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trop de considération, trop de complaisance pour les penchants très-divers, quelques-uns très-saugrenus, qui persistent avec tant d'éclat au-dessus du singe.

Pensez donc un peu comment la nature, à bonne intention sans doute, a composé son chef-d'œuvre. Elle a mis en nous des instincts qui ont charge de conserver l'individu et l'espèce: or, ces instincts ne sont efficaces que parce qu'ils sont entraînants et impérieux, c'est-à-dire capables de s'emporter, de se pervertir. Ils n'atteignent infailliblement leur but que parce qu'ils ont en eux de quoi le dépasser à outrance. C'est ainsi que les choses sont arrangées, sans que nous y puissions rien, si ce n'est de les comprendre et d'y mettre un certain ordre au moyen des disciplines sociales. Mallebranche, au chapitre des Passions, s'en explique avec force et agrément.

« Le plaisir sensible est le caractère que la na»ture a attaché à l'usage de certaines choses, afin >> que sans avoir la peine de les examiner par la >> raison, nous nous en servissions pour la conser»vation du corps. »

Mais il ne faut pas rechercher ce plaisir hors de propos, et l'abus en est sévèrement admonesté par le même philosophe :

<< Ingrats, dit-il, vous vous servez de la volonté >> immuable de Dieu qui est l'ordre de la nature, >> pour arracher de lui des faveurs que vous ne

» méritez pas : car vous produisez avec une adresse >> criminelle dans votre corps des mouvements qui » l'obligent, en conséquence des lois de l'union de >> l'âme et du corps qu'il a établies, à vous faire >> goûter toutes sortes de plaisirs mais la mort >> corrompra ce corps, et Dieu, que vous avez fait >> servir à vos injustes désirs, vous fera servir à >> sa juste colère : il se moquera de vous à son tour. »

Est-ce que le sarcasme aurait déjà commencé? Voyez donc comme si ce n'était pas assez que l'homme portât un piége en lui-même, il rencontre au dehors mille raisons de s'y prendre et de s'y oublier ce que Pascal appelle le besoin de divertissement. Le fait est qu'entre son milieu et son prochain, l'homme a une condition assez misérable. Il serait inexact de dire que les fleurs et les fruits naissent sous ses pas; encore moins voit-il ses semblables venir à lui la main pleine et ouverte. Mais je n'aime pas les sujets dolents et j'abandonne celuici, qui d'ailleurs a été traité de reste et comme épuisé de nos jours. Il y a, ce me semble, toute une littérature mélancolique, l'élégie coule à pleins bords et les têtes se courbent à l'envi comme si elles portaient le poids de la pensée: un écho, une réminiscence quelquefois sincère de ces illustres éplorés Job, Rachel, Pascal surtout. Je m'en tiens à ceci : que l'homme est heureux comme il est bon, et qu'il ajoute une destinée pitoyable à la nature que vous savez.

C'est pourquoi il surmène avec tant d'acharnement quelques moyens de plaisir, de vertige, que la Providence a cru bien faire de laisser à sa disposition. De là le penchant humain vers toute ivresse, et cet abus de la coupe qui ne devrait en bonne règle que réparer les êtres.

Vous tenez peut-être le cas pour véniel, vous n'allez pas pour si peu dévouer ces tristes coupables aux dieux infernaux. Mais aussi bien gardezvous de provoquer un être ainsi fait et ainsi conditionné à s'épanouir dans toutes ses proportions. Qu'il se cultive et se manifeste à certains égards, soit mais surtout qu'il se borne, qu'il se réduise, qu'il s'efface, tel est l'idéal à son usage. Au surplus, ceci n'est pas une question : nous ne sommes en société, que pour en tirer ce bénéfice d'une contrainte mutuelle, je dirais presque, d'une mutilation universelle.

Cela dit sur l'étiquette du livre, laquelle n'en résume pas mal tout l'esprit, voyons le livre luimême.

Sous ce grand nom de Liberté, il ne traite pas du droit des nations sur elles-mêmes à l'encontre des castes ou des dynasties, mais du droit des individus à l'égard de la société. On suppose un gouvernement né et constitué comme il faut, irréprochable dans son origine et dans son organisation; et l'on

se demande, encore que là tout soit national, quels sont les droits de ce gouvernement sur chacun de nous, quelle est la sphère précise des lois, où commence le domaine inviolable de l'individu? Il ne s'agit plus de peuples à émanciper, mais de minorités à protéger progrès immense, pour le dire en passant, que cet intérêt soit seul menacé.

Les peuples une fois maîtres de nommer le pouvoir législatif et même quelquefois le pouvoir exécutif, ont pu se dire un moment qu'il devenait peu important de limiter un pouvoir devenu national. Mais le doute est né de l'expérience, en face des majorités triomphantes et tyranniques qui ont paru aux États-Unis naturellement, ce doute a pris faveur parmi les classes supérieures menacées d'oppression par le règne du nombre.

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Telle est la question que se posent aujourd'hui certains peuples civilisés entre tous, qui en ont fini avec tout bon plaisir, avec tout égoïsme monarchique ou oligarchique. Au point où ils en sont, se gouvernant eux-mêmes, mettant toutes choses aux voix, le problème est de déterminer le pouvoir du gouvernement, la matière du vote. Ce qui montre à quel point ces peuples sont les supérieurs ou tout au moins les aînés de tout autre, c'est que la tyrannie qu'ils appréhendent est non-seulement celle des lois, ainsi que nous venons de le dire, mais celle de l'opinion. Il n'est tel que la nature de ce souci

pour montrer la qualité de leur progrès : ils redoutent l'abus où d'autres ont à peine l'usage. Ceci constitue dans le livre dont nous nous occupons un aperçu purement britannique qui n'est pas le seul de son espèce, comme on le verra tout à l'heure.

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Cette transaction entre le droit social et le droit individuel ne repose nulle part sur une base fixe et convenue rien n'est plus capricieux, plus variable. Vous ne voyez en aucun pays, à aucune époque, quelque chose comme un principe pour faire la leçon et montrer la limite à ces pouvoirs. C'est le goût des classes dominantes qui décide de ce qu'on mettra dans les lois, c'est-à-dire des règles de conduite qui seront imposées par la force la source principale de ce goût, c'est l'intérêt. Un seul point paraît acquis, fortement revendiqué par la passion d'autrefois, concédé de nos jours par l'indifférence: je veux parler de la tolérance religieuse.

<< Hormis ce point, jamais, dit M. Mill, la com» pétence de la société et celle de l'individu n'ont » été nettement définies. >>

Cela est vrai. Mais cette définition est-elle possible? Je ne le pense pas.

Songez donc, quand vous parlez de l'individu et de la société, qu'il s'agit là de deux puissances telles que la Vie et le Droit. Et vous aspirez à marquer leurs limites! Mais vous ne savez pas même celle des pouvoirs, des juridictions, que vous avez

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