Obrazy na stronie
PDF
ePub

L'accoutumance ainfi nous rend tout familier,
Ce qui nous paroiffoit terrible & fingulier,
S'aprivoise avec notre vûe,
Quand ce vient à la continue.

Et, puifque nous voici tombé fur ce fujet,
On avoit mis des gens au guet,
Qui voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire,
Que c'étoit un puiffant navire.
Quelques momens après, l'objet devint brûlot,
Et puis nacelle, & puis balot,

Enfin bâtons flottans fur l'onde.

J'en fçais beaucoup de par le monde,
A qui ceci conviendroit bien :

De loin c'eft quelque chofe, & de près ce n'eft rien. efpèce de Chameaux qui vont d'un pas plus léger, & plus vite que les autres.

[ocr errors]
[blocks in formation]

La Grenouille &le Rat.

Tel, comme dit (1) Merlin, (2) cuide engeigner

autrui,

Qui fouvent s'engeigne foi-même.

(1) Qui, diftingué en fon temps, ou par fon habileté, ou par la fubtilité de fon efprit, paffoit communément pour forcier. C'eft un fameux enchanteur dans l'Orlando furiofo d'Ariofte. Merlin prétendu Magicien, étoit Anglois. Il vivoit vers la fin du cinquiéme fiècle. Si vous Voulez en fçavoir davantage, voyez le Dictionnaire de Moréri.

(2) Penfe duper, tromper. Cuide engeigner font deux mots à préfent furannés & tout-à-fait hors d'ufage. Cuider

J'ai regret que ce mot foit trop vieux aujourd'hui :
Il m'a toujours femblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au deffein que j'ai pris;
Un Rat plein d'embonpoint, gras,& des mieux nourris,
Et qui ne connoiffoit l'Avent ni le Carême,
Sur le bord d'un marais égayoit fes efprits.
Une Grenouille approche, & lui dit en fa langue :
Venez me voir chez moi, je vous ferai festin.
Meffire Rat promit foudain :

Il n'étoit pas befoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiofité, le plaifir du voyage,

Cent raretés à voir le long du Marécage:
Un jour il conteroit à fes petits enfans

Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitans,
Et le gouvernement de la chofe publique

Aquatique.

Un point fans plus tenoit le galant empêché:
Il nageoit quelque peu, mais il falloit de l'aide.
La Grenouille à cela trouve un très-bon reméde.
Le Rat fut à fon pied par la patte attaché :
Un brin de jonc en fit l'affaire.

Dans le marais entrés, notre bonne commere
S'efforce de tirer fon hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée;
Prétend qu'elle en fera (3) gorge chaude & curée :
(C'étoit, à fon avis, un excellent morceau)
Déjà dans fon efprit la galante le croque.
Il attefte les Dieux: la perfide s'en moque.
Il réfifte: elle tire. En ce combat nouveau,
Un (4) Milan qui dans l'air planoit, faifoit la ronde,
Voit d'en haut le pauvret fe débattant fur l'onde.

fe trouve encore dans Amyot. Pour engeigner ou engigner, comme l'écrit Ménage dans fon Dictionnaire Etymologique, il vient, felon ce fçavant Etymologiste, d'ingarmare,

tromper.

(3) Qu'elle mangera

(4) Gros oifeau de proie,

[ocr errors]
[ocr errors]

Il fond deffus, l'enleve, & par même moyen
La Grenouille & le lien.

Tout en fut, tant & fi bien,
Que de cette double proie
L'Oifeau fe donne au cœur joie,
Ayant, de cette façon,

A fouper chair & poiffon.

La rufe la mieux ourdie
Peut nuire à fon inventeur;
Et fouvent la perfidie
Retourne fur fon auteur.

FABLE

XI I.

Tribut envoyé par les animaux à Alexandre.

U

ne Fable avoit cours parmi l'Antiquité;
Et la raison ne m'en eft pas connue.

Que le Lecteur en tire une moralité :
Voici la Fable toute nue.

La Renommée ayant dit en cent lieux
Qu'un fils de Jupiter, un certain Alexandre,
Ne voulant rien laiffer de libre fous les cieux,
Commandoit que, fans plus attendre,
Tout peuple à fes pieds s'allât rendre,
Quadrupedes, Humains, Eléphans, Vermiffeaux,
Les Républiques des Oifeaux, -

La (1) Déeffe aux cent bouches,
Ayant mis par tout la terreur

En publiant l'édit du nouvel Empereur;

(1) La Renommée,

dis-je,

Les Animaux, & toute efpece (2) lige De fon feul apétit, crurent que cette fois

Il falloit fubir d'autres loix.

On s'affemble au défert. Tous quittent leur taniére.
Après divers avis, on réfout, on conclut,
D'envoyer hommage & tribut.
Pour l'hommage & pour la maniére,
Le Singe en fut chargé : l'on lui mit par écrit
Ce que l'on vouloit qui fut dit.

Le feul tribut les mit en peine.
Car que donner? Il falloit de i'argent.
On en prit d'un Prince obligeant,
Qui poffédant dans fon domaine
Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut.
Comme il fut queftion de porter ce tribut,
Le Mulet & l'Ane s'offrirent,
Affiftés du Cheval, ainfi que du Chameau.

Tous quatre en chemin ils fe mirent
Avec le Singe, ambaffadeur nouveau.
La caravanne enfin rencontre en un passage
Monfeigneur le Lion. Cela ne leur plut point.
Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il, & nous voici compagnons de voyage.
J'allois offrir mon fait à part;

Mais bien qu'il foit léger, tout fardeau m'embarrasse
Obligez-moi de me faire la grace,

Que d'en porter chacun un quart.
Ce ne vous fera pas une charge trop grande;
Et j'en ferai plus libre, & bien plus en état,
En cas que les voleurs attaquent notre bande,
Et que l'on en vienne au combat.
Econduire un Lion, rarement se pratique.
Le voilà donc admis, foulagé, bien reçu;

(2) Affervie à fon feul apétit. C'eft le plus haut poi de liberté où puiffent parvenir les Animaux. Et l'homm eft lige du Seigneur, lorsqu'il dépend de ce Seigneur certains égards, qu'il eft son vassal.

Et malgré le (3) héros de Jupiter iffu,
Faifant chere & vivant fur la bourfe publique.
Ils arriverent dans un pré

Tout bordé de ruiffeaux, de fleurs tout diapré,
Où maint Mouton cherchoit fa vie,
Séjour du frais, véritable patrie

Des Zéphirs. Le Lion n'y fut pas, qu'à ces gens
Il fe plaignit d'être malade.
Continuez votre Ambaffade,

Dit-il, je fens un feu qui me brûle au - dedans,
Et veux chercher ici quelque herbe falutaire.

Pour vous, ne perdez point de tems: Rendez-moi mon argent, j'en puis avoir à faire. On débale; & d'abord le Lion s'écria

D'un ton qui témoignoit fa joie :

Que de filles, ô Dieux, mes piéces de monnoie
Ont produites! Voyez; la plupart sont déjà
Auffi grandes que leurs meres.

Le (4) croit m'en apartient. Il prit tout là-deffus;
Ou bien, s'il ne prit tout, il n'en demeura guères.
Le Singe & les Sommiers confus,
Sans ofer repliquer, en chemin fe remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu'ils fe plaignirent,
Et n'en eurent point de raison.

Qu'eût-il fait? C'eût été Lion contre Lion;
Et le Proverbe dit: (5) Corfaires à Corfaires,
L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires.

(3) Alexandre, qui fe difoit fils de Jupiter.

(4) L'accroiffement, le produit, ce qu'il y a de plus. (5) Efpece de Proverbe, que La Fontaine a pris mot Pour mot de Regnier; Satyre x11. à la fin,

« PoprzedniaDalej »