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noître comme mal; esclave passive de l'entendement, ses fonctions se bornent à joindre à chaque idée qu'il lui offre, un sentiment dont la nature est déterminée d'avance par le jugement de la raison. Elle seule connoît le bien et le mal; elle seule aussi peut donc nous instruire de nos devoirs, et Rousseau semble en convenir, lorsqu'après nous avoir avertis que « les actes de la conscience ne sont pas » des jugemens (*), mais des sentimens (1) » il ajoute: «< Toute la moralité de nos actions est dans » le jugement que nous en portons nous-mêmes (2) ». Et plus expressément : « L'homme choisit le bon, » comme il a jugé le vrai; s'il juge faux, il choisit > mal (3) ».

Il est vrai qu'il place ailleurs dans la conscience la moralité de nos actions; mais c'est qu'alors il avoit besoin d'y trouver la règle infaillible des devoirs. Cette règle, au reste, est si loin d'être universelle, et suffisante à tous les hommes, grands et petits, savans et ignorans, qu'au contraire, de l'aveu de Rousseau, elle est complètement nulle pour le pauvre, c'est-à-dire, pour les trois quarts du genre

(*) Ainsi la conscience ne juge point, et la conscience

est un juge infaillible.

(1) Emile, tom. III, p. 111.

(2) Ibid. p. 100.

(3) Ibid. p. 75.

humain. «< La voix intérieure, ce sont ses paroles, » ne sait point se faire entendre à celui qui ne » songe qu'à se nourrir (1) ».

Que conclure, sinon que, dans le systême de la Religion naturelle, les devoirs ne reposant que sur la raison qui souvent nous trompe, n'ont aucune règle certaine, et que la morale du déisme est aussi vague, aussi indécise, aussi peu fixe que ses dogmes? Chacun aura la sienne, comme chacun a son symbole, et il suffira de quelques-uns de ces sophismes si familiers aux passions, pour que la raison, s'abusant sur les véritables devoirs, abuse à son tour la conscience, en parant le vice du masque de la vertu. En veut-on une preuve de fait? Bolingbroke, en raisonnant sur la loi naturelle, si claire, si précise; à son avis, est conduit, je ne dis pas à justifier la polygamie, le libertinage, l'adultère, l'inceste mais à les mettre, en certains cas, au rang des devoirs (2). Si les Romains, les Grecs et d'autres peuples, défendirent la pluralité des femmes, et encouragèrent la monogamie, c'est, dit-il, dans son langage cynique, « parce qu'en contractant de »tels mariages, rien, excepté le défaut d'occasions, » n'empêchoit les maris, non plus que leurs fem›› mes, de satisfaire librement leurs appétits, mal

(1) Emile, p. 11.

(2) Bolingbroke's Works, vol. V, p. 163, 172, 176.

» gré les nœuds sacrés qui les unissoient, et le droit >> réciproque de propriété que la loi leur accordoit » sur la personne l'un de l'autre (1) ».

Rousseau, quoique grand parleur de vertu, n'est guère plus sévère que Bolingbroke. Il avoue, à la vérité, que la continence est un devoir de morale; mais, ajoute-t-il, les devoirs moraux ont leurs modifications, leurs exceptions (2); et il ne manque pas d'en trouver au devoir de la continence, fondé sur ce que la foiblesse humaine rend quelquefois le crime inévitable. Ainsi il suffit d'être foible pour avoir le droit de faillir; les devoirs n'obligeant qu'en proportion de la facilité qu'on a de les remplir, il y a autant de morales différentes que d'individus, et tout est licite au scélérat consommé, à qui le crime est devenu un besoin presque invincible. Je baisse les yeux, et rougirois d'être homme, si je ne me souvenois que je suis chrétien.

Je ne crains point de l'affirmer, le déisme, qu'on nous représente comme la Religion de la nature, la seule Religion essentielle à l'homme, est la destruction de toute doctrine, de tout culte, de toute morale; et, quoi qu'en ait dit La Harpe, alors philosophe, Condorcet avoit raison de nier qu'il existât

(1) Bolingbroke's Works, vol. V, p. 167.
(2) Emile, tom. III, p. 280.

une Religion purement naturelle (*); à moins qu'on ne prétende que des phrases sont une Religion, des doutes une Religion, l'athéisme déguisé une Religion.

Or, un systême où tout entre jusqu'à l'athéisme, quelle en est la base, si ce n'est l'indifférence la plus absolue pour la vérité? Telle est l'essence du déisme, comme l'exclusion de toute révélation en est le caractère distinctif. Je le réfuterai donc en prouvant la nécessité et l'existence d'une Religion révélée.

Mais avant de quitter ce sujet, qu'on me permette d'ajouter, aux considérations qu'on vient de lire, une dernière observation. Qui le croiroit? le déisme, fondé sur le seul raisonnement, conduit la raison à se renier elle-même. C'est que la philosophie, orgueilleusement abjecte, n'a jamais su comprendre en quoi consiste la vraie grandeur de cette

(*) Voyez sa Vie de Voltaire. Dans son Plan d'Éducation présenté à l'Assemblée législative, les 22 et 21 avril 1791, Condorcet, observant que « les philosophes théistes » ne sont pas plus d'accord que les théologiens sur l'idée » de Dieu, et sur ses rapports moraux avec les hommes », en conclut que « la proscription doit s'étendre sur ce qu'on appelle Religion naturelle ». Il sentoit l'impossibilité de s'arrêter dans ce milieu vague; et pour assurer le triomphe de la philosophie sur le Christianisme, il ne voyoit d'autre moyen que de proscrire Dieu.

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noble faculté, que tantôt elle abaisse au-dessous de l'instinct de la brute, et tantôt elle élève audessus de Dieu même. Nous avons vu Rousseau tomber alternativement dans ces deux excès; envier presque le sort des bétes, dont il ne se jugeoit distingué que par le triste privilége de s'égarer d'erreurs en erreurs, à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe; et vouloir que cette même raison, sans aucun appui, sans aucun guide, sans aucun enseignement étranger, décidant elle seule des plus hauts dogmes, soit l'arbitre exclusif de la foi. Or, prendre notre propre esprit pour unique règle de croyance, repousser avec dédain les vérités qu'il n'auroit pas découvertes immédiatement, interdire à Dieu le droit de nous révéler, par une autre voie, quelques-uns des secrets de son être, qu'est-ce autre chose qu'enchaîner sa sagesse et sa puissance, puissance, l'asservir aux lois qu'il nous plaît de lui dicter, et soumettre l'éternelle raison à notre raison débile? Etrange délire! Qui sommes-nous pour prescrire fièrement à Dieu un mode d'action, dont il ne sera pas libre de s'écarter; pour oser lui dire : Voilà le seul moyen que nous te permettions d'employer pour nous éclairer? Et si ce moyen est insuffisant, si vous convenez vous-même que notre raison sans principe n'est propre qu'à nous égarer d'erreurs en erreurs, il faudra donc, de nécessité, ou nous égarer

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