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Vous êtes en un age où l'amufement & les jeux font permis aux Princes; mais en même tems vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions férieufes. Tout cela fe rencontre aux fables que nous devons à Efope. L'apparence en est puérile, je le confelle, mais ces puerilités fervent d'enveloppe à des vérités importantes. Je ne doute point, MONSEIGNEUR, que vous ne regardies favorablement des inventions fi utiles, & tout enfemble fi agréables: car que peut-on fouhaiter davantage que ces deux points? Ce font eux qui ont introduit les fciences parmi les hommes. Efope a trouvé un art fingulier de les joindre l'un avec l'autre. La lecture de fon ouvrage répand infenfiblement dans une ame les femences de la vertu, & lui apprend à fe connoltre, fans qu'elle s'apperçoive de cette étude, & tandis qu'elle croit faire toute autre chofe. C'est une adresse dont s'eft fervi très-heureusement celui fur lequel Sa Majesté a jette les yeux pour vous donner des inftructions. Il fait enforte que vous apprenez fans peine, ou, pour micux parler, avec plaifir, tout ce qu'il eft néceffaire qu'un Prince fcache. Nous efférons beaucoup de cette conduite; mais, à dire la vérité, i y a des chofes, dont nous espérons infiniment d'avantage. Ce font, MONSEIGNEUR, les qualités que

notre invincible Monarque vous a données avec la nais fance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de fi grands deffeins; quand vous le confidérez qui regarde fans s'étonner l'agitation de l'Europe, & les machines qu'elle remue pour le détourner de fon entreprise; quand il pénétre dès fa premiére démarche jusques dans le cœur d'une Province, où l'on trouve à chaque pas des barrieres infurmontables, & qu'il en fubjugue une autre en huit jours, pendant la faifon la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos & les plaifirs regnent dans les cours des autres Princes; quand non content de dompter les hom mes, il veut triompher auffi des élémens; & quand, au retour de cette expédition, où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner fes peuples comme un Augufte; avouez le vrai, MONSEIGNEUR, vous foupirez pour la gloire auffi- bien que lui, malgré l'impuillance de vos années: vous attendez avec impatience le tems où vous pourrez vous déclarer fon rival dans l'amour de cette divine maîtreje. Vous ne l'attendez pas, MONSEIGNEUR, vous le pré venez: je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage & de grandeur d'ame, que rous

faites paroître à tous les momens.

Certainement c'eft

une joie bien fenfible à notre Monarque; mais c'est un Spectacle bien agréable pour l'univers, que de voir ainfi croître une jeune plante, qui couvrira un jour de fon mbre tant de peuples & de nations. Fe devrois m'étendre fur ce fujet; mais comme le deffein que j'ai de yous divertir, eft plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, & n'ajoûterai aux vérités que je vous ai dttes, que celleci: c'eft MONSEIGNEUR, que je fuis avec za zéle respectueux,

Votre très-humble & très-obéiffant

& très-fidéle ferviteur,

DE LA FONTAINE

LINDU

INDULGENCE que l'on a eue pour quelques-unes de mes Fables, me donne lieu d'efpérer la même grace pour ce recueil. Ce n'eft pas qu'un des maîtres de notre éloquence n'ait desapprouvé le deffein de les mettre en vers. Il a crû que leur principal ornement eft de n'en avoir aucun: que d'ailleurs la contrainte de la poëfie, jointe à la févérité de notre langue, m'embarrafferoient en beaucoup d'endroits, & banniroient de la plu part de ces récits la briéveté, qu'on peut fort bien appeller l'ame du conte, puisque fans elle il faut néceffairement qu'il languiffe. Cette opinion ne fçauroit partir que d'un homme d'ex cellent goût; je demanderois feulement qu'il en relâchât quelque peu, & qu'il crût que les Graces Lacédémoniennes-ne font pas tellement ennemies des Mufes Françoifes, que l'on ne puiffe fou vent les faire marcher de compagnie.

Après tout je n'ai entrepris la chofe que fur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point à conféquence pour moi, mais fur celui des modernes. C'eft de tout temps, & chez tous les peuples qui font profesfion de poëfic, que le Parnaffe a jugé ceci de fon appanage. A peine les fables qu'on attribue à Efope, virent le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des Mufes. Ce que Platon en rapporte eft fi agréable, que je ne puis m'empêcher d'en faire un des ornemens de cette préface. Il dit que Socrate étant condamné au dernier fupplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de certaines fêtes. Cébès l'alla voir le jour de fa

mort. Socrate lui dit, que les Dieux l'avoient averti plufieurs fois pendant fon fommeil, qu'il devoit s'appliquer à la mufique avant qu'il mourût. Il n'avoit pas entendu d'abord ce que ce fonge fignifioit: car comme la mufique ne rend pas l'homme meilleur, à quoi bon s'y attacher? Il falloit qu'il y eût du myftére là-deffous; d'autant plus que les Dieux ne fe laffoient point de lui envoyer la même infpiration. Elle lui étoit encore venue une de ces fêtes. Si bien qu'en fongeant aux chofes que le ciel pouvoit exiger de lui, il s'étoit avifé que la mufique & la poëfie ont tant de rapport, que posfible étoit-ce de la derniére dont il s'agiffoit. il n'y a point de bonne poëfie fans harmonie, mais il n'y en a point non plus fans fictions; & Socrate ne fçavoit que dire la vérité. Enfin il avoit trouvé un tempérament. C'étoit de choifir des fables qui continffent quelque chofe de véritable, telles que font celles d'Efope. Il employa donc à les mettre en vers les derniers momens de La vie.

Socrate n'eft pas le feul qui ait confidéré comme fœurs la poĕfie & nos fables. Phédre a témoigné qu'il étoit de ce sentiment ; & par l'excellence de fon Ouvrage, nous pouvons juger de celui du Prince des philofophes. Après Phédre, Aviénus a traité le même fujet. Enfin les modernes les ont fuivis. Nous en avons des exemples non-feulement chez les étrangers, mais chez nous. Il est vrai que lorsque nos gens y ont travaillé, la langue étoit fi différente de ce qu'elle eft, qu'on ne les doit confidérer que comme étrangers. Cela ne m'a point détourné de mon entreprise: au contraire je me fuis flaté de l'efpérance que fi je ne courois dans cette carrière avec fuccès on me donneroit au moins la gloire de l'avoir ouverte.

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