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Sur un tapis de Turquie
Le couvert fe trouva mis.
Je laiffe à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquoit au feftin:
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étoient en train.

A la porte de la falle.
Ils entendirent du bruit.
Le Rat de ville détale,
Son camarade le fuit.

Le bruit ceffe, on fe retire:
Rats en campagne auffi-tôt,
Et le (2) Citadin de dire;
Achevons tout notre rôt.

C'eft affez, dit le Ruftique:
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'eft pas que je me pique
De tous vos feftins de Roi.

Mais rien ne vient m'interrompre:
Je mange tout à loisir.

Adieu donc, fi du plaifir

Que la crainte peut corrompre.

(2) Le Rat de Ville.

FABL E X.

Le Loup & l'Agneau. La raifon du plus fort cft toujours la meilleure,

Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un Agneau fe défaltéroit
Dans le courant d'une onde pure.

Un Loup furvient à jeun, qui cherchoit avanture,
Et que la faim en ces lieux attiroit.
Qui te rend fi hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage.

Tu feras châtié de ta témérité.
Sire, répond l'Agneau, que votre majesté
Ne fe mette pas en colere,
Mais plutot qu'elle confidere
Que je me vas défaltérant
Dans le courant,

Plus de vingt pas au-deffous d'elle;
Et que par conféquent en aucune façon,
Je ne puis troubler fa boiffon.
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle;
Et je fçai que de moi tu médis l'an paffé.
Comment l'aurois-je fait fi n'étois pas né?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mere.
Si ce n'eft toi, c'eft donc ton frere.
Je n'en ai point. C'eft donc quelqu'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, & vos chiens.
On me l'a dit: il faut que je me vange.
Là-deffus, au fond des forêts

Le Loup l'emporte, & puis le mange,
Sans autre forme de procès.

F A BLE X I.

L'Homme & fon Image, pour M. le Duc de la Rochefoucault.

Un

n homme, qui s'aimoit fans avoir de rivaux, Paffoit dans fon efprit pour le plus beau du monde. Il accufoit toujours les miroirs d'être faux, Vivant plus que content dans fon erreur profonde. Afin de le guérir, le fort officieux

Préfentoit par-tout à ses yeux

Les confeillers muets dont fe fervent nos Dames. Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands, Miroirs aux poches des galans,

Miroirs aux ceintures des femines.

Que fait notre (1) Narciffe? il fe va confiner,
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'ofant plus des miroirs éprouver l'avanture.
Mais un canal, formé par une fource pure,
Se trouve en ces lieux écartés :

Il s'y voit, il fe fâche; & fes yeux irrités
Penfent apercevoir une chimere vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau.
Mais quoi le canal eft si beau,
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous; & cette erreur extrême
Eft un mal que chacun fe plaît d'entretenir,
Notre ame, c'eft cet homme amoureux de lui-même,

(1) On apelle Narciffe tout homme entêté de fa beauté, réelle ou chimérique, par allufion à ce que dit la Fable d'un beau jeune homme de ce nom, qui devint fi folle ment amoureux de lui-même, qu'il en geźdit la vie.

Tant de miroirs, ce font les fottifes d'autrui,..
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes.
Et quant au canal, c'eft celui

Que chacun fçait, le Livre des Maximes.

(2) Celui des Maximes morales, fait par le Duc de l'a Rochefoucault,

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Le Dragon à plufieurs têtes, & le Dragon à plufieurs queues.

U

n Envoyé du Grand Seigneur,

Préféroit, dit l'histoire, un jour chez (1) l'Empereur,
Les forces de fon maître à celles de l'Empire.
Un Allemand fe mit à dire :

Notre Prince a des dépendans

Qui, de leur chef, font fi puiffans,
Que chacun d'eux pourroit foudoyer une armée.
Le Chiaoux, homme de fens,

Lui dit je fçais par renommée,

Ce que chaque Electeur peut de monde fournir;
Et cela me fait souvenir

D'une avanturé étrange, & qui pourtant eft vraye.

J'étois en un lieu für, lorfque je vis paffer
Les cent têtes d'une (2) Hydre au travers d'une haie.
Mon fang commence à fe glacer;

Et je crois qu'à moins on s'effraie.

Je n'en eus toutefois que la peur fans le mal.
Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
Je rêvois à cette avanture,

Quand un autre Dragon qui n'avoit qu'un seul chef,

(1) Celui d'Allemagne,

(2). Serpent & plufieurs têtes, le 11

Et bien plus d'une queue, à paffer se préfente.
Me voilà faifi derechef

D'étonnement & d'épouvante.

Ce chef paffe, & le corps, & chaque queue auffi;
Rien ne les empêcha; l'un fit chemin à l'autre.
Je foutiens qu'il en eft ainfi

De votre Empereur & dụ nôtre.

FABLE

X II I.

Pour un

Les Voleurs & l'Ane.

our un Ane enlevé deux voleurs fe battoient: L'un vouloit le garder; l'autre le vouloit vendre. Tandis que coups de poing trottoient,

Et que nos champions fongeoient à se défendre,
Arrive un troifiéme larrón,

Qui faifit maître (1) Aliboron.

L'Ane, c'eft quelquefois une pauvre province.
Les voleurs font tel & tel prince:
Comme le Tranfilvain, le Turc, & le Hongrois:
Au - lieu de deux j'en ai rencontré trois.

Il eft affez de cette marchandise..

De nul d'eux n'eft fouvent la province conquife.
Un quart voleur furvicnt qui les accorde nét,
En fe faififfant du baudet.

(1) Nom burlefque qu'on donne à l'Ane.

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