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A MONSEIGNEUR

LE MARECHAL

DUC DE RICHELIEU, PAIR DE FRANCE,

Premier Gentilhomme de la Chambre du Roi, Commandant en Languedoc, l'un des Quarante de l'Académie.

TE voudrais, Monfeigneur, vous présenter de beau marbre comme les Génois, & je n'ai que des figures Chinoifes à vous offrir. Ce petit ouvrage ne parait pas fait pour vous. Il n'y a aucun Héros dans cette pièce qui ait réuni tous les fuffrages par les agrémens de fon efprit, ni qui aît foutenu une République prête à fuccomber, ni qui ait imaginé de renverser une colonne Anglaise avec quatre canons. Je fens mieux que personne le peu que je vous offres mais tout Je pardonne à un attachement de quarante années. On dira peut-être, qu'au pied des Alpes, & vis-à-vis des neiges éternelles, où je me fuis retiré, où je devais n'être que Philofophe, j'ai fuccombé à la vanité d'imprimer; que ce qu'il y a eu de plus brillant fur les bords de la Seine ne m'a jamais oublié ; cependant je n'ai confulté que mon cœur ; il me conduit feul ; il a toujours

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infpiré mes actions 5 mes paroles ; il fe trompe quelquefois, vous le fçavez ; mais ce n'est pas après des épreuves fi longues. Permettez donc que fi cette faible Tragédie peut durer quelque temps après moi, on fçache que l'Auteur ne vous a pas été indifférent ; permettez qu'on apprenne, que fi votre Oncle fonda les beaux Arts en France, vous les avez foutenus dans leur décadence.

L'idée de cette Tragédie me vint il y a quelque temps, à la lecture de l'Orphelin de Tchao, Tragédie Chinoise, traduite par le Pere Brémare, qu'on trouve dans le Recueil que le Pere du Halde a donné au Public. Cette piéce Chinoise fut compofée au quatorziéme fiécle, fous la Dynaftie même de Gengis-Kan. C'est une nouvelle preuve que les vainqueurs Tartares ne changerent point les mœurs de la Nation vaincue ; ils protégerent tous les Arts établis à la Chine; ils adopterent toutes fes Loix.

Voilà un grand exemple de la fupériorité naturelle que donnent la raifon 5 le génie fur la -force aveugle 5 barbare: 5 les Tartares ont deux fois donné cet exemple. Car lorsqu'ils ont - conquis encore ce grand Empire au commencement du fiécle paffé, ils fe font foumis une feconde fois à la fagelle des vaincus: 5 les deux Peuples n'ont formé qu'une Nation gouvernée par les plus anciennes Loix du monde : événement frappant, qui a été le premier but de mon ouvrage.

La Tragédie Chinoise qui porte le nom de l'Orphelin, eft tirée d'un Recueil immenfe des Piéces de Theatre de cette Nation. Elle cultivait depuis plus de trois mille ans cet Art, inventé un peu plus tard par les Grecs, de faire des portraits vivans des allions des hommes, d'établir de ces Ecoles de morale, où l'on enfeigne la vertu en action 5 en dialogues, Le Poëme Dramatique

ne fut donc long-temps en honneur, que dans ce vafte pays de la Chine, féparé 5 ignoré du reste du monde, dans la feule Ville d'Athènes. Rome ne le cultiva qu'au bout de quatre cens années. Si vous le cherchez chez les Perfes, chez les Indiens, qui passent pour des Peuples inventeurs, vous ne l'y trouvez pas ; il n'y eft jamais parvenu. L'Afie fe contentait des Fables de Filpay & de Lokman, qui renferment toute la morale, qui inftruisent en allégories toutes les Nations tous les fiécles.

Il femble qu'après avoir fait parler les animaux, il n'y eût qu'un pas à faire pour faire parler les hommes, pour les introduire fur la Scène, pour former l'Art Dramatique: cependant ces Peuples ingénieux ne s'en aviferent jamais. On doit inférer de-là, que les Chinois, les Grecs

les Romains, font les feuls Peuples anciens qui aient connu le véritable efprit de la fociété. Rien, en effet, ne rend les hommes plus fociables, n'adoucit plus leurs mœurs, ne perfectionne plus leur raifon, que de les raffembler, pour leur faire goûter ensemble les plaifirs purs de l'esprit. Aussi nous voyons qu'à peine Pierre le Grand eut policé la Rufie & bâti Petersbourg, que les Theatres s'y font établis. Plus l'Allemagne s'eft perfectionnée, 5 plus nous l'avons vue adopter nos fpectacles. Le peu de pays où ils n'étoient pas reçus dans le fiécle paffé, n'étoient pas mis au rang des Pays civilifés.

L'Orphelin de Tchao eft un monument précieux, qui fert plus à faire connaître l'esprit de la Chine, que toutes les Relations qu'on a faites & qu'on fera jamais de ce vaste Empire. Il est vrai que cette Piéce est toute barbare, en compa raifon des bons ouvrages de nos jours; mais auffi c'est un chef-d'œuvre, fi on le compare à nos Pié

ses du quatorziéme fiécle. Certainement nos Troubadours, notre Bazoche, la fociété des Enfans fans fouci, & de la Mere-lotte, n'approchoient pas de l'Auteur Chinois. Il faut encore remarquer, que cette Piéce eft écrite dans la langue des Mandarins, qui n'a point changé, & qu'à peine entendons-nous la langue qu'on partoit du temps de Louis XII. & de Charles VIII.

On ne peut comparer l'Orphelin de Tchao qu'aux Tragédies Anglaifes & Espagnoles du dix-feptiéme fiécle, qui ne laissent pas encore de plaire au-delà des Pirenées de la Mer. L'action de la piéce Chinoife dure vingt-cinq ans, comme dans les farces monftruenfes de Shakefpear & de Lope de Véga, qu'on a nommé Tragédies; c'est un entalement d'événemens incroya bles. L'ennemi de la maifon de Tchao veut d'abord en faire périr le Chef, en lâchant sur lui un gros dogue, qu'il fait croire être doué de l'inftint de découvrir les criminels, comme Jacques Aimar parmi nous devinait les voleurs par fa baguette. Enfuite il suppose un ordre de l'Empereur, envoie à fon ennemi Tchao une corde, du poifon un poignard; Tchao chante, Selon Pufage, fe coupe la gorge, en vertu de l'obéiffance que tout homme fur la terre doit de droit divin à un Empereur de la Chine. Le perfécuteur fait mourir trois cens perfonnes de la maifon de Tchao. La Princesse veuve accouche de l'Orphelin. On dérobe cet enfant à la fureur de celui qui a exterminé toute la maison, 5 qui veut encore faire périr au berceau le feul qui reste. Cet exterminateur ordonne qu'on égorge dans les Villages d'alentour tous les enfans, afin que l'Orphelin foit enveloppé dans la deftruction générale.

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