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Après avoir promulgué, développé le précepte d'aimer et de suivre la Religion de son pays, il nous dit du plus grand sang froid : « Tant qu'on ne >> donne rien à l'autorité des hommes, ni aux » préjugés du pays où l'on est né, les seules lu» mières de la raison ne peuvent, dans l'institu>>tion de la nature, nous mener plus loin que la >> Religion naturelle (1) ». N'est-ce pas fortifier singulièrement le précepte dont il s'agit, que de nous apprendre qu'il n'a aucune espèce de fondement dans la raison?

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Et cette proposition, Rousseau déjà l'avoit expressément établie, au commencement de la seconde partie de la Profession de Foi : « Vous ne » voyez dans mon exposé que la Religion natu>> relle : il est bien étrange qu'il en faille une autremen » Par où connoîtrai-je cette nécessité? De quoiuennart » puis-je être coupable en servant Dieu selon les » lumières qu'il donne à mon esprit, et selon les >> sentimens qu'il inspire à mon cœur? Quelle pu>> reté de moralé, quel dogme utile à l'homme et » honorable à son auteur, puis-je tirer d'une doc>>trine positive, que je ne puisse tirer sans elle du >> bon usage de mes facultés? Montrez-moi ce qu'on » peut ajouter pour la gloire de Dieu, pour le bien » de la société, et pour mon propre avantage, aux

(1) Emile, tom. III, pag. 204.

>> devoirs de la loi naturelle, et quelle vertu vous » ferez naître d'un nouveau culte, qui ne soit pas » une conséquence du mien? Les plus grandes » idées de la Divinité nous viennent par la raison » seule. Voyez le spectacle de la nature, écoutez » la voix intérieure. Dieu n'a-t-il pas tout dit à nos » yeux, à notre conscience, à notre jugement? >> Qu'est-ce que les hommes nous diront de plus?... » Il falloit un culte uniforme; je le veux bien : » mais ce point étoit-il donc si important qu'il >> fallût tout l'appareil de la puissance divine pour » l'établir? Ne confondons point le cérémonial de » la Religion avec la Religion. Le culte que Dieu » demande est celui du cœur; et celui-là, quand » il est sincère, est toujours uniforme ; c'est avoir » une vanité bien folle de s'imaginer que Dieu » prenne un si grand intérêt à la forme de l'habit » du prêtre, à l'ordre des mots qu'il prononce, aux » gestes qu'il fait à l'autel, et à toutes ses génu» flexions. Eh! mon ami, reste de toute ta hauteur, » tu seras toujours assez près de terre. Dieu veut » être adoré en esprit et en vérité : ce devoir est » de toutes les Religions, de tous les pays, de >> tous les hommes. Quant au culte extérieur, s'il >> doit être uniforme pour le bon ordre, c'est pu>rement une affaire de police; il ne faut point de » révélation pour cela (1) ».

(1) Emile, tom. III, pag. 132–135.

En partant de ces principes et en les suivant jusqu'au bout, on arrive à un résultat opposé aux conclusions de Rousseau; mais ces conclusions étant, comme je l'ai montré, contradictoires dans les termes, ses disciples sont nécessairement poussés dans le sytême pur et simple de la Religion naturelle; c'est-à-dire, qu'envisageant toutes les religions positives comme inutiles, absurdes, funestes, ils les rejettent toutes sans distinction, et se dispensent d'en pratiquer aucune.

Jean-Jacques, il est vrai, distingue le cérémonial de la Religion de la Religion même, regarde le culte extérieur comme une pure affaire de po➡ lice, et dans le cas où il doive étre uniforme, ce qu'au reste il ne décide pas, semble trouver bon qu'on s'y conforme pour le bon ordre. Mais cette condescendance est manifestement illusoire; car, en toute Religion, le culte, intimement lié au dogme, n'en est, pour ainsi dire, que l'expression, en sorte que l'on ne peut raisonnablement nier l'un et pratiquer l'autre. Ainsi, dans la Religion catholique, le sacrifice de la messe suppose la présence réelle de Jésus-Christ, sa divinité, etc. La confession suppose dans les prêtres le pouvoir de lier et de délier, et de même des autres sacremens. Pour pratiquer un tel culte, il faut donc être, ou catholique de bonne foi, ou le plus vil des hypoerites et le plus lâche des imposteurs : point de mi

lieu. Or, Rousseau ne dira sûrement pas que le mensonge, l'imposture, l'hypocrisie sont compatibles avec la bonne morale. D'ailleurs, quand il le diroit, l'embarras ne seroit pas moindre; car le philosophe qui se montreroit extérieurement catholique contre sa conscience, contribuant par son exemple à conserver et à propager des dogmes qui, selon Rousseau, rendent l'homme orgueilleux, intolérant, cruel, et portent le fer et le feu par toute la terre, commettroit un des plus grands crimes que la justice de Dieu puisse punir.

Pour donner le change au lecteur, Rousseau feint de confondre le culte avec ce qui n'en est qu'un très-léger accessoire, la forme de l'habit du prétre, ses gestes, ses genuflexions. Mais cette méprise volontaire prouve seulement qu'il a pressenti l'objection, et qu'il lui a semblé plus facile de la dénaturer que d'y répondre.

Son systême, dégagé des contradictions hétérogènes dont il le surcharge, n'est donc que le pur déisme, espèce de secte qu'enfanta le socinianisme, vers le commencement du seizième siècle. Témoin des rapides progrès de la licence de penşer parmi les protestans, Mélanchthon prévoyoit avec effroi de plus grands désastres, et qu'aucune vérité, aucun dogme n'arrêteroit les innovateurs (1). Luther avoit donné l'impulsion fatale; (1) Lib. IV, Epist. xiv.

l'esprit humain étoit, pour ainsi dire, précipité; rien ne pouvoit désormais, ni le retenir, ni modérer så chute; il falloit qu'il allât toujours tombant, jusqu'à ce qu'il eût atteint le fond de l'abîme. Quoique le calviniste Viret soit le premier qui, dans un ouvrage publié en 1563, fasse mention de certains sectaires qui prenoient le nom de Déistes (1), leur origine remonte plus haut, et l'on voit dans les écrits des fondateurs du protestantisme, et surtout dans leurs lettres confidentielles, que la Réforme se sentoit dès-lors intérieurement travaillée de je ne sais quelle maladie terrible qui l'épouvantoit elle-même. De noirs pressentimens agitoient ses chefs: ils ne découvroient dans l'avenir que d'affreux combats d'opinions, et des guerres plus impitoyables que celles des Centaures. Bon Dieu, s'écrioit l'un d'eux, quelle tragédie verra la postérité (2)! Cependant la contagion se répandoit de proche en proche : la sainte liberté évangélique préparoit infatigablement la destruction de l'Evangile; car la liberté étoit alors le cri de ralliement des sectaires, comme elle l'a été depuis des factieux; et la liberté d'agir, qui a renversé l'ordre politique, n'étoit qu'une conséquence de la liberté de penser, qui avoit renversé l'ordre religieux.

(1) Voyez le Dictionnaire de Bayle, art. Viret. (2) Histoire des Variat. Liv. V, no. 31.

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