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vie qui lui étoient les plus chères & les plus précieuses. Son repos & fa tranquilité en furent troublés. Il fe vit ifolé, & contraint de pourvoir à fes befoins, devenus plus fenfibles par l'âge, & que l'attention & la générofité de fa bienfaitrice lui avoient laiffé ignorer pendant une bonne partie de fa vie. La néceffité, s'il faut le dire, penfa pour lors l'exiler de fa patrie, & dérober honteufement à la France l'un des génies qui lui ait fait le plus d'honneur. Il étoit auffi connu par fes ouvrages en Angleterre, qu'eftimé par les qualités de fon ame. Madame de Bouillon (*) s'y trouvoit alors avec Madame de Mazarin fa fœur. Elles apprirent que La Fontaine ne vivoit pas commodément à Paris: elles voulurent l'attirer à Londres, & fe joignirent pour cet effet à Madame Harvey (**),

(*) Elle étoit arrivée en Angleterre dès l'année 1687. pour voir fa fœur.

(**) Elifabeth Montaigu, veuve de M. le Chevalier d'Harvey, mort à Conftantinople, où il avoit été envoyé en Ambaffade par Charles II. Cette Dame avoit beaucoup d'efprit & de mérite. C'est elle qui contribua le plus à faire venir en Angleterre Madame de Mazarin, avec qui elle lia enfuite une amitié très étroite. Etant allée à Paris en 1683, La Fontaine eut louvent occafion de la voir chez Milord Montaigu fon frere, Ambaffadeur d'An gleterre. Elle lui donna alors le fujet de la Fable du Renard Anglois, où La Fontaine a fait entrer fon éloge, & qu'il lui adreffa,

au Duc de Devonshire, à Milord Montaigu, à Milord Godolphin, qui tous enfemble s'engagerent à lui affurer une subsistance honorable. Saint - Evremont ne fut pas le dernier à vouloir le féduire. Il lui écrivit plufieurs lettres, & La Fontaine étoit ébranlé, lorsqu'il fut détourné de ce voyage par les derniéres circonstances de fa vie dont je vais rendre compte. (*)

Vers la fin de 1692, il tomba dangereufement malade. Jusqu'alors il n'avoit guères porté fa vûe fur le culte ni fur les objets de la Religion; & les affaires de fon falut avoient été enveloppées dans l'oubli & dans la profonde indifférence qui régnoient fur fa vie. La loi naturelle dirigeoit fon cœur, & guidoit l'innocence de fes mœurs. Son efprit ennemi du travail, incapable d'effort ou de contention de quelque nature qu'elle put être, ne fe donna jamais la peine de fuivre long-temps le même objet, & moins encore de fe porter à la contemplation des chofes qui font hors de la sphè. re naturelle de l'homme. Le Curé de S.

(*) L'on prétend qu'alors La Fontaine fe mit à appren dre la langue Angloife, & que la féchereffe & l'ennui de cette étude le détournerent d'aller en Angleterre. Mais notre langue y étoit dès ce temps auffi connue qu'au jourd'hui. Saint Evremont, à portée de l'inftruire de ce qui s'y paffoit, n'apprit jamais l'Anglois; & La Fon. taine étoit moins capable qu'un autre, d'être arrêté par une précaution auffi fuperflue.

Roch, informé de la maladie férieufe de La Fontaine, lui envoya le P. Poujet (*), homme d'efprit, & qui pour lors étoit Vicaire de cette Paroiffe. Ce prêtre pour donner à fa vifite un air moins férieux & moins fufpect, fe fit annoncer de la part de fon pere, chez qui La Fontaine alloit quelquefois, pour s'informer de l'état de fa fanté. Pour lui ôter toute méfiance, il fe fit accompagner d'un ami commun qui l'étoit encore plus particuliérement du malade. Après les politeffes d'ufage, le P. Poujet fit tomber infenfiblement la converfation fur la Religion, & fur les preuves qu'on en tire tant de la raifon que des Livres faints. Sans fe douter du but de fes discours: Je me fuis mis, lui dit La Fontaine, avec fa naïveté ordinaire, depuis quelque temps à lire le Nouveau Teftament: je vous affure, ajouta-t-il, que c'est un fort bon livre; oui par ma foi, c'est un bon livre. Mais il y a un article fur lequel je ne me fuis pas rendu; c'est celui de l'éternité des peines: je ne comprends pas, dit-il, comment cette éternité peut s'accord r avec la bonté de Dieu.

Le Pere Poujet fatisfit à cette

(*) Amable Poujet. I venoit de quitter récemment les bancs de Sorbonne où il avoit pris tous fes grades & le bonnet de Docteur. Il entra depuis dans l'Oratoire. Il compofa le Catéchisme de Montpellier, & mourut Paris en 1723.

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objection par les meilleures raifons qu'il put trouver dans ce moment; & La Fonraine, après plufieurs repliques, fut fi content de l'entendre, qu'il le pria de revenir. Le P. Poujet ne demandoit pas mieux; il partit, & lui laiffa l'ami qu'il avoit amené. Le but de cette féparation préméditée étoit d'amener La Fontaine à la confidence de fes fentimens & de fes difpofitions préfentes. En effet, fatisfait de cette visite, il dit à fon ami, que s'il avoit à fe confeffer, il ne prendroit point d'autre directeur que cet Eccléfiaftique.

Le P. Poujet inftruit du fuccès de fa vifite, fut exact depuis ce temps à lui en rendre deux par jour, dans lefquelles il ne ceffoit, en le familiarifant avec fes discours, d'éclaircir fes doutes, & de répondre à fes queftions avec l'adreffe & la fageffe d'un habile homme. Ce n'étoit au fond, ni l'impiété, ni l'incrédulité qu'il avoit à combattre. La Fontaine toujours vrai, toujours fincere & rempli de bonne foi, ne cherchoit qu'à s'inftruire, & à fe convaincre. Il ne vouloit point faire tenir à fa bouche un langage que fon cœur ou fon efprit démentiffent. Je ne rapporterai point les différentes objections qu'il fit, ni la maniére dont le P. Poujet fçut y fatisfaire. Mais je ne fçaurois paffer fous filen

ce deux points intéreffans fur lefquels La Fontaine eut peine à fe rendre. Le premier fut une fatisfaction publique fur fes Contes, que ce Directeur exigea de lui: l'autre, la promeffe de ne jamais donner aux Comédiens une piéce de théatre qu'il avoit compofée depuis peu, & dont il avoit reçu les applaudiffemens des connoiffeurs, & des amis auxquels il l'avoit lûe.

Quoique La Fontaine ne regardât pas fes Contes comme un ouvrage irrépré henfible, il ne pouvoit cependant imaginer qu'ils fuffent capables de produire des effets auffi pernicieux qu'on le prétendoit. Il proteftoit qu'en les écrivant ils n'avoient jamais fait de mauvaises impreffions fur lui: & comme fa maniére ordinaire étoit de juger des autres par luimême; il attribuoit ce qu'on lui difoit làdeffus à une trop grande délicateffe. C'est ainfi qu'il fe deffendoit contre l'efpece d'amande honorable qu'on exigeoit de lui; mais l'éloquence du P. Poujet l'emporta fur fes répugnances. La Fontaine con

vaincu, fe réfigna, & confentit à tout ce que ce Directeur jugeroit néceffaire & convenable dans cette occafion. Quant à la piéce de théâtre, il ne fe rendit point avec la même docilité. Les difcuffions & la controverfe, entre fon ami Racine & M. Ni

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