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dant, si quelquefois je rencontrais des gens qui, pour me séduire, s'attachaient à me réciter quelques-uns des plus beaux passages de la Jérusalem délivrée, alors, je l'avoue, je me sentais agréablement ému; mais toujours, et par-dessus tout, fidèle à ma secte, je détestais ensuite ma complaisance, comme un de ces mouvemens pervers qu'élève en nous la corruption de la nature humaine, et que la vertu nous ordonne de combattre et de repousser. C'est ainsi que je passai ce période de la vie, pendant lequel nos jugemens ne sont guère qu'une imitation de ceux des autres. Lorsque je fus parvenu à combiner moimême mes idées, à les peser dans la balance de mon propre esprit, le désœuvrement, le désir de varier mes occupations, plutôt que l'espérance d'aucun plaisir ou la perspective d'aucun avantage, me décidèrent enfin à lire la Jérusalem. Je n'essaierai pas de vous peindre ici l'étrange bouleversement que cette lecture opéra dans mon ame. Cette action grande et unique, clairement et vivement exposée, savamment conduite, parfaitement terminée, qui s'offrait à moi dans son ensemble, comme dans'

un vaste tableau; la variété des événemens dont elle se compose, et qui l'enrichissent sans la diviser; la magie d'un style toujours pur, toujours clair, toujours élevé, toujours harmonieux, et qui, soutenu par sa propre force, sait communiquer de la noblesse aux objets les plus simples et les plus communs; ce coloris si vigoureux qui brille sur tout dans les comparaisons et les descriptions; cette évidence de narration qui séduit et persuade; des caractères si vrais,, si bien soutenus; le bel enchaînement des idées ; tant de science, tant de jugement, et surtout cette force prodigieuse d'imagination qui, loin de s'épuiser, comme il arrive ordinairement dans les travaux de longue haleine, semble aller toujours en croissant jusques au dernier vers: voilà ce qui me pénétra d'un plaisir dont jusqu'alors je ne m'étais pas formé l'idée, d'une admiration mêlée de respect, d'un vif remords de ma longue injustice, et d'une implacable indignation contre ceux qui croyaient outrager l'Arioste en lui comparant le Tasse. Ce n'est pas que dans celui-ci même je n'aie découvert quelques-unes de ces imperfections inséparables de l'humanité. Qui

peut se vanter d'en être exempt? Pensezvous que son illustre prédécesseur soit sans défauts? Si l'on remarque avec peine dans le Tasse quelques vers trop limés, croyezvous qu'on ne reproche pas quelquefois à l'Arioste de n'avoir pas assez travaillé les siens? On voudrait retrancher des ouvrages de l'un quelques concetti peu dignes de la hauteur de son génie; mais on souffre avec peine dans ceux de l'autre des bouf founeries trop peu décentes pour un écrivain poli. On trouve que, dans le poëine du Tasse, les sentimens amoureux pour raient être exprimés d'une manière un peu moins recherchée; mais on aimerait mieux que l'auteur de l'Orlando les gût peints d'une manière un peu moins naturelle,

Verùm opere in longo fas est obrepere somnum, et ce serait la preuve d'une insigne malveillance et d'une vanité bien pédantesque, que d'aller rechercher sur ces astres lumineux quelques petites taches éparses çà et là, Quas aut incuria fudit,

Aut humana parum cavit natura.

Rien de tout cela, me direz-vous, ne répond à la question que vous m'avez faite. Vous voulez que je vous dise nettement

auquel de ces deux poëmes je crois devoir donner la préférence. Mais je vous ai déjà déclaré, mon cher monsieur Diodati, la répugnance très-naturelle que j'éprouve à hasarder un semblable jugement; et pour vous obéir, sans contrarier mon inclination, j'avais cru pouvoir me borner à vous exposer les différens mouvemens qu'avait fait naître en moi la lecture de ces divins ouvrages; cependant, si cela ne vous suffit pas, je vous dirai, après m'être examiné de nouveau pour vous complaire, quelles sont les dispositions dans lesquelles je me trouve maintenant. Si pour faire parade de sa puissancé, notre bon père Apollon se mettait un jour dans la fantaisie de faire de moi un grand poëte, et qu'il m'ordonnât de lui déclarer librement celui de ces deux ouvrages si vantés que je voudrais prendre pour modèle du poëme qu'il promettrait de me dicter, j'hésiterais certainement beaucoup; mais ce goût naturel et peut-être excessif que j'ai pour la méthode, la régularité et l'exactitude, pourrait bien, je le sens, me faire pencher à la fin pour la Jérusalem délivrée.

DES MOEURS ET DES USAGES

DES CHÉRA QUIS,

NATION INDIGÈNE DE L'AMÉRIQUE

SEPTENTRIONALE.

Les détails qu'on va lire sont extraits de plusieurs relations anglaises, mais particulièrement de celle du colonel Timberlake qui a vécu quelque tems chez ces sauvages.

Le pays des Chéraquis est situé sur les derrières de la Caroline, entre le 32. et le 34. degré de latitude nord, et à 87 degrés 30 minutes de longitude, en comptant du méridien de Londres. Le climat est tempéré et assez chaud en été. Le sol est si fertile que les femmes y sont chargées de tous les travaux de l'agriculture. La terre y produit presque sans culture plusieurs sortes de grains et de légumes; les prairies sont arrosées de ruisseaux et de belles rivières qui abondent en poissons, en loutres et en castors. Les forêts, qui sont immenses dans l'Amérique septentrionale, produisent

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