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plus fort, comme ces animaux iufirmes qu'on égare dans les bois, lorsqu'on n'en peut plus tirer de service. Le pouvoir n'étant lié par aucune loi obligatoire, libre de tout devoir parce qu'il est dénué de tout droit, n'a que sa volonté ou son intérêt pour régle; et tout intérêt borné ici-bas, n'étant qu'un intérêt d'orgueil ou de volupté, le peuple, vil instrument de l'ambition ou des plaisirs de son maître, se verra réduit à l'alternative, ou de nourrir de ses sueurs le luxe d'un prince efféminé, ou d'engraisser de son sang la gloire d'un monstre.

Mais les peuples ont aussi leur volonté, leur intérêt, leur orgueil, plus terrible que celui d'aucun tyran. De là une haine secrète contre le pouvoir qui les gêne et les humilie, haine qui s'étend du pouvoir à tous les agens du pouvoir, à toutes les institutions, à toutes les lois, à toutes les distinctions sociales; et si on leur laisse un moment sentir leur force, ils en abuseront pour tout détruire, et courront à l'anarchie en croyant marcher à la liberté.

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Ainsi le principe désastreux que tout pouvoir vient du peuple, conduit infailliblement les peuples, on à la privation de gouvernement, ou à un gouvernement oppressif. La même doctrine qui détrône Dieu, détrône les rois, détrône l'homme même, en le ravalant au-dessous des brutes; et dès que la raison se charge de gouverner scule le

monde, l'intérêt particulier, source éternelle de haine, devient le seul lien social. De même que l'autorité n'est plus que la force, l'obéissance n'est plus que la foiblesse; car l'intérêt de l'orgueil n'est jamais d'obéir. Le désir inné de la domination, comprimé par la violence, réagit et pousse incessamment les sujets à la révolte. Le pouvoir errant dans la société, les troubles succèdent aux troubles, et les révolutions aux révolutions."

La démocratie la plus effrénée, qui n'est que' l'absence de tout ordre et de toute loi, ou le gouvernement des passions, au lieu de les satisfaire, les irrite, et le peuple, toujours convoitant, toujours détruisant, tourmenté de vagues désirs et de craintes vagues, se fatigue à creuser sa tombe, et cherche avec anxiété le fond du désordre, dans l'espoir d'y trouver le repos. La scule ombre de l'autorité l'effraie; toute inégalité, toute distinction quelconque excite sa défiance et blesse son orgueil. Honorant de sa haine tout ce qui s'élève au-dessus de lui, tous les genres de supériorité sans exception, il punit inexorablement les services qu'on eut le généreux courage de lui rendre, il punit les richesses, les talens, le génie, la gloire, la vertu même; et Aristide est banni de la cité qu'il sauva, parce que les Athéniens s'ennuient de l'entendre appeler le Juste.

Comment ose-t-on vanter une doctrine déjà

tant de fois éprouvée, et dont jamais il ne sortit que des calamités et des forfaits? Voyez cette Grèce si polie, si sage, supposé que la philosophie soit la sagesse, voyez-la telle que nous la montrent ses propres historiens. On n'y parloit que d'indépendance, et ses villes, ses campagnes regorgeoient d'esclaves; on enchaînoit des nations entières à la statue de la Liberté. Mais ce n'étoit pas assez de vendre l'homme, de l'échanger contre de vils animaux; les plus vertueux des Grecs l'égorgeoient pour habituer la jeunesse à verser le sang, et le dégradoient pour donner des leçons de morale à l'enfance.

Obtiendront-ils du moins ce qu'ils recherchent avec tant d'ardeur, ces barbares propriétaires de troupeaux d'êtres humains? Ils se disoient, ils se eroyoient libres, et, dans l'inconstance perpétuelle de leurs institutions arbitraires, ils ne faisoieut que changer de jong, et traverser en tous sens la tyrannie, tantôt asservis à un seul, tantôt, et plus durement, asservis à une multitude jalouse, insolente et capricieuse..

L'instructive histoire de cette nation célèbre n'est guère que l'histoire du crime et du malheur. Une haine furieuse soulevoit les Etats contre les Etats, et aux guerres extérieures se joignoient les guerres intestines. Des séditions, des complots, des proscriptions, des massacres, voilà le sujet

uniforme des récits des historiens. On ne citeroitpas une ville qui ne fût divisée en plusieurs factions, d'autant plus animées et plus implacables que, dans une population peu nombreuse, les haines publiques devenoient des haines personnelles. Chaque parti triomphant tour à tour, le plus foible avoit à porter la peine, et de sa défaite présente, et de ses anciens triomphes; et l'exil, toujours accompagné de la confiscation des biens, étoit la plus douce condition que pussent attendre les vaincus. De là des cruautés qui nous étonnent, et des habitudes atroces que les législateurs combattirent par des habitudes infâmes. On en étoit venu jusqu'à cet excès d'indigence morale, qu'on ne trouvoit que le vice à opposer au crime.

Cependant la raison s'épuisoit à combiner des formes de gouvernement, à compliquer les res→ sorts de la machine politique, espérant que l'ordre naîtroit d'une juste balance des forces. Dans ces calculs, plus vains encore qu'ingénieux, on n'oublioit que les passions, et l'on cherchoit péniblement dans la multiplicité des contre-poids, ou dans la division du pouvoir, une double garantie contre l'anarchie et le despotisme; mais ce ponvoir divisé, ou ces divers ponvoirs, s'attaquant bientôt, désoloient l'Etat par leurs querelles interminables. Tant de précautions n'aboutissoient qu'à prolonger une lutte funeste, et qu'à acheter plus

cher une plus dure oppression. On avoit également la tyrannie, et l'on avoit de plus ses vengeances.

Rome fut d'abord gouvernée par des rois, et ce fut la cause de sa durée. Sous leur autorité pacifique, la Religion, les moeurs, les lois, eurent le temps de prendre racine. On ne peut guère douter que cette époque n'ait été heureuse, car l'histoire n'en a conservé qu'une mémoire obscure et fort incertaine. Brutus, ajoute Tacite, institua le consulat et la liberté (1), c'est-à-dire, qu'on rapprocha le pouvoir du peuple, et depuis, il tendit toujours à descendre (*). Les grands s'efforçoient en vain de le retenir; leur résistance n'avoit d'autre effet que de donner plus d'éclat aux victoires que remportoit sur eux la multitude. Elle n'aspiroit à rien moins qu'à réaliser le systême de l'égalité absolue, qui n'est au fond qu'un systême de destruction absolute; car, après avoir détruit la société eu détruisant les distinctions sociales, les passions, jalouses des distinctions naturelles que la mort seule efface, détruiroient l'homme même, et finiroient par établir sur un sol désert, dans le silence

(1) Urbem Romam à principio reges habuere. Libertàtem et consulatum L. Brutus instituit. Annal. lib. I,

n°. I.

(*) « Tant qu'il resta quelques priviléges aux patriciens, » les plébéiens les leur òtèrent». Esprit des Lois, liv. XI,

ch. XVI.

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