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ASSÉLI.

Eh! qui n'éprouve, hélas! dans la perte com

mune,

Les triftes fentimens de fa propre infortune?
Qui de nous vers le Ciel n'éléve pas les cris,
Pour les jours d'un époux, ou d'un pere, ou d'un
fils?

Dans cette vafte enceinte, auTartare inconnue,
Où le Roi déroboit à la publique vue

Ce Peuple défarmé, de paifibles mortels,
Interprétes des Loix, Miniftres des Autels,
Vieillards, femmes, enfans, troupeau faible &
timide,

Dont n'a point approché cette guerre homicide;
Nous ignorons encore à quelle atrocité
Le vainqueur infolent porte fa cruauté.

Nous entendons gronder la foudre & les tem-
pêtes:

Le dernier coup approche, & vient frapper nos têtes..

IDAMÉ.

O fortune! ô pouvoir au deffus de l'humain !
Chere & trifte Afféli, fçais tu quelle eft la maim
Qui du Catai fanglant preffe le vafte Empire
Et qui s'appéfantit fur tout ce qui respire ?

ASSÉ LI.

On nomme ce tyran du nom de Roi des Rois.
C'est ce fier Gengis-Kan, dont les affreux ex-

ploits

Font un vafte tombeau de la fuperbe Afie.
Octar fon Lieutenant, déjà dans fa furie,
Porte au Palais, dit-on, le fer & les flambeaux.
Le Catai paffe enfin fous des Maîtres nouveaux:

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Cette Ville, autrefois Souveraine du monde
Nage de tous côtés dans le fang qui l'inonde.
Voilà ce que cent voix, en fanglots fuperflus
Ont appris dans ces lieux à mes fens éperdus.
IDAMÉ.

Sçais tu que ce tyran de la terre interdite,
Sous qui de cet Etat la fin fe précipite,
Ce deftructeur des Rois, de leur fang abreuvé,
Eft un Scythe, un foldat, dans la poudre élevé,
Un guerrier vagabond de ces déferts fauvages,
Climats qu'un Ciel épais ne couvre que d'orages.
C'eft lui qui fur les fiens briguant l'autorité
Tantôt fort & puiffant, tantôt perfécuté
Vint jadis à tes yeux, dans cette augufte Ville,
Aux portes du Palais, demander un afyle.
Son nom eft Témugin; c'eft t'en apprendre affez.
ASSELI.

Quoi! c'eft lui dont les vœux vous furent adreffés !

Quoi! c'est ce fugitif, dont l'amour & l'hommage

A vos parens furpris parurent un outrage!
Lui qui traîne après lui tant de Rois fes fuivans,
Dont le nom feul impose au refte des vivans!

IDAMÉ.

C'est lui-même, Afféli: fon fuperbe courage,
Sa future grandeur brillaient fur fon vifage.
Tout femblait, je l'avoue, efclave auprès de lui;
Et lorfque de la Cour il mendiait l'appui,
Inconnu, fugitif, il ne parlait qu'en maître:
Il m'aimait ; & mon cœur s'en applaudit peut-
être :

Peut-être qu'en fecret je tirais vanité

D'adoucir ce lion dans mes fers arrêté ;
De plier à nos mœurs cette grandeur fauvage,
D'inftruire à nos vertus fon féroce courage,
Et de le rendre enfin, graces à ces liens,
Digne un jour d'être admis parmi nos citoyens.
Il eût fervi l'Etat, qu'il détruit par la guerre:
Un refus a produit les malheurs de la terre.
De nos Peuples jaloux tu connais la fierté
De nos arts, de nos loix l'augufte antiquité,
Une Religion de tout temps épurée,

De cent fiécles de gloire une fuite avérée,
Tout nous interdisait, dans nos préventions,
Une indigne alliance avec les Nations.
Enfin un autre hymen, un plus faint nœud
m'engage;

Le vertueux Zamti mérita mon fuffrage.
Qui l'eût cru, dans ces temps de paix & de
bonheur

Qu'un Scythe méprifé ferait notre vainqueur ?
Voilà ce qui m'allarme, & qui me désespere;
J'ai refufé fa main ; je suis épouse & mere:
Il ne pardonne pas; il fe vit outrager,
Et l'univers fçait trop s'il aime à fe venger.
Etrange deftinée, & revers incroyable!
Eft-il poffible, ô Dieu! que ce peuple innom-
brable

Sous le glaive du Scythe expire fans combats,
Comme de vils troupeaux que l'on mene aŭ

trépas ?

ASSELI.

Les Coréens, dit-on, raffemblaient une armée; Mais nous ne fçavons rien que par la renommée, Et tout nous abandonne aux mains des def tructeurs.

I DAMÉ.

Que cette incertitude augmente mes douleurs

J'ignore à quel excès parviennent nos miferes
Si l'Empereur encore au Palais de fes peres
A trouvé quelque afyle, ou quelque défenfeur;
Si la Reine eft tombée aux mains de l'oppreffeur;
Si l'un & l'autre touche à fon heure fatale.
Hélas! ce dernier fruit de leur foi conjugale,
Ce malheureux enfant à nos foins confié,
Excite encor ma crainte, ainfi que ma pitié.
Mon époux au Palais porte un pied téméraire.
Une ombre de refpect pour fon faint ministère
Peut-être adoucira ces vainqueurs forcenés.
On dit que ces brigands aux meurtres acharnés,
Qui rempliffent de fang la terre intimidée,
Ont d'un Dieu cependant confervé quelque idée;
Tant la nature même en toute nation
Grava l'Etre fuprême, & la Religion.

Mais je me flatte en vain qu'aucun respect les touche;

La crainte eft dans mon cœur, & l'espoir dans ma bouche.

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EST-CE vous, époux infortuné

Notre fort fans retour eft-il déterminé ?
Hélas! qu'avez-vous vu?

ZAMTI.

Ce que je tremble à dire.

Le malheur eft au comble; il n'eft plus, cet Ex

Sous le glaive étranger j'ai vu tout abattu.
De quoi nous a fervi d'adorer la vertu!
Nous étions vainement dans une paix pro-
fonde,

Et les Législateurs & l'exemple du monde.
Vainement par nos loix l'univers fut inftruit ;
La fagefle n'eft rien, la force a tout détruit.
J'ai vu de ces brigands la horde hyperborée,
Par des fleuves de fang fe frayant une entrée,
Sur les corps entaffés de nos freres mourans,
Portant par tout le glaive, & les feux dévorans.
Ils pénétrent en foule à la demeure augufte,
Où de tous les humains le plus grand, le plus
jufte,

D'un front majeftueux attendait le trépas;
La Reine évanouie était entre les bras.
De leurs nombreux enfans ceux en qui le cou

rage

Commençait vainement à croître avec leur âge,
Et qui pouvaient mourir les armes à la main
Etaient déjà tombés fous le fer inhumain.
Il reftait près de lui ceux dont la tendre enfance
N'avait que la faibleffe & des pleurs pour dé-
fense.

On les voyait encore autour de lui pressés, Tremblant à ses genoux qu'ils tenaient embraffés.

J'entre par des détours inconnus au vulgaire ; J'approche en frémiffant de ce malheureux pere; Je vois ces vils humains, ces monftres des dé

ferts,

A notre augufte Maître ofant donner des fers, Traîner dans fon Palais d'une main fanguinaire, Le pere, les enfans, & leur mourante mere. Le pillage & le meurtre environnaient ces lieux. Ce Prince infortuné tourne vers moi les yeux? Il m'appelle; il me dit, dans la langue facrée Du conquérant Tartare & du peuple ignorée;

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