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calme et uniforme, est agitée quelquefois par les petites passions qui troublent le bonheur, rarement par les grands intérêts qui troublent le monde; et si, lorsqu'ils ne sont plus, leur mémoire attire l'attention des hommes, c'est beaucoup plus sur ce qu'ils ont pensé que sur ce qu'ils ont fait.

Mais si, dans des tems bien différens des nôtres, il s'était rencontré un homme qui eût reçu de la nature cette imagination ardente qui fait les poëtes, avec l'extrême sensibilité qui fait les hommes passionnés; s'il réunissait à tous les dons de l'esprit ces singularités de caractère qui accompagnent souvent le talent; si, jeté par sa naissance au milieu des intrigues des cours et des orages des révolutions, les triomphes du poëte étaient sans cesse troublés par les revers du courtisan; si la supériorité de ses talens lui avait suscité autant d'ennemis que d'admirateurs; si, dévoré de la soif de la gloire, il se montrait impatient d'en jouir, et s'irritait des obstacles qui l'arrêtaient dans sa carrière, ón conçoit qu'un

1 Plutôt ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été.

ANDROMA QUE.

tel homme a pu, dans une vie même trèscourte, réunir assez d'alternatives de gloire et d'abaissement, de jouissances et d'amertume, de prospérité et d'infortune, pour répandre sur l'histoire de sa vie un intérêt dont n'est pas susceptible la vie des hommes ordinaires.

Cet homme, c'est le TASSE; c'est sa vie dont je viens de tracer l'esquisse, et je vais développer les traits que je n'ai fait qu'ébaucher. Les Italiens ont écrit de nombreux volumes sur son histoire. Nous ne prenons pas sans doute à sa mémoire le même degré d'intérêt que ses compatriotes. La distance des tems et des lieux a prodigieusement affaibli pour nous l'importance des événemens qui ont influé sur sa destinée ; mais comme les vicissitudes de sa fortune ont toujours été liées avec celles de son génie et de sa renommée, elles paraissent dignes d'attacher dans tous les tems l'attention des hommes sensibles et des amis des arts.

Torquato Tasso ', que nous nommons simplement le Tasse, naquitle 1 1 mars 1544;

Il descendait de l'ancienne maison de Taxis. Les Italiens, qui n'ont pas la. prononciation de l'X, ont fait Tassi, Tasso de Taxis, comme Alessandro ďAlexander.

à Sorrento dans le royaume de Naples, de Bernardo Tasso et de Porcia de Rossi.

La famille du Tasse était ancienne et illustre. Cette circonstance ajoute peu d'éclat à la gloire de son nom; mais elle a eu sur sa destinée une influence qu'il n'est pas indifférent de remarquer.

Une autre circonstance, plus heureuse pour le Tasse, c'est d'avoir eu pour père un des meilleurs poëtes qu'eût alors l'Italie, et l'un des écrivains qui contribuèrent le plus efficacement à mettre en honneur la poésie italienne. Le Dante et Pétrarque avaient les premiers substitué la langue nationale à l'usage ancien de la langue latine; mais malgré le succès général qu'avaient obtenu les écrits de ces deux grands poëtes, leur exemple fut peu suivi; ils firent beaucoup de copistes, et n'eurent point d'imitateurs. Deux causes concoururent à arrêter les progrès de la langue italienne: d'un côté l'ascendant de la cour de Rome, qui n'employait dans tous ses actes que le latin; de l'autre la superstition des savans pour la philosophie platonicienne, qui dominait alors dans les écoles, et dont les dogmes paraissaient trop élevés

et trop profonds pour être écrits en langue vulgaire..

Ce ne fut que plus de cent ans après le Dante et Pétrarque, que les ouvrages de Boyardo, de l'Arjoste et de Bernardo Tasso, soutenus par l'autorité de Laurent de Médicis et du cardinal Bembo, firent triompher la langue vulgaire des préjugés qui consacraient encore l'usage d'une langue

morte..

Bernardo composa des pastorales et d'autres poésies qui eurent du succès. Mais ce qui le plaça au rang des premiers poëtes de son tems, ce fut un poëme intitulé Amadigi, imité d'un roman espagnol, alors très-célèbre, l'Amadis des Gaules..

Son fils.commença dès le berceau à bégayer les vers de son père, et à former son oreille à l'harmonie poétique. Les premiers développemens de son esprit furent étonnans. Les historiens de sa vie en racontent des prodiges: ils disent qu'il n'avait pas encore un an, lorsqu'il commença non seulement à prononcer distinctement et exactement sa langue, mais encore à raisonner et à répondre avec bon sens aux questions qu'on lui faisait; ils disent qu'il n'y avait

dans ses discours rien de puéril que le son de sa voix ; qu'on le voyait rarement rire ou pleurer, et que même, dans les émotions vives de plaisir et de peine qui excitaient en lui le rire ou les larmes, il donnait déjà des marques de la force de caractère et de l'égalité d'ame qu'il a montrée depuis dans ses malheurs. Il est permis de rabattre quelque chose de ces exagérations, trop communes chez la nation et dans le siècle où elles ont été écrites; mais on ne peut pas douter que le jeune Torquato n'ait donné dès ses premières années des preuves d'un génie extraordinaire.

Ses malheurs commencèrent presque avec sa vie. Sa famille avait perdu sa fortune: son père, qui joignait au goût des lettres l'esprit des affaires, avait été obligé de s'attacher à Ferrante San Severino > prince de Salerne. Mais ce prince, à la suite de quelques démêlés avec le vice-roi de Naples, fut obligé de s'expatrier et de quitter le service de Charles-Quint, pour passer à celui du roi de France, Henri II. Bernardo qui le suivit, se trouva enveloppé dans sa proscription; il eut ses biens confisqués comme rebelle, et les frères de sa

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