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» Je trouve que des opinions approchantes, » s'insinuant peu à peu dans l'esprit des hommes » du grand monde, qui règlent les autres, et » dont dépendent les affaires, et se glissant dans » les livres à la mode, disposent toutes choses à » la révolution générale dont l'Europe est mena»cée. — On tourne en ridicule ceux qui prennent » soin du public, et quand quelque homme bien >> intentionné parle de ce que deviendra la posté» rité, on répond: Alors comme alors. Mais il » pourra arriver à ces personnes d'éprouver elles» mêmes les maux qu'elles croient destinés à d'au>> tres. Si l'on ne se corrige de cette maladie d'es» prit épidémique dont les effets commencent à >> être visibles, si elle va croissant, la Providence » corrigera les hommes par la révolution même » qui en doit naître (1) ».

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Elle est née en effet cette révolution: qui l'ignore dans le monde entier? Les coups portés, en Europe, à la société et à la Religion, retentissent encore en ce moment sur les rivages de l'Amérique, et jusqu'au fond de ses forêts ensanglantées. Oui, les hommes ont été punis; l'orgueil même ne le peut nier ils ont été punis comme jamais les hommes ne le furent; mais sont-ils corrigés? Si je regarde autour de moi, je lis la révolte écrite

(1) Nouveaux Essais sur l'Entendement humain.

sur des fronts cicatrisés par la foudre des vengeances divines. Si je prête l'oreille, j'entends des blasphêmes hautains et des ris moqueurs. Dieu est encore un scandale pour ceux qui avoient juré de l'anéantir. Et gardez-vous de penser qu'ils aient perdu l'espoir, ou abandonné le dessein de le détrôner. S'il subsiste un reste de foi, si la terre est encore esclave de l'espérance, c'est qu'on a mal attaqué le ciel. Pleins de cette idée, ils rassemblent sous nos yeux et renouent les fils dispersés de leur vaste conjuration. Evoquant avec éclat de la pous sière du sépulcre les premiers chefs de la guerre sacrilége qu'ils ont résolu de prolonger, ils se flattent que leurs spectres bouleverseront une seconde fois le monde. Eh quoi! n'est-ce donc pas assez de malheurs, assez de forfaits? et, quelque insatiable qu'on puisse être de calamités et de crimes, ne devroit-on pas être rassasié? Contemplez cette Europe, naguères si florissante, et maintenant si profondément misérable, qu'on ne trouve, pour peindre ses douleurs, que ces expressions d'un pro phète : Toute sa téte est une plaie, et son cœur une grande défaillance (1). Heureuse encore, trop heureuse, si cette défaillance ne dégénève pas en une torpeur incurable, et ne la conduit pas insensiblement, après quelques nouvelles dernier sommeil.

(1) Isaïe, ch. 1, . 5, selon l'hébreu.

crises, au

Mais, quel que doive être le résultat de cette révolution mémorable, essayons d'en tirer quelques-unes des instructions qu'elle renferme. Elles nous coûtent assez cher pour qu'au moins nous cherchions à en profiter.

Il existoit, il y a trente ans, une nation gouvernée par une race antique de rois, d'après une constitution la plus parfaite qui fut jamais, et selon des lois qu'on auroit pu croire, à plus juste titre que celles des anciens Romains, descendues du ciel, tant elles étoient sages, purės, bienfaisantes, et favorables à l'humanité. Cette nation, célèbre par sa franchise, sa douceur et ses lumières, par son amour pour ses souverains et pour la Religion à qui elle devoit quatorze siècles de gloire et de bonheur, fleurissoit en paix au milieu de l'Europe, dont elle excitoit l'envie, et dont elle faisoit l'ornement par la beauté de sa législation, par la noble politesse de ses mœurs, et par les éclatans chefs-d'œuvre de tout genre, dont les lettres, les sciences et les arts l'avoient enrichie de concert. Heureuse au dedans, respectée au dehors, sa renommée partont répandue Jui attiroit les hommages des plus lointaines contrées, et l'univers admiroit en elle la reine de la civilisation.

Tel étoit le peuple que Dien choisit pour donner au genre hunain une grande et terrible leçon

Tout à coup, à la voix de quelques sophistes, de nouvelles opinions, de nouveaux désirs s'emparent de ce peuple égaré. Il se dégoûte de ses croyances, et des doctrines tutélaires qui l'avoient élevé si haut. Tenté par le fruit de l'arbre de la science, il veut sortir de sa condition, et devenir semblable à Dieu, à qui seul appartient toute souveraineté. Soudain cet attentat est puni, comme celui du premier homme, par un irrévocable arrêt de mort, que le coupable lui-même est chargé d'exécuter.

La mort d'une société n'est que l'extinction de toute vérité sociale: on voit donc toutes les vérités sociales abandonner à la fois cette nation proscrite, et la laisser à elle-même, sans protecteur et sans règle, comme ces peuples perdus sans retour, de qui les anciens disoient : Les dieux sont partis!

De la vérité naît l'amour, qui produit et conserve et cette nation naguères si aimante, sans vérité maintenant, est aussitôt saisie d'un affreux esprit de haine, qui l'anime à sa propre destruction.

Lasse de toute autorité, et lasse de Dieu, la raison humaine entreprend de constituer sans lui la société, et même la Religion; car la philosophie s'attribuoit non-seulement la royauté, ou le droit d'imposer des lois politiques aux peuples; mais encore le sacerdoce, ou la fonction de régler leurs

croyances et leur culte. « Vous êtes le prêtre de la » raison (1) », écrivoit d'Alembert au vieillard de Ferney. Et l'on ne doit pas regarder ce mot comme une expression sans conséquence. L'idée qu'elle énonce n'est qu'une déduction rigoureuse du principe d'où partoit la philosophie; et dès qu'elle soumettoit tout, et Dieu même, à la raison de l'homme, il falloit que l'homme en vînt jusqu'à adorer sa raison, c'est-à-dire, jusqu'à s'adorer lui-même, ou à déclarer par un acte solennel qu'il ne connoissoit rien au-dessus de lui; car le culte public n'est que la déclaration de la croyance publique; et quand un peuple ne croit plus rien, son culte est une déclaration publique d'athéisme ou d'incrédulité.

Mais considérons le progrès, et, pour ainsi parler, la filiation logique des événemens. On a proclamé la souveraineté de l'homme, et ses droits, tous renfermés dans ce mot, sont devenus l'unique dogme politique et religieux : alors nécessairement on ne voit dans l'antique Religion de l'Etat, dans son symbole et dans son culte, qu'un sacrilége attentat contre la raison de l'homme. Dieu est traité en usurpateur; et quiconque se déclare pour lui, prenant parti dans la guerre qui existe entre Dieu

(1) Lettre de d'Alembert à Voltaire, du 13 décembre 1764.

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