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L'Ecreviffe &fa Fille.

Les Sages quelquefois, ainsi que l'Ecreviffe,

Marchent à reculons, tournent le dos au port.
C'est l'art des matelots: c'eft auffi l'artifice
De ceux qui pour couvrir quelque puiffant effort,
Envifagent un point directement contraire,
Et font, vers ce lieu-là, courir leur adversaire.
Mon fujet eft petit, cet acceffoire est grand.
Je pourrois l'appliquer à certain Conquérant,
Qui tout feul déconcerte une ligue à cent têtes.
Ce qu'il n'entreprend pas, & ce qu'il entreprend,
N'eft d'abord qu'un fecret, puis devient des con-
quêtes.

En vain on a les yeux fur ce qu'il veut cacher,
Ce font arrêts du fort qu'on ne peut empêcher,
Le torrent, à la fin, devient infurmontable.
Cent dieux font impuiffans contre un feul Jupiter.
LOUIS & le deftin me femblent, de concert,
Entraîner l'univers. Venons à notre fable.

Mere Ecreviffe un jour à fa fille difoit: Comme tu vas, bon dieu! ne peux-tu marcher droit ?

Et comme vous allez vous-même! dit la Fille :
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille?
Veut-on que j'aille droit quand on y va tortu?
Elle avoit raison; la vertu

De tout exemple domestique
Eft univerfelle, & s'applique

En bien, en mal, en tout; fait des fages, des fots;
Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
A son but, j'y reviens, la méthode en eft bonne,
Sur-tout (1) au métier de Bellone:
Mais il faut le faire à propos.

(1) A la Guerre. Bellone étoit Déeffe de la Guerre.

FABLE X I.

L'Aigle & la Pie.

L'Aigle, reine des airs, avec Margot la Pie,

Différentes d'humeur, de langage & d'efprit,
Et d'habit,

Traverfoient au bout d'une prairie.

Le hafard les affemble en un coin détourné.
L'Agaffe eut peur: mais l'Aigle ayant fort bien diné
La raffure, & lui dit: allons de compagnie.
Si le maître des dieux affez fouvent s'ennuie,
Lui, qui gouverne l'univers,

J'en puis bien faire autant, moi, qu'on fçait qui le fers.
Entretenez-moi donc, & fans cérémonie.

Caquet bon bec alors de jafer au plus drû:

Sur ceci, fur cela, fur tout. L'homme (1) d'Horace
Difant le bien, le mal à travers champs, n'eût scu
Ce qu'en fait de babil y fçavoit notre Agaffe.
Elle offre d'avertir de tout ce qui fe paffe,
Sautant, allant de place en place,

Bon efpion, Dieu fçait. Son offre ayant déplû,
L'Aigle lui dit tout en colere :

Ne quitteż point votre féjour,

(1) Le bon Vultéïus, comme dit Horace:

Dicenda, tacenda locutus,

Epift. VII. Lib. I.

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Caquet bon bec ma mie: adieu, je n'ai que faire
D'une babillarde à ma cour:

C'est un fort méchant caractere.

Margot ne demandoit pas mieux.

Ce n'eft pas ce qu'on croit, que d'entrer chez les dieux:

Cet honneur a fouvent de mortelles angoiffes.
Redifeurs, efpions, gens à l'air gracieux,
Au cœur tout différent, s'y rendent odieux ;
Quoiqu'ainfi que la Pie, il faille dans ces lieux
Porter (2) habit de deux Paroiffes.

(2) Etre toujours prêts à jouer divers perfonnages, directement oppofés.

FA BL E
BL E XII.

Le Roi, le Milan, & le Chaffeur.

A SON ALTESSE SERENISSIME

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Comme

omme les dieux font bons, ils veulent que les rois

Le foient auffi: c'eft l'indulgence

Qui fait le plus beau de leurs droits,
Non les douceurs de la vengeance.

Prince, c'eft votre avis. On fçait que le courroux
S'éteint en votre cœur fi-tôt qu'on l'y voit naître.
Achille, qui du fien ne put se rendre maître,

Fut par-là moins Héros que vous.

Ce

Ce titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes, Qui, comme en l'âge d'or, font cent biens ici-bas. Peu de grands font nés tels en cet âge où nous fommes. L'univers leur fçait gré du mal qu'ils ne font pas. Loin que vous fuiviez ces exemples,

Mille actes généreux vous promettent des temples. Apollon, citoyen de ces auguftes lieux,

Prétend y célébrer votre noin fur fa lyre.

Je fçais qu'on vous attend dans le palais des dieux:
Un fiécle de séjour ici doit vous suffire.
Hymen veut féjourner tout un fiécle chez vous.
Puiffent fes plaifirs les plus doux
Vous compofer des destinées
Par ce temps à peine bornées!

Et la (1) Princeffe & vous, n'en méritez pas moins;
J'en prends fes charmes pour témoins

Pour témoins j'en prends les merveilles Par qui le ciel, pour vous prodigue en fes préfens, De qualités qui n'ont qu'en vous feul leurs pareilles, Voulut orner vos jeunes ans. BOURBON, de fon efprit fes graces affaisonne. Le ciel joignit en fa perfonne Ce qui fçait fe faire estimer, A ce qui fçait fe faire aimer. Il ne m'appartient pas d'étaler votre joie ; Je me tais donc, & vais rimer .

Ce que fit un oiseau de proie.

Un Milan, de fon nid antique poffeffeur,
Etant pris vif par un Chasseur,

D'en faire au Prince un don cet homme fe propofe.
La rareté du fait donnoit prix à la chose.
L'Oifeau par le Chaffeur humblement présenté,
Si ce conte n'est apocryphe,

Va tout droit imprimer fa griffe
Sur le nez de fa Majefté.

71) Fille légitimée de Louis XIV. mariée en 1680. II. Partie.

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1

Quoi, fur le nez du Roi ? du Roi même en perfónne.
Il n'avoit donc alors ni fceptre ni couronne?
Quand il en auroit eu, ç'auroit été tout un.
Le nez royal fut pris pour un nez du commun.
Dire des courtisans les clameurs & la peine,
Seroit fe confumer en efforts impuiffans.
Le Roi n'éclata point: les cris font indécens
A la Majefté fouveraine.

L'Oifeau garda fon pofte. On ne put feulement
Håter fon départ d'un moment.

Son Maître le rappelle, & crie, & fe tourmente,
Lui préfente le leurre, & le poing, mais en vain,
On crut que jufqu'au lendemain

Le maudit animal à la ferre infolente,
Nicheroit là malgré le bruit,

Et fur le nez facré voudroit paffer la nuit:
Tâcher de l'en tirer irritoit fon caprice.
Il quitte enfin le Roi, qui dit: laiffez aller
Ce Milan, & celui qui m'a cru régaler.
Ils fe font acquités tous deux de leur office,
L'un en Milan, & l'autre en citoyen des bois.
Pour moi, qui fçais comment doivent agir les Rois,
Je les affranchis du fupplice.

Et la cour d'admirer. Les courtifans ravis
Elevent de tels faits, par eux fi mal fuivis.
Bien peu, même des Rois, prendroient un tel modele,
Et le Veneur l'échappa belle,
Coupable feulement, tant lui que l'animal,
D'ignorer le danger d'approcher trop du maître.
Ils n'avoient appris à connoître

Que les hôtes des bois: étoit-ce un fi grand mal?

(2) Pilpay fait, près du (3) Gange, arriver l'avanture. Là nulle humaine créature

(2) Auteur indien. Voyez ci-deffus ce que La Fontaine en dit dans un Avertiffement, page 163. (3) Grand feuve des Indes.

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