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l'ordinaire, des plaintes d'une amante; mais il eft profondément attendri de la douloureuse fituation d'une mere, prête de perdre fon fils ; c'est donc affurément par condescendance pour fon ami que Defpréaux difoit:

....... de l'amour la fenfible peinture, Eft pour aller au cœur la route la plus fûre.

La route de la nature eft cent fois plus fûre, comme plus noble; les morceaux les plus frappans d'Iphigénie, font ceux où Clitemneftre défend fa fille, & non pas ceux où Achille défend fon amante,

On a voulu donner dans Sémiramis un spectacle encore plus pathétique que dans Mérope; on y a déployé tout l'appareil de l'ancien Théâtre Grec. Il feroit trifte, après que nos grands Maîtres ont surpassé les Grecs en tant de chofes dans la Tragédie, que notre nation ne pût les égaler, dans la dignité de leurs réprésentations. Un des grands obftacles qui s'opposent fur notre Théâtre, à toute action grande & pathétique, eft la foule des fpectareurs confondue fur la fcène avec les Acteurs ; cette indécence fe fit fentir particuliérement à la premiere représentation de Sémiramis. La principale Actrice de Londres, qui étoit préfente à ce fpectacle, ne revenoit point de fon étonnement: elle ne pouvoit concevoir comment il y avoit des hommes affez ennemis de leurs plaifirs, pour gâter ainfi le fpectacle fans en jouir. Cet abus a été corrigé dans la fuite aux repréfentations de Sémiramis, & il pourroit aifément être fupprimé pour jamais. Il ne faut pas s'y méprendre, un inconvénient tel que celui-là seul, a fuffi pour priver la Fran

ce de beaucoup de chefs-d'œuvres qu'on auroit fans doute hazardés, fi on avoit eu un Théâcre libre, propre pour l'action, & tel qu'il eft chez toutes les autres nations de l'Europe.

Mais ce grand défaut n'eft pas affurément le feul qui doive être corrigé. Je ne peux affez m'étonner ni me plaindre du peu de foin qu'on a en France de rendre les Théâtres dignes des excellens ouvrages qu'on y repréfente,,& de la nation qui en fait les délices. Cinna, Athalie, méritoient d'être répréfentés ailleurs que dans un jeu de paume, au bout duquel on a élevé quelques décorations du plus mauvais goût, & dans lequel les fpectateurs font placés, contre tout ordre & contre toute raison; les uns debout, fur le théâtre même, les autres debout, dans ce qu'on appelle Parterre, où ils font gênés & preffés indécemment, & où ils fe précipitent quelquefois en tumulte les uns fur les autres, comme dans une fédition populaire. On représente au fond du Nord nos ouvrages dramatiques dans des falles mille fois plus magnifiques, mieux entendues, & avec beaucoup plus de décence.

Que nous fommes loin, fur tout de l'intelligence & du bon goût qui régne en ce genre dans prefque toutes les Villes d'Italie! Il est honteux de laiffer fubfifter encore ces reftes de barbarie dans une Ville fi grande, fi peuplée, fi opulente & fi polie. La dixième partie de ce que nous dépenfons tous les jours en bagatelles, auffi magnifiques qu'inutiles & peu durables, fuffiroit pour élever des monumens_publics en tous les genres, pour rendre Paris auffi magnifique, qu'il eft riche & peuplé, & pour l'égaler un jour à Rome, qui eft notre modèle en tant de chofes. C'étoit un des pro

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jéts de l'immortel Colbert. J'ole me flatter qu'on pardonnera cette petite digression à mon amour pour les arts & pour ma patrie, & que peut-être même un jour elle inspirera aux Magiftrats qui font à la tête de cette Ville, la noble envie d'imiter les Magiftrats d'Athènes & de Rome, & ceux de l'Italie moderne.

Un théâtre construit felon les régles, doit être très-vafte : il doit repréfenter une partie d'une Place publique, le péristile d'un Palais, l'entrée d'un Temple. Il doit être fait de forte, qu'un perfonnage vû par les fpectateurs, puiffe ne l'être point par les autres perfonnages, felon le befoin. Il doit en impofer aux yeux, qu'il faut toujours féduire les premiers. Il doit être fufceptible de la pompe la plus majestueufe. Tous les fpectateurs doivent voir & entendre également, en quelqu'endroit qu'ils foient placés. Comment cela peut-il s'exécuter fur une fcène étroite, au milieu d'une foule de jeunes gens qui laiffent à peine dix pieds de place aux Acteurs? Delà vient que la plupart des piéces ne font que de longues converfations; toute action théâtrale eft souvent manquée & ridicule. Cet abus fubfifte, comme tant d'autres, par la raifon qu'il eft établi, & parce qu'on jette rarement fa maison par terre, quoiqu'on fçache qu'elle eft mal tournée. Un abus public n'eft jamais corrigé qu'à la derniere extrémité. Au refte, quand je parle d'une action théâtrale, je parle d'un appareil, d'une cérémonie, d'une affemblée, d'un événement néceffaire à la piéce, & non pas ces vains fpectacles plus puériles que pompeux, de ces ref fources du décorateur, qui fuppléent à la ftérilité du Poëte, & qui amufent les yeux, quand on ne fçait pas parler aux oreilles & à l'ame,

J'ai vu à Londres une Piéce où l'on représen-
toit le couronnement du Roi d'Angleterre,
dans toute l'exactitude poffible. Un cheva-
lier armé de toutes piéces entroit à cheval fur
le Théâtre. J'ai quelquefois entendu dire à des
Etrangers: Ah! le bel Opera que nous avons eu ;
on y voyoit paffer au galop plus de deux cens Gar-
des. Ces gens-là ne fçavoient pas que quatre
beaux vers valent mieux dans une Piéce qu'un
Régiment de Cavalerie. Nous avons à Paris une
Troupe Comique étrangere, qui, ayant rare-
ment de bons ouvrages à repréfenter, donne
fur le Théâtre des feux-d'artifice. Il y a long-
temps qu'Horace, l'homme de l'antiquité, qui
avoit le plus de goût, a condamné ces fottifes
qui leurent le peuple.

Eleda feftinant, pilenta, petorrita, naves ;
Captivum portatur ebur, captiva Corinthusi
Si foret in terris, rideret Democritus;
Spectaret populum ludis attentiùs ipfis.

TROISIEME PARTIE.

DE SEMIRAMIS.

AR tout ce que je viens d'avoir l'honneur P de vous dire, MONSEIGNEUR, vous voyez

que c'étoit une entreprise affez hardie de repréfenter Sémiramis affemblant les Ordres de L'État pour leur annoncer fon mariage; l'ombre de Ninus fortant de fon tombeau pour

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prévenir un incefte & pour venger fa mort; Sémiramis entrant dans ce mausolée, & en fortant expirante, & percée de la main de fon fils. Il étoit à craindre que ce fpectacle ne révoltât: & d'abord, en effet, la plûpart de ceux qui fréquentent les fpectacles, accoutumés à des Elégies amoureufes, fe liguérent contre ce nouveau genre de Tragédie. On dit qu'autrefois dans une Ville de la grande Gréce, on propofoit des Prix pour ceux qui inventeroient des plaifirs nouveaux. Ce fut ici tout le contraire. Mais quelques efforts qu'on ait fait pour faire tomber cette espéce de drame, vraiment terrible & tragique, on n'a pa y réuffir; on difoit & on écrivoit de tous côtés que l'on ne croit plus aux revenans, & que les apparitions des morts ne peuvent être que puériles aux yeux d'une nation éclairée. Quoi! toute l'antiquité aura cru ces prodiges, & il ne fera pas permis de fe conformer à l'antiquité! Quoi! notre Religion aura confacré ces coups extraordinaires de la Providence, & il feroit ridicule de les renouveller!

Les Romains philofophes ne croyoient pas aux revenans du temps des Empereurs, & cependant le jeune Pompée évoque une ombre dans la Pharfale. Les Anglais ne croient pas affurément plus que les Romains aux revenans; cependant ils voient tous les jours avec plaifir dans la Tragédie d'Hamlet, l'ombre d'un Roi qui paraît fur le Théâtre dans une occafion à peu près femblable à celle où l'on a vu à Paris le fpectre de Ninus. Je fuis bien loin affurément de juftifier en tout la Tragédie d'Hamlet; c'eft une piéce groffiere & barbare, qui ne feroit pas supportée par la plus vile populace de France & d'Italie. Hamlet y devient

fou

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