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un bien qu'il ne possédait que pour sa vie. Et vous, monsieur, reprit le Tasse, pour combien de vies possédez-vous le vôtre?

Un savant, Grec de nation, se plaignait à lui de ce qu'il avait insulté les Grecs dans

ces vers:

Or se tu se' vil serva, e il suo servaggio
(Non ti lagnar) giustizia e non oltraggio.

(GER. LIB. C. I. st. 51.)

Il prétendait que c'était de la Grèce qu'é taient sorties toutes les vertus. Oui, ré, pliqua en souriant le Tasse; elles en sont même si bien sorties qu'il n'y en est pas resté une seule.

Un jour dans une société nombreuse, il se tenait éloigné des autres, et gardait le silence d'un air pensif, ce qui lui était assez ordinaire; un des assistans observa à son voisin que ce maintien désignait bien un homme atteint de folie. Le Tasse l'entendit, et lui répondit en le regardant sans s'émouvoir: Connaissez-vous un fou qui ait jamais su se taire?

Un de ses amis lui demandant quel était le premier des poëtes italiens, il répondit l'Ariosté est le second; et sur ce que l'ami

74 SUR LA VIE ET LE CARACTÈRE, etc. insistait pour savoir quel était le premier, le Tasse lui tourna le dos en souriant. On remarquera facilement que la même réponse a été attribuée depuis à plusieurs personnages célèbres.

Un autre jour, on cherchait devant lui quelle était la plus belle strophe de sa Jerusalem, et l'on en citait plusieurs qu'on opposait l'une à l'autre ; un homme qui était présent à cette discussion, s'avisa d'interrompre pour demander quel était le plus beau des vers de Pétrarque :

Infinita è la schiera dè sciocchi.

répondit sur-le-champ le Tasse. (La troupe des sots est innombrable.)

S.

Nous avons cru devoir joindre à cette Notice la traduction d'une lettre de Metastase à un de ses ainis, qui lui demandait son opinion sur l'Arioste et sur le Tasse. Les formes modestes et même timides, qu'un si grand poëte a cru devoir employer en comparant le mérite de deux poëmes écrits dans sa propre langue, pourraient servir de leçon à ces eritiques ignorans et présomptueux, si communs en France, qui prononcent d'un ton si tranchant sur le mérite des plus grands écrivains, quelquefois sans savoir un mot de leur langue.

SUR

L'ARIOSTE ET LE TASSE,

TRADUIT d'une lettre de PIETRO METASTASIO, à Don DOMENICO DIODATI.

de

EN me demandant, mon respectable ami, prononcer sur le mérite de l'Arioste et du Tasse, vous m'imposez une tâche difficile sans consulter assez mes forces. Vous savez quels horribles tumultes s'élevèrent sur notre Parnasse, lorsque le Godefroi du Tasse vint disputer au Roland de l'Arioste la prééminence dont celui-ci était à juste titre en possession; vous savez combien d'écrits les Pellegrini, les Rossi, les Salviati et cent autres champions de l'un et l'autre poëtes, publièrent sur cette vaine querelle. Vous savez que le pacifique Horace Arioste, descendant de Louis, s'efforça inutilement de mettre d'accord les combattans, en leur disant, que les poëmes de ces deux génies divins étaient d'un caractère si divers qu'ils n'admettaient aucup

parallèle ; que Torquato s'était proposé de ne jamais déposer la trompette héroïque, et avait atteint son but avec un art prodigieux; que Louis avait voulu amuser ses lecteurs par la variété du style, en mêlant avec grâce le badin à l'héroïque, et y avait merveilleusement réussi; que le premier avait fait voir tout ce que peut la supériorité de l'art, et le second tout ce que peut le libre essor d'une heureuse nature; que tous deux avaient obtenu à juste titre les suffrages et l'admiration publique, et qu'ils étaient parvenus au faîte de la gloire poétique par des chemins divers, sans se nuire l'un à l'autre. Enfin, vous n'avez point oublié cette distinction célèbre, mais plus brillante que solide, que la Jérusalem est un meilleur poëme que l'Orlando, et que l'Arioste est un plus grand poëte que le Tasse. Mais, si vous vous rappelez toutes ces choses, comment pouvez-vous supposer que je m'arroge le droit de résoudre une question, qui, après tant d'illustres débats, est encore restée indécise? Certes, ce n'est pas à moi à m'ériger en juge pour décider ce grand procés; il me sera cependant permis de raconter historiquement les effets

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qu'a produits sur moi la lecture de ces deux admirables poëmes..

Lorsque je commençai a me livrer au goût des lettres, je trouvai le monde littéraire divisé en deux partis. L'illustre lycée, dont ma bonne fortune me fit d'abord obtenir l'entrée, s'était déclaré en faveur de l'Homère de Ferrare, et soutenait son opinion avec cet excès de chaleur qui est la suite ordinaire des disputes. Mes maîtres, voulant seconder le penchant qui se manifestait en moi pour la poésie, m'indiquèrent l'Arioste comme le modèle que je devais suivre, et prétendaient que l'heureuse liberté de son génie le rendait beaucoup plus propre à féconder mon imagination, que ne pouvait le faire ce qu'ils appelaient la stérile régularité de son rival. Entraîné par une autorité si imposante, frappé d'ailleurs du mérite infini de l'Orlando

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me laissai charmer à tel point que je ne pouvais me lasser de le relire, et qu'au bout d'un certain tems j'aurais été en état d'en réciter de mémoire une grande partie. Malheur alors au téméraire qui eût osé me nier l'infaillibilité de l'Arioste, ou me soutenir qu'il pouvait avoir un rival! Cepen

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