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Parmi nos défauts, nous avons comme yous, dans nos Opera les plus tragiques, une infinité d'airs détachés, mais qui font plus défectueux que les vôtres, parce qu'ils font moins liés au fujet. Les paroles y font prefque toujours affervies aux Muficiens, qui ne pouvant exprimer dans leurs petites chanfons les termes mâles & énergiques de notre langue, exigent des paroles efféminées, oifives, vagues, étrangeres à l'action, & ajoûtées, comme on peut, à de petits airs mefurés, femblables à ceux qu'on appelle à Venife Barcarole. Quel rapport, par exemple, entre Théfée, reconnu par fon pere fur le point d'être empoisonné par lui, & ces ridicules paroles?

Le plus fage

S'enflamme & s'engage,
Sans fçavoir comment,

Malgré ces défauts, j'ofe encore penser que nos bonnes Tragédies-Opera, telles qu'Atis, Armide, Thésée, étoient ce qui pouvoit donner parmi nous quelque idée du Théâtre d'Athenes; parce que ces Tragédies font chantées comme celles des Grecs;. parce que le chœur, tout vicieux qu'on l'a rendu, tout fade panégyrifte qu'on l'a fait de la morale amoureuse, reffemble pourtant à celui des Grecs, en ce qu'il occupe fouvent la fcène. Il ne dit pas ce qu'il doit dire ; il n'enseigne pas la vertu, & regat iratos amet peccare timenzes; mais enfin il faut avouer que la forme des Tragédies-Opera nous retrace la forme de la Tragédie Gréque, à quelques égards. Il m'a donc paru en général, en confultant les gens de lettres qui connnaiffent l'antiquité,

que ces Tragédies-Opera font la copie & la ruine de la Tragédie d'Athènes. Elles en font la copie, en ce qu'elles admettent la mélopée, les chœurs, les machines, les Divinités: elles en font la deftruction, parce qu'elles ont accoutumé les jeunes gens à fe connaître en fons plus qu'en efprit, à préférer leurs oreilles à leur ame, des roulades à des penfées fublimes, à faire valoir quelquefois les ouvrages les plus infipides & les plus mal écrits, quand ils font foutenus par quelques airs qui nous plaifent. Mais, malgré tous ces défauts, l'enchantement qui résulte de ce mêlange heureux de fcènes, de choeurs, de danfes, de fymphonie, & de cette variété de décorations, fubjugue jufqu'au critique même; & la meilleure Comédie, la meilleure Tragédie n'eft jamais fréquentée par les mêmes perfonnes, auffi affidûment qu'un Opera médiocre. Les beautés régulieres, nobles, féveres, ne font pas les plus recherchées par le vulgaire ; fi on repréfente une ou deux fois Cinna, on joue trois mois les Fêtes Vénitiennes : un Poëme épique eft moins lû que des Epigrammes licentieufes; un petit Roman fera mieux débité que l'Hiftoire du Président de Thou. Peu de particuliers font travailler de grands Peintres; mais on fe difpute des figures eftropiées qui viennent de la Chine, & des ornemens fragiles. On dore, on vernit des cabinets; on néglige la noble Architecture: enfin dans tous les genres, les petits agrémens l'emportent fur le vrai mérite,

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SECONDE PARTIE.

De la Tragédie Françaife, comparée d La Tragédie Gréque.

EUREUSEMENT la bonne & vraie

HTragédie parut en France avant que nous

euffions ces Opera qui auroient pû l'étouffer. Un Auteur, nommé Mairet, fut le premier, qui, en imitant la Sophonisbe du Triffino introduifit la régle des trois unités, que vous avez prise des Grecs. Peu à peu notre scène s'épura, & fe défit de l'indécence & de la barbarie, qui deshonoroient alors tant de Théâtres, & qui fervoient d'excufes à ceux dont la févérité peu éclairée condamnoit tous les Specacles.

Les Acteurs ne parurent pas élevés comme à Athènes, fur des cothurnes qui étoient de véritables échaffes; leur vifage ne fut pas caché fous de grands mafques, dans lefquels des tuyaux d'airain rendoient les fons de la voix plus frappans & plus terribles : nous ne pûmes avoir la mélopée des Grecs: nous nous réduisîmes à la fimple déclamation harmonieufe, ainfi que vous en aviez d'abord ufé. Enfin nos Tragédies devinrent une imitation plus vraie de la nature. Nous fubftituâmes l'Hif toire à la Fable Gréque. La politique, l'ambition, la jaloufie, les fureurs de l'amour regnérent fur nos Théâtres. Augufte, Cinna, Céfar, Cornélie, plus refpectables que des Héros fabuleux, parlerent fouvent fur notre

fcène, comme ils auroient parlé dans l'ancienne Rome.

Je ne prétends pas que la fcène Française l'ait emporté en tout fur celle des Grecs, & doive la faire oublier. Les inventeurs ont tou jours la premiere place dans la mémoire des hommes; mais quelque refpect qu'on ait pour ces premiers génies, cela n'empêche pas que ceux qui les ont fuivis ne faffent fouvent beaucoup plus de plaifir. On refpećte Homere: mais on lit le Taffe; on trouve dans lui beaucoup de beautés qu'Homere n'a point connues. On admire Sophocle: mais combien de nos bons Auteurs tragiques ont-ils des traits de maître que Sophocle eût fait gloire d'imiter s'il fût venu après eux? Les Grecs auroient appris de nos grands modernes à faire des expofitions plus adroites, à lier les fcènes les unes aux autres, par cet art imperceptible qui ne laiffe jamais le Théâtre vuide, & qui fait venir & fortir avec raifon les perfonnages; c'eft à quoi les anciens ont fouvent manqué, & c'eft en quoi le Triffino les a malheureusement imités..

Je maintiens, par exemple, que Sophocle & Euripide euffent regardé la premiere scene de Bajazet comme une école où ils auroient profité, en voyant un vieux Général d'Armée annoncer, par les queftions qu'il fait, qu'il médite une grande entreprise :

Que faifoient cependant nos braves Janiffaires? Rendent-ils au Sultan des hommages finceres ? Dans le fecret des cœurs, Ofmin, n'as-tu rien lu? Et le moment d'après;

Crois-tu qu'ils me fuivroient encor avec plaifir, Et qu'ils reconnaîtroient la voix de leur Vifir? Ils auroient admiré comme ce conjuré déve→ loppe enfuite fes deffeins, & rend compte de fes actions. Ce grand mérite de l'art n'étoit point connu aux inventeurs de l'art. Le choc des paffions, ces combats de fentimens oppofés, ces difcours animés de rivaux & de rivales, ces querelles, ces bravades, ces plaintes réciproques, ces conteftations intéreffantes, où l'on dit ce que l'on doit dire ; ces fituations fi bien ménagées les auroient étonnés; ils euffent trouvé mauvais, peut-être, qu'Hippolyte foit amoureux affez froidement d'Aricie, & que fon Gouverneur lui faffe des leçons de galanterie, qu'il dise :

Vous même où feriez-vous,

Si toujours votre mere, à l'amour opposée, D'une pudique ardeur n'eût brûlé pour Thésée ?

Paroles tirées du Paftor Fido, & bien plus convenables à un Berger qu'au Gouverneur d'un Prince: mais ils euffent été ravis en admiration en entendant Phédre s'écrier :

Enone, qui l'eût cru! j'avois une rivale.

Hippolyte aime, & je n'en peux dou

ter.

Ce farouche ennemi qu'on ne pouvoit dompter,

Qu'offenfoit le refpect, qu'importunoit la plainte

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