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été férieuse. Ce qui me confirme en mon fentiment, c'eft que le caractére que Planude donne à Efope, eft femblable à celui que Plutarque lui a donné dans fon banquet des fept fages, c'eft-à-dire, d'un homme fubtil, & qui ne laiffe rien paffer. On me dira que te banquet des fept fages eft auffi une invention. Il eft aifé de douter de tout: quant à moi, je ne vois pas bien pourquoi Plutarque auroit voulu imposer à la postérité dans ce traité-là, lui qui fait profeffion d'être véritable par-tout ailleurs, & de conferver à chacun fon caractére. Quand cela feroit, je ne fçaurois que mentir fur la foi d'autrui me croira-t-on moins que fi je m'arrête à la mienne? car ce que je puis, eft de compofer un tiffu de mes conjectures, lequel j'intitulerai, Vie d'Efope. Quelque vraisemblable que je le rende, on ne s'y affurera pas; & fable pour fable, le lecteur préférera toujours celle de Planude à la mienne.

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D'É S O PE

LE

N.

PHRYGIEN.

ous n'avons rien d'affuré touchant la naiffance d'Homere & d'Efope; à peine même fçait-on ce qui leur eft arrivé de plus remarquable. C'eft dont il y a lieu de s'étonner, vû que l'histoire ne rejette pas des chofes moins agréables & moins nécesfaires que celle-là. Tant de deftructeurs de nations, tant de Princes fans mérite ont trouvé des gens qui nous ont appris jufqu'aux moindres particularités de leur vie; & nous ignorons les plus importantes de celles d'Efope & d'Homere, c'est-àdire, des deux perfonnages qui ont le mieux mérité des fiécles fuivans. Car Homere n'eft pas feulement le pere des Dieux, c'eft auffi celui des bons Poëtes. Quant à Efope, il me femble qu'on le devoit mettre au nombre des Sages, dont la Gréce s'eft tant vantée, lui qui enfeignoit la véritable fageffe, & qui l'enfeignoit avec bien plus d'art que ceux qui en donnent des définitions & des régles. On a véritablement recueilli les vies de ces deux grands hommes; mais la plupart des Sçavans les tiennent toutes deux fabuleufes, particuliérement celle que Planude à écrite. Pour moi je n'ai pas voulu m'engager dans cette critique. Comme Planude vivoit dans un fiécle où la mémoire des chofes arrivées à Efope ne devoit pas être encore éteinte, j'ai cru qu'il fçavoit par tradition ce qu'il a laiffé. Dans cette croyance, je l'ai fuivi, fans

retrancher de ce qu'il a dit d'Efope que ce qui m'a femblé trop puéril, ou qui s'écartoit en quelque façon de la bienséance.

Efope étoit Phrygien, d'un bourg appellé Amorium. Il nâquit vers la cinquante - feptiéme Olympiade, quelques deux cens ans après la fondation de Rome. On ne fçauroit dire s'il eut fujet de remercier la nature, ou bien de fe plaindre d'elle: car en le douant d'un très-bel efprit, elle le fit naître difforme & laid de vifage, ayant à peine figure d'homme, jufqu'à lui refufer prefqu'entiérement l'ufage de la parole. Avec ces défauts, quand il n'auroit pas été de condition à être efclave, il ne pouvoit pas manquer de le devenir. Au reste, fon ame fe maintint toujours libre & indépendante de la fortune.

Le premier maître qu'il eut, l'envoya aux champs labourer la terre; foit qu'il le jugeât incapable de toute autre chofe, foit pour s'ôter de devant les yeux un objet fi defagréable. Or il arriva que ce maitre étant allé voir fa maison des champs, un payfan lui donna des figues: il les trouva belles, & les fit ferrer fort foigneufement, donnant ordre à fon fommelier,, appellé Agathopus, de les lui apporter au fortir du bain. Le hazard voulut qu'Efope eut affaire dans le logis. Auffi-tôt qu'il y fut entré, Agathopus fe fervit de l'occafion, mangea les figues avec quelques-uns de fes camarades: puis ils rejetterent cette friponnerie fur Efope, ne croyant pas qu'il fe pût jamais justifier, tant il étoit bégue, & paroiffoit idiot. Les châtimens dont les anciens ufoient envers leurs efclaves, étoient fort cruels, & cette faute très-puniffable. Le pauvre Efope fe jetta aux pieds de fon maître; & fe faifant entendre du mieux qu'il put, il témoigna qu'il demandoit pour toute grace qu'on fur

fit de quelques momens fa punition. Cette grace lui ayant été accordée, il alla querir de l'eau tiéde, la but en présence de fon Seigneur, fe mit les doigts dans la bouche, & ce qui s'enfuit, fans rendre autre chofe que cette eau feule. Après s'être ainfi juftifié, il fit figne qu'on obligeàt les autres d'en faire autant. Chacun demeura furpris: on n'auroit pas cru qu'une telle invention pût partir d'Efope. Agathopus & fes camarades ne parurent point étonnés. 11s burent de l'eau comme le Phrygien avoit fait, & fe mirent les doigts dans la bouche; mais ils fe garderent bien de les enfoncer crop avant. L'eau ne laiffa pas d'agir, & de mettre en évidence les figues toutes crûes encore & toutes vermeilles. Par ce moyen Efope fe garantit: fes accufateurs furent punis doublement, pour leur gourmandife & pour leur méchanceté.

Le lendemain, après que leur maître fut parti, & le Phrygien étant à fon travail ordinaire, quelques voyageurs égarés (aucuns difent que c'étoient des Prêtres de Diane) le prierent, au nom de Jupiter Hofpitalier, qu'il leur enfeignât le chemin qui conduifoit à la ville. Efope les obligea permiérement de fe repofer à l'ombre; puis leur ayant -préfenté une légere collation, il voulut être leur guide, & ne les quitta qu'après qu'il les eut remis dans leur chemin. Les bonnes gens leverent les mains au ciel: & prierent Jupiter de ne pas laisser cette action charitable fans récompenfe. A peine Efope les cut quittés, que le chaud & la laffitude le contraignirent de s'endormir. Pendant fon fommeil il s'imagina que la fortune étoit debout devant lui, qui lui délioit la langue, & par même moyen lui faifoit présent de cet art dont on peut dire qu'il eft l'auteur. Réjoui de cette aventure, il s'éveille en furfaut, & en s'éveillant: qu'eft ceci? dit-il,

ma voix eft devenue libre; je prononce bien un rateau, une charrue, tout ce que je veux. Cette merveille fut caufe qu'il changea de maître. Car comme un certain Zénas, qui étoit là en qualité d'œconome, & qui avoit l'œil fur les efclaves, en eut battu un outrageufement pour une faute qui ne le méritoit pas, Efope ne put s'empêcher de le reprendre, & le menaça que fes mauvais traitemens feroient fcus. Zénas, pour le prévenir, & pour fe venger de lui, alla diré au maître qu'il étoit arrivé un prodige dans fa maison; que le Phrygien avoit recouvré la parole; mais que le méchant ne s'en fervoit qu'à blafphêmer & à médire de leur Seigneur. Le maître le crut, & paffa bien plus avant; car il lui donna Esope, avec liberté d'en faire ce qu'il voudroit. Zénas, de retour aux champs, un marchand l'alla trouver, & lui demanda fi pour de l'argent il le vouloit accommoder de quelque bête de fomme. Non pas cela, dit Zénas, je n'en ai pas le pouvoir; mais je te vendrai, fi tu veux, un de nos efclaves. Là-deffus, ayant fait venir Esope, le marchand dit: eft-ce afin de te moquer que tu me propofes l'achat de ce personnage? on le prendroit pour un outre. Dès que le marchand eut ainfi parlé; il prit congé d'eux, partie murmurant, partie riant de ce bel objet. Efope le rappella, & lui dit: achete-moi hardiment, je ne te ferai pas inutile. Si tu as des enfans qui crient & qui foient méchans ma mine les fera taire: on les menacera de moi comune de la bête. Cette raillerie plut au marchand. II acheta notre Phrygien trois oboles, & dit en riant: les Dieux foient loués; je n'ai pas fait grande acquifition, à la vévité; auffi n'ai-je pas débourfé grand argent.

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Entr'autres denrées, ce marchand trafiquoit d'efclaves: fi bien qu'allant à Ephese pour se dé- ·

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