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fut étranger à la nouvelle philosophie, et l'on doit rapporter à cette époque le tableau qu'a tracé Gibbon de l'état religieux de l'empire.

« Les différens genres de culte qui régnoient » dans le monde romain, étoient tous considérés >> par le peuple comme également vrais, par le >> philosophe comme également faux, par le ma¬ >>gistrat comme également utiles: et cette tolé»rance produisoit, non-seulement une indulgence » mutuelle, mais un véritable accord entre les reli» gions.

» La superstition du peuple n'étoit mêlée d'au>> cune haine, d'aucune aigreur théologique, ni >> enchaînée dans le cercle d'un systême exclusif. >> Le dévot polythéiste, tout attaché qu'il étoit à » son culte et au rit national, admettoit, avec une >> foi implicite, toutes les religions de la terre.....

>> Les philosophes conservoient, dans leurs écrits >> et dans leurs conversations, l'indépendance et la » dignité de leur raison; mais pour leurs actions, >> ils se soumettoient aux règles établies par les » lois et par l'usage. Regardant avec un sourire de

pitié et d'indulgence les erreurs du vulgaire, ils >> pratiquoient avec exactitude les cérémonies re» ligieuses de leurs ancêtres ; ils fréquentoient dé>> votement les temples des dieux; tel même d'entre » eux, jouant un rôle sur le théâtre de la super»stition, cachoit les sentimens d'un athée sous la

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>>>robe d'un pontife. Il eût été difficile de déter» miner des hommes qui raisonnoient ainsi, à s'en» tre-disputer sur les différens modes de croyance » ou de culte. Il leur étoit fort indifférent que les >> folies de la multitude prissent telle forme plutôt » que telle autre; et ils approchoient, avec le » même mépris intérieur et le même respect ap>> parent, des autels du Jupiter de Lybie, de celui » de l'Olympe, ou de celui du Capitole (1)

On seroit moins surpris de la complaisance avec laquelle M. Gibbon peint l'incrédulité romaine, s'il en avoit ignoré les épouvantables effets. Mais il savoit mieux que personne que le mépris intérieur des philosophes, non pas seulement pour le Jupiter de Lybie et celui de l'Olympe, mais pour toute divinité quelconque, ne tarda pas à se propager parmi les dévots polytheistes, et qu'à l'exemple des grands, devenue indifférente à tout, hors an plaisir, la multitude se désabusa tellement des folies et des superstitions antiques, que l'empire, privé de l'appui qu'il empruntoit de la Religion, chancela tout à coup comme un homme ivre, et disparut enfin dans la fange, où le traînèrent avec ignominie des peuples forts de leurs croyances et de leurs mœurs. Montesquieu ne craint pas d'attri

(1) Histoire de la Décadence et de la Chute de l'Empire romain, tom. 1er. chap. 11.

buer sa chute à la philosophie d'Epicure, dont M. Gibbon admire si naïvement le résultat (*). Il ne s'est pas aperçu que le tableau qu'il a voulu rendre attrayant n'est qu'une effrayante description du vice intérieur qui devoit irrémédiablement conduire Rome à sa perte.

encore,

Si l'on considère attentivement le genre humain, à l'époque où commence cette grande révolution, on n'aura pas de peine à démêler, à travers l'éclat des événemens, les causes qui la rendoient nécessaire. Le corps social étoit épuisé,et l'apparence de vigueur qu'il continua de montrer quelque temps tenoit presque uniquement à la conservation de la discipline militaire, qui s'altéra bientôt comme tout le reste. La puissance absolue des. empereurs suppléa momentanément aux lois, aux à la Religion. Il y eut je ne sais quelle triste imitation de l'ordre, parce qu'on obéit, et l'on obéit parce qu'on trembla. L'épée du légionnaire fut le sceptre avec lequel on gouverna ces fiers Romains qui avoient donné des fers au monde entier, et comme il n'y avoit jamais eu d'exemple

mœurs,

(*) Bolingbroke pense sur ce point absolument comme Montesquieu : « L'oubli et le mépris de la Religion furent, » dit-il, la cause principale des maux que Rome éprouva » dans la suite: la Religion et l'Etat déchurent dans la >> même proportion ». Tom. IV, pag. 428.

d'une semblable domination, jamais il n'en exista d'une pareille servitude.

A partir du règne de Tibère, on voit les ames se dépraver à un point qui étonne même aujourd'hui ; ou plutôt on voit se manifester une dégradation déjà existante, et qui n'attendoit, pour se produire au grand jour, et prendre, en quelque sorte, une solennelle possession de l'opprobre, qu'un premier exemple et un indigne salaire. A la vérité, quelques rares vertus apparoissoient encore de loin en loin dans la société, comme ces feux qu'on allume la nuit sur les bords d'une mer orageuse, pour indiquer la route au navigateur; mais elles sembloient ne briller que pour éclairer les naufrages qu'elles auroient dû prévenir. Et ces vertus elles-mêmes, examinées de sang-froid, qu'étoientelles, après tout, que le facile courage de mourir, disons mieux, de se dérober à la fatigue de vivre? La force des plus hautes ames consistoit à plier sous le fardeau de ces temps effroyables. Qu'on juge du peuple entier par les exceptions.

L'esprit humain ne savoit plus où se prendre. Dépouillé de ses croyances et de ses opinions mêmes, il nageoit au hasard dans un océan immense d'incertitudes et de doutes. Il n'y avoit plus de paganisme, il n'y avoit plus même de philosophie, à moins qu'on n'appelle de ce nom ces vagues jeux de l'esprit, dont quelques Romains

de

amusoient leurs loisirs dans les jardins de leurs villa, ou sous les portiques de leurs palais, sans que, tous ces discours ingénieux, il sortît une règle fixe de conduite, et un principe pour la conscience. On dissertoit sur les dieux, pour douter s'ils existoient; sur les devoirs, pour les éluder; sur la mort, pour conclure qu'il falloit se hâter de jouir de la vie ; et, par-dessus tout, on s'abandonnoit mollement au courant du fleuve, qui emportoit pêle-mêle les débris de l'ordre social, et les hommes, et les institutions, et l'empire même.

Toutefois, malgré l'indifférence générale, et peut-être à cause de cette indifférence, le culte subsistoit encore; mais un culte vide de foi, et par conséquent dépourvu d'effet. On continuoit d'attester à la tribune les Dieux immortels; jamais les rhéteurs ne furent plus féconds en maximes sévères, en pompeuses sentences de morale: et ce, pendant la société s'affoiblissoit à vue d'œil, car des phrases ne sont pas des croyances, et de futiles déclamations ne remplacent point les doctrines sociales. La philosophie elle-même, bien que cidée à ne voir dans ces doctrines que des préjugés, en a reconnu de nos jours la nécessité indispensable. « Il faut sans douté des préjugés aux hommes», dit un de ses plus célèbres disciples, dans un ouvrage où il enseigne l'athéisme : « Sans eux » point de ressort, point d'action; tout s'engourdit,

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