire le premier achat de ces lanternes nouvelles, et pour en jouir dès à présent. Voici une chanson qui a couru dans le public:

CHANSON à l'occasion des nouvelles lanternes de Paris, sur l'air des pendus.

Or, écoutez petits et grands
L'histoire d'un événement
Qui va pour jamais être utile
A Paris notre bonne ville:
Nous, nos neveux en jouiront;
Les étrangers admireront.

Jadis vingt verres joints au plomb
Environnaient un lumignon

Qui, languissant dans sa lanterne,
Rendait une lumière terne :
Cela satisfit nos aïeux;

C'est qu'ils ne connaissaient pas mieux.

Parut un monsieur Rabiqueau,
Lequel en creusant son cerveau,
Parvint, par l'art du réverbère,
A renvoyer une lumière

A laquelle de deux cents pas
On lisait dans les Colombats. (1)

De police un ministre actif,
A tout bon avis attentif,
D'après cela forme en sa tête
Son projet, et fait force enquête,
Force essais pour trouver le bon
De la moins coûteuse façon.

Enfin il le trouve à souhait;
Mais après tout son calcul fait
De l'argent et de la dépense,

(1) Petits almanachs ainsi nommés du nom du libraire.

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