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têmes d'orgueil et de cupidité. Indépendance au dedans, domination au dehors, tel est l'objet de tous les désirs, le rêve de tous les esprits. On ne connoît plus d'autre grandeur, d'autre prospérité que la gloire qui accompagne les conquêtes, et les richesses qui en sont le fruit. La frénésie des armes et la fièvre de l'or, agitent, consument les peuples. La science de les gouverner, science toute morale, se perd, et l'art matériel d'administrer lui succède, aux dépens de ce qui constitue la stabilité, la vigueur, et la félicité réelle des empires. Les finances, transformées en un vil agiotage, le commerce, les manufactures, les armées, deviennent toute la politique, parce que l'argent est tout le bonheur des Etats, et le canon toute leur force. Les nations, avides de jouissances, s'isolent du passé et de l'avenir, et tourmentées, ce semble, du pressentiment de leur fin, ne voyent que le présent, et se hâtent de l'engloutir. Sous prétexte d'accélérer la circulation des richesses, c'est-à-dire, pour donner plus d'énergie et de mouvement aux désirs, aux craintes, aux espérances, à toutes les passions et à tous les vices, on favorise autant qu'on peut les progrès du luxe; on va même jusqu'à tendre des piéges à la cupidité; on multiplie les spectacles, les filles publiques, les désastreuses loteries et les maisons de jeu, banques affreuses de crimes, où l'innocence

même, entraînée par une foiblesse imprudente, va, sous la protection de l'autorité publique, s'ouvrir un compte fatal, qui trop souvent se solde par le suicide ou sur l'échafaud. La morale et la conscience tombent dans un tel mépris qu'on n'ose plus même en prononcer le nom; et s'il se présente quelques-unes de ces grandes et simples questions que la justice immuable à décidées, pour ainsi dire, de toute éternité, ne vous attendez pas que sa voix se fasse entendre, ou soit écoutée; on traitera ses maximes de scrupules, peut-être de scandale, et, entre le spoliateur opulent et sa victime défaillante, la sagesse du siècle. ne verra que des intérêts à garantir et des plaintes à étouffer. Ainsi, tandis que la véritable politique, celle qui établit et conserve, n'est qu'une haute et souveraine équité, ou la science de l'ordre appliquée au gouvernement des nations, la politique philosophique, étroite et basse comme les intérêts matériels qu'elle considère uniquement, ne connoît d'autre vertu que l'habileté, d'autres crimes que les fautes, parce qu'elle n'est qu'une spécu lation de gloire ou d'argent.

Vaine pâture de l'orgueil, les sciences pourront jeter momentanémeut quelque éclat; mais leur splendeur sera peu durable. Ne les a-t-on pas vues suivre constamment par toute la terre les progrès de la civilisation, naître, se dévelop

per, s'arrêter et s'éteindre avec elle? Pâle image des vérités fécondes qui vivifioient la société, elles brilleront un instant comme de vagues météores à l'horizon du monde moral désolé, pour disparoître bientôt sans retour.

La culture des sciences exige, outre une certaine stabilité dans l'ordre politique, une vigueur d'ame et une constance d'application incompatibles avec la mobilité des institutions et la mollesse des mœurs d'un peuple matérialiste. Les convoitises tuent les passions, car les appétits ne sont pas des passions; elles tuent, par conséquent, les lettres, les sciences, les arts, et ne laissent d'activité que pour ce qui se rapporte aux besoins et aux plaisirs des sens. Et c'est la secrète raison de la préférence d'estime que la philosophie accorde aux sciences physiques sur les sciences morales. Cette préférence se remarquera jusque dans l'éducation; et s'il existe une éducation publique chez le peuple.que je suppose, elle sera infailliblement dirigée selon les maximes qui le dirigent lui-même, et par l'esprit qui l'anime esprit d'orgueil, qui place au premier rang d'importance une futile instruction, propre à nourrir la vanité, sans gêner les penchans du cœur; esprit de volupté, d'où résultera une homicide indulgence pour les désordres de mœurs, ou, quoi qu'on fasse pour les réprimer par des considéra

tous purement physiques, une sourde corruption mille fois plus désastreuse dans ses suites que l'ignorance, qu'il ne faut, après tout, ni tant plaindre, ni tant redouter; car, pour la plupart des hommes, destinés à passer dans de continuels travaux cette vie triste et rapide, la seule connoissance indispensable est celle de Dieu et des devoirs qu'il nous impose. Qui sait cela, en sait assez pour être heureux, et pour rendre heureux les autres. Le peu que l'homme peut apprendre de plus ne sert souvent qu'à le corrompre, et presque toujours qu'à le tourmenter, et qui addit scientiam, addit et laborem.

A mesure que la vérité disparoît de la constitution, des lois, des mœurs, l'Etat s'affoiblit, sa vie s'éteint, et il arrive un moment où il faut de nécessité que tout périsse, ou que tout se renouvelle. Les peuples ne subsistent et ne se raniment que par les croyances. En s'éloignant de Dieu, ils s'approchent du néant, domaine propre de tous les êtres finis, et leur unique souveraineté. Voilà pourquoi Machiavel, qui n'étoit pas apparemment un esprit foible ni un fanatique, voue sans hésiter à l'exécration universelle ceux qui, en ébranlant la Religion, ébranlent la société : « Hommes infâmes » et détestables, comme il les appelle, destruc>>teurs des royaumes et des républiques, eunemis » des vertus, des lettres, et de tous les arts qui

>> honorent le genre humain, et contribuent à sa » prospérité (1) ».

Cette race d'hommes, qui ne manque jamais d'apparoître lorsque le ciel veut exercer sur les peuples quelque grand châtiment, Leibnitz la voyoit avec effroi, il y a plus d'un siècle, se multiplier en Europe, et ce profond observateur annonça dès-lors les désastres dont il nous étoit réservé d'être les témoins et les victimes. Ses paroles, si étonnantes quand on se reporte au temps où il écrivoit, méritent encore plus d'attention peutêtre, après que les événemens les ont, hélas! si complètement vérifiées.

«Les disciples d'Epicure et de Spinosa se croyant » déchargés de la crainte importune d'une Pro>>vidence surveillante et d'un avenir menaçant, » lâchent la bride à leurs passions brutales, et >>> tournent leur esprit à séduire et à corrompre les » autres, et s'ils sont ambitieux et d'un caractère » un peu dur, ils seront capables, pour leur plai» sir ou leur amusement, de mettre le feu aux » quatre coins de la terre. J'en ai connu de cette >> trempe, que la mort a enlevés.

(1) Sono infami e detestabili gli uomini destruttori delle religioni, dissipatori de' regni e delle republiche, inimici delle virtù, delle lettere, e d'ogni altra arte che arrechi utilità e honore alla humana generatione. MaChiay. lib. I de' Discorsi.

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