Obrazy na stronie
PDF
ePub

PUBLIC LIBRARY

ASTOR, LENOX AND

TILDEN FOUNDATIONS

1934

21

VIE

DE LA FONTAINE.

Le rang & les dignités ont souvent jettė

de l'éclat fur de petits hommes qui poffédoient de grands emplois. Les confeils qu'ils reçoivent, les fecours étrangers qui leur viennent, le bonheur même d'une infinité de hazards, & la flaterie, s'empreffent de déguiser leur jufte valeur, & de lier leurs actions aux événemens de l'Hiftoire les plus remarquables. C'est ainsi que leur nom, foutenu des mains de la fortune & décoré d'une gloire qui leur fut abfolument étrangére, parvient à s'échapper de l'oubli. Placés ailleurs, dépouillés de leurs titres & réduits à leurs propres forces, ils n'euffent peut-être rien laiffe de fingulier après eux que la mémoire de leur parfaite inutilité. Car ni l'impor tance des emplois, ni l'amas des circonftances les plus bruyantes, ne nous diftinguent point parmi ceux qui penfent & qui fçavent juger. Pour bien connoître les hommes, c'eft dans leur vie privée, dans lei1

actions les plus fimples & les plus nat elles, qu'il faut les prendre: c'est là

qu'ils n'ont d'autres titres pour être tirés de la foule, que leurs vertus, leurs talens, & leur efprit. C'est là, c'eft dans leur ame que réfident les droits légitimes & perfonnels qu'ils ont à notre eftime: tout le refte n'est point eux; & dans ce fens, il n'eft point de légers détails qui ne foient intéreffans & qui ne caractérifent une partie effentielle de ce qu'ils font. C'eft ce qu'à reconnu La Fontaine en nous donnant la vie d'Efope. Je ne fçaurois mieux faire, en écrivant la fienne, que de fuivre fon exemple. En effet, fouftraire les petites circonftances de la vie d'un Homme illutre, c'eft à mon avis dérober un plaisir véritable aux Lecteurs curieux, & les priver des moyens les plus furs de bien démêler ce qu'il vaut.

C'est pourquoi j'ai tâché, en rejettant toutes puérilités, toutes anecdotes vulgaires, de recueillir la plupart des chofes que "ai trouvées éparfes en différentes fources, & qui m'ont paru les plus propres à peindre l'efprit & le caractere de ce grand Homme, dont la vie fe recontre par-tout fans être nulle part (*).

(*) J'emploie ici l'expreffion dont fe fervit M. l'Abbé d'Olivet, de l'Académie Françoife, lorsque je le confultai fur le projet de donner une vie de La Fontaine ; & je m'en fers avec d'autant plus de reconnoiffance, qu'en ayant lui-même compofé une, très fuccinte à la vérité, dont je me fuis aide, fon jugement juftifie la hardieffe & la néceffite de mon entreprile.

JEAN DE LA FONTAINE nâquit le 8. Juillet 1621, à Château-Thierry, ville de la Brie fituée fur la Marne. Son pere iffu d'une ancienne famille bourgeoife, y exerçoit la charge de Maître particulier des Eaux & Forêts; & fa mere, Françoise Pidoux, étoit fille du Bailli de Coulommiers, petite ville à 13 lieues de Paris.

Son éducation ne fut ni brillante ni fecondée des foins & de l'habileté qui font naître les talens. Mais la nature préferva la force des fiens de l'affoibliffement, & peut-être de l'extinction, où ils auroient pû tomber par l'incapacité des maîtres de campagne, qui ne lui apprirent qu'un peu de latin. C'est tout ce qu'il dût aux premiéres inftructions de fa jeuneffe.

A l'âge de dix-neuf ans, il voulut entrer dans l'Oratoire, l'on ne fçait trop par quelle infpiration. Mais il n'avoit point con- fulté fon caractere, qui commençoit à fe décider, & qui l'éloignoit de tout affujé- tiffement. Les regles & les exercices, en ufage dans cette Congrégation, lui devinrent bientôt un péfant fardeau: fon humeur indépendante ne put s'y plier; il en fortit dix-huit mois après.

Rentré dans le monde, fans choix d'occupations & fans aucune vûe particuliére, fes parens fongerent à le produire. Son pere le revêtit de fa charge; on le maria

[ocr errors]

avec Marie Hericart, fille d'un Lieutenant au Bailliage royal de la Ferté- Milon, qui joignoit à la beauté beaucoup d'efprit. Il n'eut, pour ainsi dire, point de part à ces deux engagemens : on les exigea de lui, & il s'y foumit plutôt par indolence que par goût. Auffi n'exerça-t-il fa charge pendant plus de vingt ans, qu'avec indifférence: & quant à fa femme, qui étoit d'une humeur impérieufe & fâcheufe, il s'en écarta le plus qu'il put, quoiqu'il fit cas d'ailleurs de fon efprit, & qu'il la confultât fur tous les ouvrages qui lui donnerent d'abord quelque réputation. C'eft elle qu'il a voulu dépeindre, dans fa nouvelle de Belfegor, fous le nom de

Belle & bienfaite,

mais d'un orgueil extrême
Et d'autant plus que de quelque vertu
Un tel orgueil paroissoit revêtus.

Souvent les talens fe développent par les infpirations que l'on reçoit dans la jeuneffe. Le pere de La Fontaine aimoit paffionnément les vers, quoiqu'il fût d'ailleurs incapable d'en juger, & plus encore. d'en faire. Cette inclination lui étoit chere; il vouloit la voir renaître dans fon fils qu'il ne ceffoit d'exciter à l'étude de la

« PoprzedniaDalej »