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nes, au lieu de comparer les grands hommes de l'antiquité à ceux de votre Maison; mais je parle à un fçavant, à un fage, à celui dont les lumieres doivent m'éclairer, & dont j'ai l'honneur d'être le confrere dans la plus ancienne Académie de l'Europe, dont les membres s'occupent fouvent de semblables recherches; je parle enfin à celui qui aime mieux me donner des inftructions, que de recevoir des éloges.

PREMIERE PARTIE.

Des Tragédies Gréques, imitées par quelques Opera Italiens & Français.

U

N célébre Auteur de votre Nation, dit que depuis les beaux jours d'Athènes, la Tragédie errante & abandonnée, cherche de contrée en contrée quelqu'un qui lui donne la main, & qui lui rende ses premiers honneurs, mais qu'elle n'a pu le trouver.

S'il entend qu'aucune nation n'a de théâtres, où des choeurs occupent presque toujours la fcène & chantent des ftrophes, des épodes & des anti-ftrophes, accompagnées d'une danfe grave; qu'aucune nation ne fait paraître fes Acteurs fur des espéces d'échaffes, & ne couvre leur visage d'un masque, qui exprime la douleur d'un côté & la joie de l'autre ; que la déclamation de nos Tragédies n'eft point notée & foutenue par des flûtes, il a fans doute raifon, & je ne fçai fi c'est à notre désavantage. J'ignore fi la forme de nos

Tragédies, plus rapprochée de la nature, ne vaut pas celle des Grecs, qui avoit un appareil plus impofant.

Si cet Auteur veut dire, qu'en général ce grand art n'eft pas auffi confidéré depuis la renaiffance des Lettres, qu'il l'étoit autrefois; qu'il y a en Europe des nations qui ont quelquefois ufé d'ingratitude envers les fucceffeurs des Sophocles & des Euripides; que nos théâtres ne font point de ces édifices fuperbes dans qui les Athéniens mettoient leur gloire; que nous ne prenons pas les mêmes foins qu'eux de ces fpectacles, qui font devenus fi néceffaires dans nos Villes immenfes, on doit être entiérement de fon opinion. Et fapit, & mecum facit, Jove judicat aquo.

Où trouver un Spectacle qui nous donne une image de la fcene Gréque? c'eft peutêtre dans vos Tragédies, nommées Opera, que cette image fubfifte. Quoi ? me dira-t-on, un Opera Italien auroit quelque reffemblance avec le Théâtre d'Athénes! Oui, le récitatif Italien eft précisément la mélopée des anciens; c'eft cette déclamation notée & foutenue par des inftrumens de Mufique. Cette mélopée, qui n'eft ennuieufe que dans vos mauvaifes Tragédies-Opera, eft admirable dans vos bonnes Piéces. Les choeurs que vous y avez ajoutés depuis quelques années, & qui font liés effentiellement au fujet, approchent d'autant plus des chœurs des anciens, qu'il font exprimés avec une Mufique différente du récitarif; comme la ftrophe, l'épode & l'anti-strophe étoient chantées chez les Grecs tout autrement que la mélopée des fcènes. Ajoutez à ces reffemblances, que dans plufieurs Tragédies-Opera du célébre Abbé-Metastasio, l'uni

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té de lieu, d'action & de temps font obfervées: ajoutez que ces piéces font pleines de cette Poëfie d'expreffion, & de cette élégance continue, qui embellissent le naturel fans jamais le charger; talent que depuis les Grecs le feul Racine a poffédé parmi nous, & le feul Addiffon chez les Anglais.

Je fçais que ces Tragédies, fi impofantes par les charmes de la Mufique & par la magni ficence du fpectacle, ont un défaut que les Grecs ont toujours évité; je sçais que ce défaut a fait des monftres des Piéces les plus belles, & d'ailleurs les plus régulieres: il confifte à mettre dans toutes les fcènes de ces petits airs coupés, de ces ariettes détachées, .qui interrompent l'action, & qui font valoir les fredons d'une voix efféminée, mais brillante aux dépens de l'intérêt & du bon fens. Le grand Auteur, que j'ai déjà cité, & qui a tiré beaucoup de ces piéces de notre Théâtre tragique, a rémédié, à force de génie, à ce défaut, qui eft devenu une néceffité. Les paroles de fes airs détachés, font fouvent des erbelliffemens du fujer même; elles font paffionnées; elles font quelquefois comparables aux plus beaux morceaux des Odes d'Horace ; j'en apporterai pour preuve cette ftrophe touchanze que chante Arbace, accusé & innocent.

Vò folcando un mar crudele
Senza vele,

E fenza farte:

Freme l'onda, il Ciel s'imbruna,
Crefce il vento, e manca l'arte:
E il voler della fortuna
Son conftretto à seguitar.
Infelice in quello ftato,

Son da tutti abbandonato ;
Meco fola è l'innocenza
Che mi porta à naufragar.

J'y ajouterai encore cette autre ariette fubli me, que débite le Roi des Parthes, vaincu par Adrien, quand il veut faire fervir fa défai te même à fa vengeance.

Sprezza il furor del vento
Robufta quercia, avveLLa
Di cento venti e cento
L'injurie à tollerar:
Efe pur cade al fuolo,
Spiega per l'onde il volo;
E con quel vento iftello
Va contrastando il mar.

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Il y en a beaucoup de cette efpéce; mais que font des beautés hors de place? Et qu'auroit-on dit dans Athènes, fi @dipe & Orefte avoient au moment de la reconnaiffance chanté des petits airs fredonnés, & debité des comparaisons à Electre & à Jocafte? Il faut donc avouer que l'Opera, en féduifant les Italiens par les agrémens de la Mufique, a détruit d'un côté la véritable Tragédie Gréque, qu'il faifoit renaître de l'autre.

Notre Opera Français nous devoit faire encore plus de tort: notre mélopée rentre bien moins que la vôtre dans la déclamation naturelle; elle eft plus languissante; elle ne permet jamais que les fcènes aient leur jufte étendue; elle exige des dialogues courts en petites maximes coupées, dont chacune produit une espéce de chanfon.

Que ceux qui font au fait de la vraie litté

rature des autres nations, & qui ne bornent pas leur fcience aux airs de nos balets, fongent à cette admirable fcéne dans la Clemenza di Tito, entre Titus & fon favori, qui a confpiré contre lui, je veux parler de cette scene/ où Titus dit à Seftus ces paroles divines :

Siam foli: il tuo Sovrano

Non è prefente; apri il tuo core à Tito,
Confidati all' amico ; io ti prometto
Qu'Augufto nol fapra.

Qu'ils relifent le monologue fuivant, où Titus dit ces autres paroles, qui doivent être l'éternelle leçon de tous les Rois, & le char me de tous les hommes:

...

Il torre altrui la vita!

E facoltà commune

Al più vil della terra ; il darla è solo.
De' Numi, & de' Regnanti.

Ces deux fcènes comparables à tout ce que la Gréce a eu de plus beau, fi elles ne font pas fupérieures; ces deux fcènes dignes de Corneille, quand il n'eft pas déclamateur, & de Racine, quand il n'eft pas foible; ces deux fcénes, qui ne font pas fondées fur un amour d'Opera, mais fur les plus nobles fentimens du cœur humain, ont une durée trois fois plus longue au moins que les fcènes les plus étendues de nos Tragédies en Mufique. De pareils morceaux ne feroient pas fupportés fur notre Théâtre lyrique, qui ne se soutient guéres que par des maximes de galanterie, & par des paffions manquées, à l'exception d'Armide, & des belles fcènes d'Iphigénie, ouvrages plus admirables qu'imités.

Αν

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