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ce calme ou plutôt dans cette froideur et cette apathie, où l'on peut tout entreprendre sans craindre d'être troublé par d'importuns préjugés et par les sots remords qu'ils produisent : ce qui est la perfection de la philosophie.

Tous les assistans étoient dans une espèce d'ivresse. Voilà le moment, dit Voltaire à d'Alembert; allons de la hardiesse, notre succès est infaillible.

D'Alembert se lève : vous avez entendu, dit-il, notre digne et illustre chef; «< ce n'est pas ici de > la philosophie froide et parlière, mais de la » philosophie en action.» (lett. à Volt., 31 octobre 1761.) Il conclut en proposant d'élever une statue à son ami, pour prix des services importans qu'il venoit de rendre au genre humain. Vous la mériteriez bien davantage, lui dit Voltaire; au reste, ajouta-t-il, avec une modestie touchante, ce ne sera pas à moi, mais à la philosophie que ce glorieux monument sera érigé. (Corresp.) La motion de d'Alembert fut décretée à l'unanimité, et aussitôt, on écrivit dans toutes les contrées de l'Europe pour quêter des souscriptions.

Les amis du grand-homme ne doutoient pas du succès déjà ils voyoient cette statue sortir des mains de l'artiste toute rayonnante de gloire. Combien dans ce moment Voltaire parut grand à leurs yeux ! Qu'étoient auprès de lui tous les écrivains qui l'avoient précédé ? Nul n'a

voit obtenu un tel hommage de ses contem. porains. Quel coup pour les fanatiques !

Les souscriptions ne manquèrent pas à nos sages, Rousseau lui-même qui avoit souvent déclaré qu'il n'aimoit ni n'estimoit Voltaire, envoya la sienne que Voltaire refusa fièrement, malgré tous ses amis. (Ibid.) Frédéric qui avoit chassé autrefois de ses états ce chef des philosophes, et qui lui avoit fait subir à Francfort par la main d'un de ses officiers un traitement ignominieux pour l'un et pour l'autre, offrit également sa souscription. Voltaire n'eût garde de la rejeter; C'étoit lui-même qui l'avoit sollicitée par l'organe de son ami d'Alembert, afin, disoit-il, de faire réparer à ce prince par une action éclatante, son ancienne conduite qu'il regardoit comme une insulte faite à la philosophie. (Ibid.)

« Vous rompez, disoit le savant Leclerc à >> Collins et à quelques françois libres penseurs >> qui lui avoient fait une visite dans l'espérance » de le gagner à la philosophie, vous rompez » les plus sûrs liens de l'humanité ; vous appre» nez à secouer le joug des lois; vous ôtez les » motifs les plus pressans à la vertu, et vous en> levez aux hommes toute leur consolation et » que substituez-vous à la place? Vous vous » figurez sans doute qu'on vous érigera des statues » pour les grands services que vous rendez aux >> homines mais je dois vous déclarer que le rôle

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> que vous jouez vous rend méprisables et odieux » à tous les hommes.» Les philosophes pouvoientils mieux faire sentir l'impertinence de ce discours qu'en érigeant une statue à leur digne chef?

On peut se figurer les transports de joie auxquels se livrèrent nos philosophes lorsqu'ils virent pleuvoir les souscriptions. Ce triomphe éclatant de la philosophie fut célébré par des chants de réjouissance. «On se répandit en admiration sur la » révolution que le génie du grand-homme alloit > opérer, et l'on convint que c'étoit le premier > titre de sa gloire. Il donne le ton à son siècle, > disoit-on; il se fait lire dans l'anti-chambre > comme dans le salon; » (Euv. chois. de La Harpe, t. 1.) c'est lui qui va rendre la raison populaire. «En apprenant au peuple à penser, il > lui fera connoître l'usage qu'il doit faire de ses > forces. Le genre humain lui devra des obligations → éternelles.» (Merc. de France, 7 août 1790.)

Entouré de ses nombreux admirateurs, Voltaire ne pouvoit parler tant il étoit ému. On l'emporta au théâtre et jusque sur la scène..... Un histrion sortit de sa place; et s'érigeant de lui-même en représentant de la nation françoise, il mit une cou-. ronne sur la tête de ce nouveau roi; reçois-la, lui dit-il,

Il est beau de la mériter,

Quand c'est la France qui la donne.

Vous voulez donc me faire mourir de gloire, dit » le grand-homme; et s'adressant à d'Alembert, » le Nazaréen a-t-il reçu autrefois de semblables >> honneurs ? >>

CHAPITRE IX.

Septième séance. De la morale des philosophes.

« La société de nos sages, consolée de la » perte de Rousseau, et peu sensible à l'ingrati» tude dont il faisoit profession trouvoit en elle» même les plaisirs les plus doux que puissent >> procurer la liberté de la pensée et le commerce » des esprits.» (Mém. de Mar.,l. vii, t. 2, p. 311.) Ils se rassemblèrent de nouveau. Pour échauffer leur philosophie, Voltaire reprit le sujet qui le jour précédent leur avoit inspiré un si vif intérêt. <«< Il lut quelques chants du poëme de Jeanne : » cette lecture eut pour eux un charme inexpri» mable. Chamfort chanta quelques-unes de ses >> chansons impies et libertines : tout fut applaudi, » parce que tout faisoit rire : les grandes dames >> écoutoient sans avoir même recours à l'évan» tail: » (Mém. de Mar. et œuv. chois. de La Harpe, t. 1.) tant la raison avoit fait de progrès.

Les génies de nos sages étoient donc à la hauteur. Réduisons promptement en système, dirent-ils, les vives émotions que la philosophie

nous fait éprouver dans ce moment. Secrétaires, prenez la plume: écrivez le code de morale qui doit régir désormais toutes les sociétés. Ils s'assirent en disant ces mots; et prenant pour la première fois une gravité de philosophes ou plutôt de législateurs, ils dictèrent du ton le plus imposant les maximes suivantes :

La morale, dit La Métrie, tire son origine de la politique, comme, les lois et les bourreaux,>> Cruelle invention que cette politique; s'écrią un autre philosophe, sans elle nous serions bien à notre aise « mais elle n'est pas si commode : » que notre philosophie. La justice est sa fille ; » les gibets et les bourreaux sont à ses ordres, » Q homme ! crains-les plus que ta conscience et » les dieux. » (Disc. sur la vie heur. 94 et 95.)

Fais plus encore, ajouta un troisième philosophe; «méprise, foule aux pieds les idées de justice » et d'injustice, de vertų et de vice, de gloire et » d'infâmie ; ces idées sont purement arbitraires » et dépendantes de l'habitude.» (lett. de Tras.)

Non, reprit le second philosophe; «il n'y a > ni vice, ni vertu; il n'y a ni bien, ni mal » moral; ni juste, ni injuste; tout est arbitraire » et fait de main d'homme.... Lorsque je fais le » bien ou le mal, que je suis vicieux le matin, » vertueux le soir, c'est mon sang qui en est » cause, c'est ce qui l'épaissit, l'arrête, le dissout » ou le précipite.... Par rapport à la félicité, le

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