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fou au fecond acte, & fa maîtreffe devient folle au troifiéme; le Prince tue le pere de fa maîtreffe, croyant tuer un rat, & l'héroïne fe jette dans la rivierė. On fait fa foffe fur le théâtre des Foffoyeurs difent des quolibets dignes d'eux, en tenant dans leurs mains des. têtes de morts; le Prince Hamlet répond à leurs groffiéretés abominables par des folies non moins dégoûtantes: pendant ce temps-là un des Acteurs fait la conquête de la Pologne ; Hamlet, fa mere & fon beau-pere boivent en femble fur le théâtre; on chanté à table; on s'y querelle; on fe bat; on fe tue: on croiroit que cet ouvrage eft le fruit de l'imagination d'un fauvage yvre. Mais parmi ces extravagances groffieres, qui rendent encore aujourd'hui le Théâtre Anglais fi abfurde & fi barbare, on trouve dans Hamlet, par une bizarerie encore plus grande, des traits fublimes, dignes des plus grands génies. Il femble que la nature fe foit plu à raffembler dans la tête de Shakefpear, ce qu'on peut imaginer de plus fort & de plus grand, avec ce que la groffiéreté fans efprit peut avoir de plus bas & de plus détefrable.

Il faut avouer que parmi les beautés qui étincellent au milieu de ces horribles extravagances, l'ombre du pere d'Hamlet eft un des coups de Théâtre des plus frappans. Il fait toujours un grand effet fur les Anglais, je dis fur ceux qui font les plus inftruits, & qui fentent le mieux toute l'irrégularité de leur ancien Théâtre. Cette ombre infpire plus de terreur à la feule lecture, que n'en fait naître l'apparition de Darius dans la Tragédie d'Efchile, intitulée les Perfes: Pourquoi? Parce que Darius, dans Efchile, ne paroît que pour annon Tom. IV.

B

cer les malheurs de fa famille; au lieu que dans Shakespear, l'ombre du pere d'Hamler vient demander vengeance, vient révéler des crimes fecrets; elle n'eft ni inutile, ni amenée par force; elle fert à convaincre qu'il y a un pouvoir invifible, qui eft le maître de la nature. Les hommes qui ont tous un fond de juftice dans le cœur, fouhaitent naturellement que le Ciel s'intéreffe à venger l'innocence. On verra avec plaifir en tout temps & en tout pays, qu'un Etre fuprême s'occupe à punir les crimes de ceux que les hommes ne peuvent appeller en jugement; c'eft une confolation pour le foible, c'est un frein pour le pervers qui eft puiffant.

Du Ciel, quand il le faut, la juftice fuprême, Sufpend l'ordre éternel, établi par lui-même ; Il permet à la mort d'interrompre fes loix, Pour l'effroi de la terre, & l'exemple des Rois.

Voilà ce que dit à Sémiramis le Pontife de Babylone, & ce que le successeur de Samüel auroit pû dire à Saül, quand l'ombre de Samüel vint lui annoncer fa condamnation.

Je vais plus avant, & j'ofe affirmer que lorfqu'un tel prodige eft annoncé dans le commencement d'une Tragédie, quand il eft préparé, quand on eft parvenu enfin jufqu'au point de le rendre néceffaire, de le faire defirer même par les fpectateurs: il se place alors au rang des chofes naturelles.

On fçait bien que ces grands artifices ne doivent pas être prodigués. Nec Deus interfit, nifi dignus vindice nodus. Je ne voudrois pas

affurément, à l'imitation d'Euripide, faire defcendre Diane à la fin de la Tragédie de Phédre, ni Minerve dans l'Iphigénie en Tauride. Je ne voudrois pas comme Shakespear, faire apparoître à Brutus fon mauvais génie. Je voudrois que de telles hardieffes ne fuffent employées que quand elles fervent à la fois à mettre dans la pièce de l'intrigue & de la terreur, & je voudrois, fur tout, que l'intervention de ces êtres furnaturels ne parut pas abfolument néceffaire. Je m'explique: file noeud d'un Poëme tragique eft tellement embrouillé, qu'on ne puiffe fe tirer d'embarras que par le fecours d'un prodige, le fpectateur fent la gêne où l'Auteur s'eft mis, & la foibleffe de la reffource. Il ne voit qu'un écrivain qui se tire mal-adroitement d'un mauvais pas. Plus d'illufion, plus d'intérêt. Quodcunque oftendis mihi, fic incredulus odi, Mais je fuppofe que l'Auteur d'une Tragédie fe fût propofé pour but d'avertir les hommes, que Dieu punit quelquefois de grands crimes par des voies extraordinaires : je fuppofe que fa piéce fût conduite avec un tel art, que le Ipectateur attendit à tout moment l'ombre d'un Prince affaffiné, qui demande vengeance, fans que cette apparition fûr une reffource abfolument nécessaire à une intrigue embarrasfée: je dis qu'alors ce prodige, bien ménagé, feroit un très-grand effet en toute langue, en tout temps & en tout pays.

Tel eft, à peu près, l'artifice de la Tragédie de Sémiramis, (aux beautés près, dont je n'ai pu l'orner) On voit, dès la premiere fcene, que tout doit fe faire par le ministère célefte; tout roule, d'acte en acte, fur cette idée. C'est un Dieu vengeur, qui infpire à Sémira

mis des remords qu'elle n'eût point eu dans fes profpérités, fi les cris de Ninus même ne fuffent venus l'épouvanter au milieu de fa gloire. C'est ce Dieu qui fe fert de ces remords mêmes qu'il lui donne, pour préparer fon châtiment; & c'eft delà même que résulte l'inftruction qu'on peut tirer de la piéce. Les Anciens avoient fouvent dans leurs ouvrages le but d'établir quelque grande maxime; ainfi Sophocle finit fon @dipe, en difant qu'il ne faut jamais appeller un homme heureux avant fa mort: ici toute la morale de la piéce est renfermée dans ces vers:

.... Il eft donc des forfaits, Que le courroux des Dieux ne pardonne jamais, Maxime bien autrement importante que celle de Sophocle. Mais quelle inftruction, dirat-on, le commun des hommes peut-il tirer d'un crime fi rare & d'une punition plus rare encore? J'avoue que la catastrophe de Sémiramis n'arrivera pas fouvent; mais ce qui arrive tous les jours fe trouve dans les derniers vers de la piéce :

Apprenez tous du moins, Que les crimes fecrets ont les Dieux pour témoins.

Il y a peu de familles fur la terre où l'on ne puiffe quelquefois s'appliquer ces vers; c'eft par là que les fujets tragiques, les plus au deffus des fortunes communes, ont les rapports les plus vrais avec les mœurs de tous les hommes.

Je pourrois, fur tout, appliquer à la Tragédie de Sémiramis la morale par laquelle Euripide finit fon Alcefte, piéce dans laquelle le merveilleux regne bien davantage : Que les Dieux emploient des moyens étonnans pour exécuter leurs éternels décrets; que les grands événemens qu'ils ménagent furpaffent les idées des mortels.

Enfin, MONSEIGNEUR, c'eft uniquement parce que cet ouvrage refpire la morale la plus pure, & même la plus févere, que je le préfente à Votre Eminence. La véritable Tragédie eft l'école de la vertu ; & la feule différence qui foit entre le Théâtre épuré & les Livres de morale, c'eft que l'inftruction fe trouve dans la Tragédie toute en action; c'est qu'elle y eft intéreffante, & qu'elle fe montre rélevée des charmes d'un art, qui ne fut inventé autrefois que pour inftruire la terre & pour bénir le Ciel, & qui, par cette raifon, fut appellé le langage des Dieux. Vous qui joignez ce grand art à tant d'autres, vous me pardonnez, fans doute, le long détail où je fuis entré, fur des chofes qui n'avoient pas peutêtre été encore tout-à-fait éclaircies, & qui le feroient, fi Votre Eminence daignoit me communiquer fės lumieres fur l'Antiquité dont elle a une fi profonde connoissance.

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