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pour le maintien de l'ordre social. Or, la Religion n'est utile qu'autant qu'on y croit. Il faut donc, ou que tous les membres de la société croient à la Religion, ou qu'elle ne soit nécessaire qu'à une partie des membres de la société. Et comme il y auroit contradiction à ce que ceux qui considèrent la Religion comme fausse, crussent à la Religion, on a été contraint d'établir en principe que la Religion n'est nécessaire qu'au peuple; principe destructif de toute religion, de l'aveu de Condorcet (*), et qui renferme plus d'inconséquences qu'on n'en pourroit relever en un volume.

Et d'abord, dans le langage philosophique, tout ce qui croit est peuple, fût-ce même le chef de l'Etat. Quand donc on soutient que la Religion p'est nécessaire qu'au peuple, c'est comme si l'on disoit qu'elle est nécessaire à tous les hommes, hors à ceux qui n'y croient pas; d'où il suit que si persouue n'y croyoit, elle ne seroit nécessaire à soune. A la vérité, il n'est pas aisé de comprendre comment, en ce cas, elle ne laisseroit pas d'être indispensable à la société : c'est un mystère dont,

per

(*) Toute religion qu'on se permet de défendre

» comme une croyance qu'il est utile de laisser au peuple, ne peut plus espérer qu'une agonie plus ou moins

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>> prolongée ».

Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain.

jusqu'à présent, il n'a pas plu à la philosophie de nous révéler le secret, et qui paroît destiné à exercer long-temps encore la foi de ses adeptes.

En second lieu, la Religion n'est nécessaire au peuple même, que parce qu'elle est la base des devoirs et la règle des mœurs. Or, le philosophe se croiroit-il indépendant sous ce double rapport, ou auroit-il trouvé à la morale un autre fondement? Je sais qu'on l'a cherché ce fondement, avec une ardeur égale à l'intérêt qu'on se figuroit avoir de le découvrir; mais je sais aussi ce que pensoit Rousseau de cette vaine recherche, qui n'aboutit jamais qu'à l'intérêt particulier. Philosophe lui-même, il connoissoit à fond ses confrères je puis donc avec confiance m'appuyer de son autorité sur un point où sûrement il n'est pas suspect de prévention. Vous qui, sur la foi de quelques sophistes, vous imaginez qu'il est beau de ne rien. croire, mais dont l'ame honnête attache encore du prix à la vertu, retenez bien ces paroles de l'auteur d'Emile : « Je n'entends pas que l'on puisse être » vertueux sans religion. J'ens long-temps cette >> opinion trompeuse, dont je suis bien désa» busé (1)». Sans descendre jusqu'aux argumens personnels, il est permis d'observer qu'en effet les annales philosophiques seroient loin de soutenir à

(1) Lettre sur les Spectacles.

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cet égard la plus légère comparaison avec les annales religieuses. Or, s'il est quelquefois honorable de se séparer du peuple, ce n'est pas du moins lorsqu'avec la Religion on lui abandonne encore la vertu.

Mais je veux un moment que l'intérêt bien entendu, ou tout autre motif de même genre, supplée, pour certains individus, les préceptes obligatoires d'une morale divine et la conscience; je veux enfin que la Religion ne soit réellement nécessaire qu'au peuple : à ce titre encore, elle doit être la plus sacrée des lois, puisqu'elle est la plus importante des institutions. L'attaquer, la ruiner dans l'esprit des hommes, c'est saper l'Etat par sa base, c'est se rendre coupable du crime énorme de lèze -société au premier chef. Or, parmi les philosophes qui aduettent la nécessité politique de la Religion, combien en est-il qui ue travaillent de tout leur pouvoir, chacun selon son caractère et ses moyens, les uns par des écrits, les autres par des discours, et tous par leurs exemples, à décréditer la Religion, et à propager l'incrédulité jusque dans les dernières classes du peuple? Qu'ils regardent en pitié, comme le sage de Gibbon, les erreurs du vulgaire, c'est la suite naturelle de leurs propres erreurs; mais, pour être conséquens, ils devroient, comme le même sage, pratiquer avec exactitude les cérémonies religieuses de leurs an

cétres, et fréquenter dévotement les temples de Dieu. Leur systême les y oblige; est-ce là cependant ce que nous voyons? Ne rougiroient-ils pas au contraire de partager en apparence les opinions du peuple, et même de dissimuler leur mépris pour les objets de son respect et de sa foi? Leur orgueil auroit trop à souffrir, s'ils pensoient qu'on pût les confondre avec la foule des croyans. Ils s'en séparent avec dédain, ils leur prodiguent les amers sarcasmes, l'insultante dérision; et, jaloux de montrer une supériorité d'esprit imaginaire, ils sacrifient de gaieté de cœur aux pitoyables illusions d'un amour propre aveugle, et l'intérêt sacré de l'Etat, et leurs principes même; en sorte que ne fussent-ils pas les plus insensés des hommes, ils en seroient encore, à les juger sur leur propre doctrine, les plus inconséquens et les plus crimi

nels.

Et quand ils renonceroient, en faveur du bien public, à leur misérable vanité philosophique; quand ils consentiroient à se mêler dans nos temples avec le vulgaire, il ne dépendroit pas d'eux, néanmoins, de déguiser assez leurs sentimens réels, pour qu'ils demeurassent inconnus à la multitude. Il n'est pas au pouvoir de l'homme de se contraindre à ce point. L'incrédule aura beau composer son extérieur, veiller sur ses paroles et sur ses mouvemens, jamais il ne ressemblera parfaite

ment au chrétien; et il lui ressemblera d'autant moins que son ame conservera plus de droiture et de délicatesse: il y a dans l'hypocrisie quelque chose de si vil, qu'elle répugne invinciblement à tous les cœurs honnêtes. Et comment le vague motif de l'utilité générale, qui ne le touche qu'indirectement, obtiendroit - il du philosophe ce que la foi, avec ses terreurs et ses espérances immortelles, n'obtient pas toujours du croyant? A ces considérations, ajoutez l'ennui, la gêne inséparable de pratiques qu'on juge ridicules, l'orgueil secrètement irrité, et ne doutez nullement que le mépris intérieur dont parle Gibbon, ne perce bientôt à travers le respect apparent. Dès lors renaissent les inconvéniens que j'exposois tout à l'heure. Le peuple s'apercevra qu'on le regarde en pitié, et ne tardera pas à rougir d'une religion qui l'humilie. Persuadé qu'elle est le partage de l'imbécillité et de l'ignorance, pensez-vous que ce partage le flatte extrêmement ?

Philosophes, parlez moins de la dignité de T'homme, ou respectez-la davantage. Quoi ! c'est au nom de la raison, c'est en exaltant avec emphase ses droits imprescriptibles, que vous condamnez froidement plus des trois quarts du genre humain à être la dupe de l'imposture! De grâce, montrez-vous plus généreux envers vos frères; laissez pénétrer jusqu'à eux quelques rayons de la

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