Obrazy na stronie
PDF
ePub

la feule que l'antiquité ait représentée amoureufe; qu'une Phédre, dis-je, étale les fureurs de cette paffion funefte; qu'une Roxane, dans l'oifiveté du Serrail, s'abandonne à l'amour & à la jaloufie; qu'Ariane fe plaigne au Ciel & à la terre d'une infidélité cruelle; qu'Orofmane tue ce qu'il adore; tout cela eft vraiment tragique. L'amour furieux, criminel, malheureux; fuivi de remords, arrache de nobles larmes. Point de milieu: il faut, ou que l'amour domine en tyran, ou qu'il ne paraiffe pas; il n'eft point fait pour la feconde place. Mais que Néron fe cache derriere une tapifferie pour entendre les difcours de fa maîtreffe & de fon rival; mais que le vieux Mithridate se ferve d'une rufe comique, pour fçavoir le fecret d'une jeune perfonne aimée par les deux enfans; mais que Maxime, même dans la piéce de Cinna, fi remplie de beautés mâles & vraies, ne découvre en lâche une confpiration fi importante, que parce qu'il eft imbécilement amoureux d'une femme, dont il devoit connaître la paffion pour Cinna, & qu'on dife pour raifon :

L'amour rend tout permis,

Un véritable amant ne connaît point d'amis.

mais qu'un vieux Sertorius aime je ne fçai quelle Viriate, & qu'il foit affaffiné par Perpenna, amoureux de cette Espagnole: tout cela eft petit & puérile, il le faut dire hardiment; & ces petiteffes nous mettroient prodigieufement au deffous des Athéniens, fi nos grands Maîtres n'avoient racheté ces défauts qui font de notre nation, par les fublimes beautés, qui font uniquement de leur génie.

Une chofe à mon lens affez étrange, c'est que les grands Poëtes tragiques d'Athènes aient fi fouvent traité des fujets où la nature étale tout ce qu'elle a de touchant, une Electre, une Iphigénie, une Mérope, un Alcméon, & que nos grands modernes négligeant de tels fujets, n'aient prefque traité que l'amour, qui est souvent plus propre à la Comédie qu'à la Tragédie. Ils ont cru quelquefois annoblir cet amour par la politique; mais un amour qui n'eft pas furieux eft froid, & une politique qui n'eft pas une ambition forcenée, eft plus froide encore. Des raisonnemens politiques font bons dans Polibe, dans Machiavel; la galanterie eft à fa place dans la Comédie & dans des Contes; mais rien de tout cela n'eft digne du pathétique & de la grandeur de la Tragédie.

Le goût de la galanterie avoit dans la Tragédie prévalu au point, qu'une grande Princeffe, qui par fon efprit & par fon rang fembloit en quelque forte excufable de croire que tout le monde devoit penfer comme elle, imagina qu'un adieu de Titus & de Bérénice étoit un fujer tragique: elle le donna à traiter aux deux Maîtres de la fcène. Aucun des deux n'avoit jamais fait de Piéce, dans laquelle l'amour n'eût joué un principal ou un fecond rôle : mais l'un n'avoit jamais parlé au cœur que dans les feules fcènes du Cid, qu'il avoit imitées de l'Espagnol; l'autre, toujours élégant & tendre, étoit éloquent dans tous les genres, & fçavant dans cet art enchanteur de tirer de la plus petite fituation les fentimens les plus délicats. Auffi le premier fit de Titus & de Bérénice un des plus mauvais ouvrages qu'on connaiffe au Théâtre; l'autre trouva le fecret d'intéresses

pendant cinq Actes, fans autre fonds que ces paroles: Je vous aime, & je vous quitte. C'étoit, à la vérité, une Paftorale entre un Empereur, une Reine &un Roi, & une Paftorale cent fois moins tragique que les fcènes intéreffantes du Paftor fido. Ce fuccès avoit perfuadé tout le public & tous les Auteurs, que l'amour feul devoit être à jamais l'ame de toutes les Tragédies.

Ce ne fut que dans un âge plus mûr que cet homme éloquent comprit qu'il étoit capable de mieux faire, & qu'il fe repentit d'avoir affaibli la fcene par tant de déclarations d'amour, par tant de fentimens de jaloufie & de coquetterie, plus dignes, comme j'ai déjà ofé le dire, de Ménandre, que de Sophocle & d'Euripide. Il compofa fon chef-d'œuvre d'Athalie; mais quand il se fut ainsi détrompé luimême, le public ne le fut pas encore. On ne put imaginer qu'une femme, un enfant & un Prêtre, puffent former une Tragédie intéreffante. L'ouvrage le plus approchant de la perfection qui foit jamais forti de la main des hommes, refta long-temps méprifé, & fon illuftre Auteur mourut avec le chagrin d'avoir vû fon fiécle éclairé, mais corrompu, ne pas rendre justice à fon chef-d'œuvre.

Il eft certain que fi ce grand homme avoit vécu, & s'il avoit cultivé un talent, qui feul avoit fait fa fortune & fa gloire, & qu'il ne devoit pas abandonner, il eût rendu au Théâtre fon ancienne pureté, il n'eût point avili par des amours de ruelle, les grands fujets de l'antiquité. Il avoit commencé l'Iphigénie en Tauride, & la galanterie n'entroit point dans fon plan. Il n'eût jamais rendu amoureux ni Agamemnon, ni Öreste, ni Electre, ni Té

[ocr errors]

léphonte, ni Ajax; mais ayant malheureuse-
ment quitté le Théâtre avant de l'épurer, tous
ceux qui le fuivirent, imitérent & outrérent
fes défaus, fans atteindre à aucune de les beau-
tés. La morale des Opéra de Quinaut entra
dans prefque toutes les fcènes tragiques: tan-
tôt c'est un Alcibiade, qui avoue que dans ces
tendres momens il a toujours éprouvé, qu'un mor-
tel peut goûter un bonheur achevé. Tantôt c'eft
une Ameftris, qui dit que la fille d'un grand
Roi brûle d'un feu fecret, fans bonte 5 fans ef-
froi. Ici un Agnonide de la belle Crifis en tous
lieux fuit les pas, adorateur conftant de ses divins
appas. Le féroce Arminius, ce défenfeur de la
Germanie, protefte qu'il vient lire fon fort dans
les yeux d'Ifménie, & vient dans le camp de
Varus pour voir fi les beaux yeux de cette Ifmé-
nie daignent lai montrer leur tendreffe ordinaire.
Dans Amafis, qui n'eft autre chofe que la Mé-
rope chargée d'épisodes romanefques, une
jeune héroïne, qui depuis trois jours à vû un mo-
ment dans une maifon de campagne un jeune
inconnu dont elle est éprife, s'écrie avec bien-
féance:

C'est ce même inconnu ; pour mon repos hélas !
Autant qu'il le devoit, il ne fe cacha pas;
Et pour quelques momens qu'il s'offrir à ma vûe,
Je le vis, j'en rougis ; mon ame en fut émue.

Dans Athénaïs, un Prince de Perfe fe déguise
pour aller voir fa Maîtreffe à la Cour d'un Em-
pereur Romain. On croit lire enfin les Romans
de Mademoiselle Scudéri, qui peignoit des
Bourgeois de Paris fous le nom des héros de
Pantiquité.

Pour achever de fortifier la Nation dans ce goût déteftable, & qui nous rend ridicules aux yeux de tous les Etrangers fenfés, il arriva par malheur que Mr. de Longepierre, trèszélé pour l'antiquité, mais qui ne connaiffoit pas affez notre Théâtre, & qui ne travailloit pas affez fes vers, fit repréfenter fon Electre. Il faut avouer qu'elle étoit dans le goût antique; une froide & malheureuse intrigue ne défiguroit pas ce fujet terrible; la pièce étoit fimple & fans épifode: voilà ce qui lui valoit avec raison la faveur déclarée de tant de perfonnes de la premiere confidération, qui espéroient qu'enfin cette fimplicité précieufe, qui avoit fait le mérite des grands génies d'Athenes, pourroit être bien reçue à Paris, où elle avoit été fi négligée.

Vous étiez, MADAME, auffi-bien que feue Madame la Princeffe de Conti, à la tête de ceux qui le flattoient de cette efpérance; mais malheureusement les défauts de la piéce Française l'emportérent fi fort fur les beautés qu'il avoit empruntées de la Gréce, que vous avouates à la représentation, que c'étoit une ftatue de Praxitele défigurée par un moderne. Vous eutes le courage d'abandonner ce qui en effet n'étoit pas digne d'être foutenu, fçachant trèsbien que la faveur prodiguée aux mauvais ouvrages, eft auffi contraire aux progrès de l'efprit, que le déchaînement contre les bons. Mais la chute de cette Electre, fit en mêmetemps grand tort aux partifans de l'antiquité. On fe prévalut trés-mal-à-propos des défauts de la copie contre le mérite de l'original; & pour achever de corrompre le goût de la Nation, on fe perfuada qu'il étoit impoffible de foutenir, fans une intrigue amoureuse, & fans

« PoprzedniaDalej »