Obrazy na stronie
PDF
ePub

nous pouvons les déduire de la sienne par rapport aux devoirs. Il faut donc que la vraie morale ait des caractères « de tous les temps et de tous les » lieux, également sensibles à tous les hommes, >> grands et petits, savans et ignorans, européens, >> indiens, africains, sauvages. S'il étoit une mo» rale sur la terre, hors de laquelle il n'y eût que » peine éternelle (*), et qu'en quelque lieu du >> moude un seul mortel de bonne foi n'eût pas été » frappé de son évidence, Dieu (**) seroit le plus » inique et le plus cruel des tyrans (1) ».

Tous les déistes conviennent de ceci ; et en effet, il seroit absurde de rejeter la révélation sous prétexte des obscurités qu'elle renferme, si l'on n'y substituoit que des obscurités d'un autre genre. Bolingbroke l'a fort bien senti; aussi soutient-il que la loi naturelle qui, dit-il, n'est que la loi de la raison (2), « également intelligible dans tous les >> temps et dans tous les lieux, et proportionnée >> aux plus foibles intelligences (3), a toute la

(*) Rousseau laisse en doute l'éternité des peines; mais quand il la nieroit formellement, il suffit qu'il admette des châtimens futurs, pour que notre raisonnement conserve toute sa force.

(**) Rousseau dit : Le Dieu de cette Religion.

(1) Emile, tom. III, p. 139.

(2) Bolingbroke's Works, vol. V, p. 83.

(3) Ibid. p. 94.

» clarté, toute la précision que Dieu peut donner, » ou que l'homme peut désirer (1) ».

Telle est la loi en elle-même; il ne s'agit plus que de savoir où elle existe, et par quelle voie l'homme parvient à la connoître. Écoutons Rous

seau :

« Tout ce que je sens être bien est bien, tout ce » que je sens être mal est mal; le meilleur de tous >> les casuistes est la conscience, et ce n'est que » quand on marchande avec elle qu'on a recours » aux subtilités du raisonnement... (2). Trop sou» vent la raison nous trompe, nous n'avons que >> trop acquis le droit de la récuser (*); mais la con>> science ne nous trompe jamais, elle est le vrai >> guide de l'homme; elle est à l'ame ce que l'in»stinct est au corps; qui la suit obéit à la nature, >> et ne craint point de s'égarer... (3). Conscience! >> conscience! instinct divin; immortelle et céleste >> voix; guide assuré d'un être ignorant et borné,

(1) Emile, tom. III, p. 26.

(2) Ibid. p. 97.

(*) Voici comme Rousseau parle un peu plus loin de ce droit que nous n'avons que trop acquis: «M'apprendre » que ma raison me trompe, n'est-ce pas réfuter ce qu'elle » m'aura dit pour vous? Quiconque veut récuser la rai» son, doit convaincre sans se servir d'elle». Emile, tom. III, p. 153, 154.

(3) Emile, tom. III, p. 98.

» mais intelligent et libre; juge infaillible du bien » et du mal, qui rends l'homme semblable à Dieu; » c'est toi qui fais l'excellence de sa nature et la » moralité de ses actions; sans toi je ne sens rien » en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que le >> triste privilége de m'égarer d'erreurs en erreurs, » à l'aide d'un entendement sans règle et d'une » raison sans principe (1) ».

Suivant Rousseau, la loi naturelle n'est donc pas la loi de la raison, puisque cette raison sans principe, que nous n'avons que trop acquis le droit de récuser, ne nous élève au-dessus des bétes que par le triste privilége de nous égarer d'erreurs en erreurs. Au reste on a vu plus haut que les plus grandes idées que nous ayons de la Divinité nous viennent par la raison seule, c'est-à-dire, par cette noble faculté qui, nous égarant d'erreurs en erreurs, ne nous élève pas au-dessus des bétes; car l'ignorance est moins dégradante que l'erreur, mais nous ravale au-dessous d'elles. Cela ne laisse pas d'être singulier; cependant, puisqu'il est ainsi, passons. Nous cherchons la règle des devoirs, et Rousseau nous la montre dans la conscience, guide assuré d'un étre ignorant et borné, juge infaillible du bien et du mal. Trop souvent la raison nous trompe, mais la conscience ne nous trompe jamais; elle est à l'ame l'instinct est au corps.

ce que

(1) Emile, tom. III, p. 114.

Cette doctrine rassurante semble nous faire entrevoir la certitude que nous désirions. Malheureusement je ne trouve point, parmi les sectateurs de la Religion naturelle, l'unanimité de sentiment à laquelle on devroit s'attendre sur un point d'une telle importance. Bolingbroke, par exemple, traite d'enthousiastes et de gens qui rendent la Religion naturelle ridicule, ceux qui prétendent qu'il existe << un instinct ou sens moral, au moyen duquel les >> hommes distinguent ce qui est moralement bou >> de ce qui est moralement mauvais, de sorte qu'il >> en résulte une sensation intellectuelle agréable » ou pénible (1). Cela peut, ajoute-t-il, s'acquérir, » jusqu'à un certain point, par une longue habi>>tude, et par une sorte de dévotion philosophique; >> mais d'en faire une faculté naturelle, c'est une >> fantasque illusion (2) ».

Qui croire de Bolingbroke ou de Rousseau? et à quoi s'en tiendront les disciples, quand les maîtres sont si peu d'accord? Ce que l'un regarde comme un principe inné (3), est pour l'autre une chimère, une illusion fantasque. Si l'un nous dit que la loi naturelle est la loi de la raison, l'autre nous assure la raison seule on ne peut établir aucune que par

(1) Bolingbroke's Works, vol. V, p. 86.

(2) Ibid. p. 479

(3) Emile, tom. III, p. 107.

loi naturelle (1). Et n'oubliez pas que la morale claire, précise, également intelligible, dit-on, dans tous les temps et dans tous les lieux, et proportionnée aux plus foibles intelligences, se trouve entre ces assertions opposées.

Mais voici quelque chose de plus fort : Rousseau lui-même va détruire la consolante sécurité dont il nous flattoit, en nous révélant que la conscience, ce guide assuré, ce vrai guide de l'homme, ne marche qu'appuyé sur la raison. « La raison seule » nous apprend à connoître le bien et le mal. La » conscience, qui nous fait aimer l'un et haïr l'autre, quoiqu'indépendante de la raison, ne peut douc » se développer sans elle (2) ». Et encore : << Con»noître le bien, ce n'est pas l'aimer : l'homme » n'en a pas la connoissance innée; mais sitôt que » sa raison le lui fait connoître, sa conscience » le porte à l'aimer: c'est ce sentiment qui est » inné (3) ».

L'unique juge des devoirs comme de la foi, est donc, en dernier ressort, la raison : la conscience ne vient qu'après elle, ne peut se développer sans elle; elle aime ce que la raison lui fait connoître comme bien; elle hait ce que la raison lui fait con

(1) Emile, II, p. 263.
(2) Ibid. tom. I, p. 112.
(3) Ibid. p. 75.

« PoprzedniaDalej »