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fond de son cœur,

il ne se serait pas permis de le faire connaître. Il aurait pu s'appliquer ce beau vers de sa Jérusalem:

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Brama assai, pocc spera, e nulla chiede.

Le dégoût qu'il avait de sa situation s'aigrissait par l'effort qu'il s'imposait pour le dissimuler. Le sentiment d'indépendance qui s'était emparé de lui, et qui sied si bien aux ames élevées et aux esprits supérieurs, était contrarié par un autre sentiment également honnête et noble; c'était celui de la reconnaissance pour le souverain qui l'avait accueilli avec tant de bonté. — Je ne puis consentir à le quitter, écrivait-il à Scipion de Gonzague; mais il y a des choses qui ne peuvent s'écrire. On le voit pendant quelque tems tourmenté de ces incertitudes, et incapable de fixer son esprit sur le parti qu'il doit prendre. Cet état de trouble et d'agitation augmenta son inquiétude naturelle, et donna à la disposition mélancolique qui formait le fond de son caractère,un degré d'activité qui empoisonna le reste de sa vie et en abrégea le cours.

On voit que son imagination se remplit de vaines terreurs et de tristes défiances.

Il se crut entouré d'ennemis et d'envieux. Il imagina que des hommes jaloux de sa réputation et de sa faveur interceptaient scs lettres et faisaient faire de fausses clefs pour s’introduire chez lui en son absence et lui dérober ses papiers. On le voit s'irriter et • s'alarmer de ce que les amis à qui il avait confié son poëme ne le lui renvoyaient pas assez promptement; et les craintes qu`il témoigne à cet égard paraissent justifiées par l'événement. Il apprend tout-à-coup que sa Jérusalem s'imprime sans son aveu dans une cour d'Italie; c'est sur la publication de son poëme qu'il a fondé les espérances de fortune qui le mettront en état de vivre dans l'indépendance; ces espérances se trouvent détruites par une infidélité dont il ne peut accuser que des amis. Son désespoir est au comble. Il va conjurer le duc ́Alphonse d'écrire dans toutes les cours d'Italie pour faire défendre la publication de son ouvrage. Il va jusqu'à le prier de solliciter auprès du pape un bref d'excommunication contre ceux qui lui ont dérobé son manuscrit pour le faire imprimer malgré lui. Mais bientôt, frappé lui-même de l'inconvenance d'une telle mesure, il retire

sa demande. D'autres terreurs s'emparent de son esprit. Il imagine qu'on l'a déféré à l'inquisition; il craint même d'avoir donné lieu aux censures de ce tribunal; sa conscience s'alarme; il court en hâte à Bologne pour se jeter aux pieds du grand, inquisiteur, qui le rassure et lui accorde toutes les absolutions qu'il peut désirer, et qui sont à peine suffisantes pour le

calmer.

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Sans cesse de nouveaux incidens me¬ naient apporter de nouveaux alimens à l'inquiétude de son imagination. Il rencontre un jour dans une rue de Ferrare un homme qu'il soupçonne de lui avoir rendu de mauvais offices; il l'aborde, lui fait des reproches, et veut le forcer de s'expliquer. Celui-ci lui ayant fait vraisemblablement une réponse offensante, le Tasse lui donna un soufflet. Cet homme reçut cet affront sans dire un seul mot; mais quelques jours après il alla, accompagné de ses deux frères, attendre le Tasse au moment où il sortait de la ville; tous trois fondirent sur lui l'épée à la main. Le Tasse était adroit et brave; il se défendit avec un tel succès qu'il blessa deux de ces assassins et les força de s'en

fuir; ils furent même obligés de sortir du territoire de Ferrare. Cette aventure fit un grand bruit, et ajouta à l'estime qu'on faisait déjà de notre poëte. Long-tems on ne parla que de sa valeur, et l'on répétait comme une phrase proverbiale, que le Tasse avec son épée, comme avec sa plume, était également au-dessus des autres hommes.

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Cette nouvelle gloire put flatter l'amour-propre du Tasse, mais ne contribua pas à rendre le calme à son esprit. Dès ce moment, au contraire, il ne goûta plus de repos. Persuadé qu'on en voulait à sa vie, qu'on emploierait contre lui le fer et le poison, il entra dans une sombre méfiance de tout ce qui l'approchait, sur-tout de ses domestiques. Son état était vraiment digne de pitié. On voit dans une de ses lettres, qu'il prié un de ses amis de lui envoyer un domestique dont il puisse être sûr. Il sollicite ce service au nom de l'amitié, de l'honneur, de la religion : c'est une chose, lui dit-il, d'où dépendent mon repos et ma vie. Je vous la demande comme gentilhomme, comme chrétien (Perch'e cavaliero, perch'e cristiano.)

Ce fut peu de jours après avoir écrit cette lettre (juin 1577), qu'une aventure bien plus fâcheuse et moins honorable que la précédente, acheva d'altérer sa raison. Etant un soir chez la duchesse d'Urbin, il voulut tuer d'un coup de couteau un des domestiques de cette princesse, qu'il regardait comme un de ses ennemis. On prévint heureusement le coup; on se saisit du Tasse, et on l'enferma dans une prison. Le désespoir où le plongea sa détention fut si violente, que le duc, touché de compassion, le fit, au bout de deux jours, ramener dans sa maison, en exigeant seulement de lui qu'il se ferait traiter par un médecin.

On a écrit que l'ordre d'emprisonner le Tasse avait été l'effet d'un mécontentement antérieur de la part d'Alphonse; mais cette opinion est démentie par le témoignage même du poëte. Dans un tems postérieur, où il croyait avoir à se plaindre du duc, il écrivait que dans cette occasion ce prince lui avait montré non l'affection d'un maître, mais la tendresse d'un père ou d'un frère. En effet, il emmena le Tasse dans sa maison de plaisance de Bel-riguardo, où il mit tous ses soins à le dis

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