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Un siècle après Socin, le poison du déisme circuloit dans toutes les veines de la Réforme, et ses théologiens rigides, déjà peu nombreux à cette époque, ne parlent que des effrayans progrès de l'indifférence des Religions dans son sein. Mais ils déploroient le mal, et ne pouvoient y appliquer de remède. L'arbre portoit son fruit; et bien que ce fruit parût chaque jour plus amer et plus dangereux, comment l'empêcher de naître et de mûrir, tandis que l'on conservoit, que l'on cultivoit avec amour l'arbre dont il étoit la production naturelle et nécessaire.

Aussi l'Angleterre et la Hollande, impurs réceptacles où fermentoit la lie des sectes qu'enfantoit incessamment l'ardeur d'innover, se peuploient d'une nouvelle espèce d'hommes qui, sous le nom de tolérans, de libres penseurs, sapoient tous les appuis de la société, et toutes les bases du Christianisme. Contenus par la crainte des lois, en France, où ils prenoient le titre d'esprits forts, ils s'y multiplièrent lentement, et s'environnèrent d'ombres épaisses, pendant que Louis XIV vécut. Si un bruit sourd d'impiété venoit de temps en temps alarmner l'oreille attentive de Bossuet, et indigner sa grande ame, ce bruit n'étoit encore, pour ainsi dire, que souterrain, et la tremblante incrédulité se déroboit aux regards des évêques et des magistrats, gardiens des saines doctrines,

Ce siècle fut, pour la France, celui de la gloire et de la Religion. Avec la régence s'ouvre un période bien différent. Les mœurs de Philippe et ses opinions connues avoient de bonne heure promis aux esprits forts un protecteur digne d'eux. A peine le vice eut-il saisi le pouvoir, qu'ils sentirent qu'ils alloient régner. L'exemple du prince, la vanité, l'attrait du libertinage, remplirent leurs rangs d'une multitude de prosélytes, sortis pour la plupart des hautes classes de la société. Leur audace, accrue par le succès, franchit les dernières bornes; ils attaquèrent de front toutes les croyances et toutes les institutions religieuses. Toussaint donna le signal par son livre Des mœurs, qui souleva contre lui la France chrétienne. Mais des scandales plus grands firent bientôt oublier ce premier scandale. Un homme d'un esprit infini, mais dépravé, se persuada que sa renommée seroit incomplète, tant qu'il resteroit à Jésus-Christ un adorateur. L'incroyable activité de cet homme, ses rares talens, sa haine implacable contre la Religion, tout concourut à le placer à la tête du partį philosophique, qu'il contribua plus que personne à grossir et à fortifier. La foule se pressa autour de sa gloire, et une violente conjuration s'ourdit publiquement contre le Christianisme. Elle existoit en secret depuis long-temps, au rapport de Jurieu, qui nous apprend que plusieurs des mi

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nistres réfugiés en Hollande, après la révocation de l'édit de Nantes, étoient de ces indifférens cachés qui «< formoient, dans les églises réformées » de France, depuis quelques années, ce malheu »reux parti où l'on conjuroit contre le Christia» nisme (1)». Le témoignage n'est pas suspect, et nous savons maintenant à quelle école appartenoient les premiers auteurs de la guerre contre la Religion révélée.

Cette école n'a pas un moment cessé de fournir des auxiliaires à la même cause. Bayle étoit protestant; Rousseau, né protestant, n'a fait que développer les principes des protestans; les déistes anglois, de qui Voltaire et ses disciples ont emprunté presque toute leur science anti-chrétienne, étoient protestans, et des protestans plus conséquens que les autres, comme je le prouverai. Ainsi l'on avoit commencé par réformer ou abolir certains dogmes, et l'on finit par les réformer tous, y compris la révélation. C'est à ce point que les modernes philosophes saisirent le protestantisme, et toujours réformant, ils en vinrent jusqu'à réformer Dieu même, et à vouloir réaliser la monstrueuse fiction d'un peuple athée, inventée par Bayle, et si chère à Diderot et à tous les sages de son école. On put se convaincre alors que l'im

(1) Tableau du Socinianisme, Let. I, pag.

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piété, si humaine et si douce dans ses paroles, sait au besoin s'aider également de la hache du bourreau et de la plume du sophiste.

Pendant les premières années qui suivirent cette sanglante époque, la philosophie, à peine descendue des échafauds où elle tenoit ses assises, et encore, si je l'ose dire, pleine de mort, ne fut guère qu'un hideux et fanatique athéisme. Peu à peu cependant l'on s'accoutuma à entendre, sans frémir, prononcer le nom de Dieu.Roberspierre avoit donné l'exemple de tolérer l'Être-Suprême et l'immortalité de l'ame, et l'on jugea sensément que personne n'avoit le droit de se montrer moins tolérant que Roberspierre.

Aujourd'hui, l'opinion penche vers l'indifférence universelle. Les gouvernemens la favorisent de tout leur pouvoir, et, chose inouie, s'efforcent d'entraîner le Christianisme dans ce systême; nouveau genre de persécution, dont nous sommes loin de connoître encore tous les effets. Le temps les développera, et en décidant du sort des doctrines sociales, décidera du sort de la société et de l'existence du genre humain. Rentrons dans la dis

cussion.

La souveraineté de la raison humaine en matière de foi, dogme fondamental du protestantisme, est aussi le fondement du déisme, et son caractère distinctif est l'exclusion absolue de toute révélation.

« Le déisme, dit un auteur anglois, n'est autre >> chose que la Religion essentielle à l'homme, la » vraie Religion de la nature et de la raison (1)».

Rousseau tient le même langage. « Les plus » grandes idées de Dieu nous viennent par la raison » seule. Voyez le spectacle de la nature, écoutez >> la voix intérieure. Dieu n'a-t-il pas tout dit à » nos yeux, à notre conscience, à notre jugement? >> Qu'est-ce que les hommes nous diront de plus? » Leurs révélations ne font que dégrader Dieu, en >> lui donnant les passions humaines (2) ».

Reste maintenant à savoir en quoi consiste cette Religion de la nature et de la raison, cette Religion essentielle à l'homme, et dont néanmoins l'homme n'a jamais su se contenter; car c'est un fait remarquable, qu'il n'exista dans aucun temps de peuple déiste, que tous ont eu des Religions qu'ils croyoient révélées, des Religions par conséquent opposées à la raison et à la nature ; ce qui n'empêche pas Rousseau de faire aux hommes un devoir de les suivre et de les aimer. N'importe, passons sur ce judicieux précepte; mettons-le, à l'exemple des disciples de Jean-Jacques, en oubli. Toute Religion se compose essentiellement de dogmes, de culte et de morale. Examinons la Religion naturelle sous ce triple rapport.

(1) Deism fairly stated, and fully vindicated, p. ·(2) Emile, tom. III, pag. 132-133.

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