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Poëfic.

Mais fes inftances redoublées n'avoient encore rien eu de féduifant pour le jeune La Fontaine. Infnfible aux attraits qu'on lui vantoit, il avoit atteint fa vingtdeuxième année, fans donner le moindre figne d'un penchant qui devoit bientôt le captiver entiérement. Une rencontre imprévûe vint tout-à-coup le décider, & fit germer dans fon ame l'amour de la Poëfie que toutes les leçons & le goût particulier de fon pere n'avoient pû faire éclore. Un Officier alors en garnifon à Château-Thierry, lut un jour devant lui l'Ode de Malherbe qui commence par ces vers:

Que direz-vous, races futures,
Si quelquefois un vrai difcours
Vous récite les avantures,

De nos abominables jour?

Cette Ode lûe & déclamée avec emphase, tranfporta La Fontaine, & fit en même temps développer en lui le goût & l'enthousiasme des vers (*). Malherbe dès cet inftant fut l'unique objet de fes délices: il le lifoit, il l'étudioit fans ceffe; & non content de l'apprendre par cœur, il alloit

(*) C'est alors qu'il eût pu s'appliquer la furprise de Perfe
Nec fonte labra prolui caballino :
Nec in bicipiti fomniasse Parnasso
Memini, ut repente fic Poëta prodirem.

Perf. prolog. verf. 1. 2. 3.

jusques dans les bois en déclamer les vers. Il fit plus, il voulut l'imiter; & comme il nous l'apprend lui-même dans une épitre à M. Huet, les premiers accens de fa lyre furent montés fur le ton & fur l'harmonie des vers de ce Poëte.

Fe pris certain Auteur autrefois pour mon maître ;
Il penfa me gåter: à la fin, grace aux Dieux,
Horace par bonheur me défilla les yeux.

L'Auteur avoit du bon, du meilleur, & la France
Eftimoit dans fes vers le tour & la cadence.

Qui ne les eut prifes? J'en demeurai ravi.
Mais ces traits ont perdu quiconque l'a fuivi.'

C'eft ainfi que débuta La Fontaine ; & c'eft ici, à proprement parler, la naiffance du talent fupéricur qu'on ne peut fe laffer d'admirer dans fes ouvrages, & qui les fera paffer à la poftérité la plus reculée. Heureufement, comme il le dit, le charme ceffa; il ne s'en tint point à Malherbe. Glorieux de fes premiéres productions, il voulut en avoir des témoins pour en jouir davantage. Son pere fut le premier qui les vit, & le bon homme en pleura de joie. Flatté de ce premier fuccès il fut chercher encore l'approbation d'un de fes parens nommé Pintrel, Procureur du Roi au Préfidial de Château-Thierhomme de bon fens, qui n'étoit point

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fans goût, & qui cultivoit même les lettres (*). Mais celui-ci examinant les chofes de plus près, loua d'abord fes effais; l'interrogea fur les routes qu'il fuivoit; joignit les confeils aux louanges, & voulut en lui infpirant des principes plus folides, le guider dans la carriére où il alloit fe livrer. Il lui mit entre les mains, Horace, Virgile, Térence, Quintilien, comme les vraies fources du bon goût & de l'art d'écrire. La Fontaine fuivit ces avis avec d'autant plus de docilité, qu'il ne tarda pas à fentir ces beaux traits d'une élégance fimple & noble dont Malherbe s'éloignoit autant par une ardeur inconfidérée de génie, que par une étude trop recherchée d'harmonie, d'expreffions ampoulées & d'ornemens fuperflus.

C A ces livres, il joignit la lecture de Rabelais, de Marot, & de l'Aftrée de Durfé, , feuls auteurs François qu'il affectionnât. Ils étoient en effet, chacun dans leur efpece, très-propres à nourrir & à fortifier la trempe d'efprit de La Fontaine, ainfi que le genre de compofition auquel fon goût & fon penchant le déterminoient plus particuliérement. Rabelais lui infpiroit l'enjouement ingénieux qui devoit animer fes

(*) On a de lui une traduction des Epitres de Séneque, Imprimée à Paris en 1681, que La Fontaine eut foin de donner au Public après fa mort.

compofitions. Marot, qui lui fervit de modele, en préparoit le ftyle; & l'Aftrée de Durfé broyoit, pour ainfi dire, dans fon imagination les couleurs riantes & variées de ces images champêtres, qu'il a fi bien rendues & qui lui font fi familieres. Quant aux autres Auteurs François, il en lifoit peu, fe divertiffant mieux, difoit-il, avec les Italiens. Auffi lût-il & relût- il

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l'Ariofte & Bocace qu'il aima finguliérement, & qu'il fçut fi bien s'approprier, qu'en les imitant, il a furpaffé ces modeles. Enfin, il fit fes délices de Platon & de Plutarque. L'affortiment de ces deux auteurs à ceux qu'avoit choifi La Fontaine, & qui nous indique le caractere fingulier de fon génie, paroît d'abord avoir quelque chofe de bizarre. Mais l'on doit en être d'autant moins furpris, qu'un homme d'un d'efprit original fçait tout mettre à profit; & que du fein de la gravité même, fortent fouvent ce fel & ces pensées vraies & ingénieufes, qui font l'ame de la badinerie & de l'enjouement, & fans lesquelles toute compofition languit. Auffi La Fontaine avoit-il étudié férieufement ces deux Auteurs, dont il avoit noté partout les maximes de morale ou de politi que qu'il a femées dans fes Fables. C'eft ce qu'a remarqué l'un de fes fucceffeurs à

l'Académie. (*), fur les exemplaires de Platon & de Plutarque, qui avoient appartenus à La Fontaine.

Dès lors, livré aux Lettres, & d'un caractere auffi libre qu'indépendant il s'abandonnoit tout entier à fon goût & à fon penchant, fans fe reffentir des diftractions de fon état & de fes engagemens, lorfqu'une petite avanture parut troubler cette profonde indifférence. Un Capitaine de Dragons nommé Poignan, retiré à Châ teau- Thierry, vieux militaire, par con& féquent homme d'habitude, avoit pris en affection la maifon de La Fontaine, & confommoit auprès de fa femme le loifir & l'ennui qu'il ne fçavoit où porter. Cet Officier n'étoit rien moins que galant, & fon âge autant que fon humeur, pouvoit mettre à l'abri des ombrages, même foupçonneux & jaloux. Cependant, foit par malignité, foit pour s'en divertir; on en fit de mauvais rapports à La Fontaine. Son caractere fimple & crédule ne lui permit point de rien examiner, de rien approfondir: il écouta tous les difcours, & crut même que fon honneur exigeoit qu'il fe battit avec Poignan. Saifi de cette idée, il part dès le grand matin, ́ arrive chez fon homme, l'éveille, le preffe de

un mari

(*) M. l'Abbé d'Olivet. Voyez l'Hiftoire de l'Acadé mie, Tome 2. Edit. 1743. p. 314. &c.

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