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D'ailleurs il ne faut pas s'imaginer qu'il soit donné à l'homme de changer d'un mot les idées de l'homme. On ne conçoit pas, il est vrai, qu'un peuple puisse subsister sans Religion; mais, si la Religion est fausse; ou autrement, si elle n'est qu'une invention de la politique, on conçoit encore moins qu'elle ait pu s'établir et se perpétuer chez tous les peuples sans exception. Il n'existe aucun exemple d'une erreur ainsi adoptée universellement, et surtout d'une erreur qui contrarie les passions. Cela est tellement contraire à la nature de l'homme, que je comprendrois plus aisément l'adoption générale d'une logique erronée : au moins ne trou-veroit-elle pas d'opposition dans les penchans du

cœur.

Remarquez en outre que, pendant que les lois varient presque à l'infini, de même que les formes de gouvernement, les dogmes fondamentaux de la Religion sont partout immuablement les mêmes. Reconnoissez-vous dans cette étonnante uniformité le caractère d'une invention de l'homme? L'erreur est arbitraire, et de là vient qu'en ce qu'elles ont de faux, les religions ne se ressemblent pas, et même se contredisent; mais il y a certains points qui leur sont communs à toutes, et j'en demande la raison; je demande qu'on m'explique ce merveilleux accord entre des inventeurs totalement inconnus les uns aux autres. Dira-t-on que

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la même erreur, avec la pensée de s'en servir pour l'établissement de l'ordre social, est, par hasard, tombée dans l'esprit des législateurs de tous les pays et de tous les siècles? Etrange hasard, à qui nous devons la société! Mais le hasard au fond n'explique rien, et certes on ne seroit pas reçu à rendre raison de la géométrie, en disant que hasard a fait que les inventeurs de cette science, chez les divers peuples, ont eu la même idée des grandeurs et des figures, et leur ont attribué les mêmes propriétés. La question revient donc toujours, et jamais on ne la résoudra, qu'en supposant une tradition générale plus ancienne que les législateurs, c'est-à-dire, une Religion antérieure aux institutions humaines et aux lois positives.

Tout nous ramène à cette conclusion, l'histoire, le raisonnement, et l'expérience que nous avons de nous-mêmes et de nos semblables. La Religion est si naturelle à l'homme, que peut-être n'est-il pas en lui de sentiment plus indestructible. Même lorsque son esprit le repousse, il y a encore dans son cœur quelque chose qui la lui rappelle; et cet instinct religieux qui se retrouve dans tous les hommes, est aussi le même dans tous les hommes (*). Entièrement à l'abri des

(*) Je n'avance rien ici que la philosophie ancienne

écarts de l'opinion, rien ne le dénature, rien ne l'altère. Le pauvre sauvage qui adore le GrandEsprit dans les solitudes du Nouveau-Monde, n'a pas sans doute une notion aussi nette et aussi étendue de la Divinité que Bossuet; mais il en a le même sentiment. Or, est-il au pouvoir des lois de créer des sentimens, et des sentimens universels,

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n'ait formellement avoué, et dont elle n'ait même tiré de bonne foi la conséquence. Il y a des vérités si puissantes, que peu d'esprits ont la triste force d'y résister. « Une preuve inébranlable de l'existence des dieux, dit » Cicéron, c'est qu'il n'est point de peuple si barbare, ni » d'homme si abruti, qui n'ait le sentiment de la Divinité. » Plusieurs, il est vrai, abusés par des coutumes vicieuses, » se forment d'indignes idées des dieux : tous cependant >> croient qu'il existe une puissance et une nature divine. Or, ce n'est point ici une opinion que les hommes se » soient communiquée par le discours, ou qu'ils soient » convenus d'adopter; une opinion affermie par les institutions et par les lois. En toutes choses, le consente» ment unanime des peuples doit être regardé comme la » loi même de la nature ». Firmissimum hoc afferri videtur, cur deos esse credamus, quòd nulla gens làm fera, nemo omnium tàm sit immanis, cujus mentem non imbuerit deorum opinio. Multi de diis prava sentiunt: id enim vitioso more effici solet : omnes tamen esse vim et naturam divinam arbitrantur. Nec verò id collocutio hominum, aut consensus efficit, non institutis opinio est confirmata, non legibus. Omni autem in re consensio omnium gentium, lex naturæ putanda est, Tuscul. lib. I.

invincibles? Que penseroit-on de celui qui viendroit nous dire : Le genre humain vivoit dispersé; chacun ne songeoit qu'à soi, n'aimoit n'aimoit que soi; entre le père et les enfans, il n'existoit aucun lien moral, aucune affection réciproque, aucune société durable; le législateur inventa l'amour paternel, la reconnoissance filiale, et la famille naquit?

Et quand on dévoreroit ces absurdités, il s'en présenteroit de nouvelles en foule. Otez la Religion, vous détruisez toute morale obligatoire; et en effet les philosophes anciens et modernes, qui ont attaqué les vérités fondamentales de la Religion, ont, en même temps, ébranlé les préceptes fondamentaux de la morale. Les inventeurs de la Religion sont donc aussi les inventeurs de la morale. Avant eux, il n'existoit ni juste ni injuste, ni crime ni vertu; rien n'étoit bon ni mal en soi; nourrir son vieux père ou l'égorger étoient des. actions indifférentes (*). Tout l'homme se sou

(*) Selon Hobbes, « tout homme, par la loi de nature, » a droit sur toutes choses et sur toutes personnes, de » sorte que la condition naturelle de l'homme est l'état » de guerre de tous contre chacun, et de chacun contre » tous la raison conseille à chaque homme d'essayer de » s'assujettir, soit par force, soit par ruse, le plus grand » nombre possible de ses semblables, aussi long-temps qu'il ne court aucun risque de la part d'un pouvoir

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lève à cette seule idée, et la conscience pousse un cri d'horreur. Mais que dis-je, la conscience? Si la morale n'a aucun fondement dans la nature des êtres si, comme l'on dit, et l'ont dû dire ceux qui ne voient dans la Religion qu'une institution politique, elle ne repose que sur des lois ou des volontés arbitraires, la conscience ellemême n'est qu'un préjugé, une création du législateur. Ainsi point de conscience, point de morale, point de religion, avant que ce législateur inconnu se fût avisé d'inventer tout cela. Et il se rencontre des hommes qui mettent leur orgueil à se persuader ces inconcevables folies! Au moins devroient-ils reconnoître qu'ils ont mauvaise grâce à taxer qui que ce soit de crédulité.

Ce n'est pas tout. Le systême que j'examine suppose, et la fausseté de la Religion, et sa nécessité

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supérieur au sien les lois civiles sont l'unique règle » du bien et du mal, du juste et de l'injuste, de ce qui est » honnête ou déshonnête; et antécédemment à ces lois, >> toutes les actions étoient indifférentes de leur nature ». Vid. de Cive, chap. vi; sect. XVIII, ch. x; section Ire. ch. xu, Leviathan, pag. 24, 25, 60, 61, 62, 63, 72. Il ne faut pas croire que Hobbes voulût établir directement ces maximes prodigieuses; mais il a vu qu'en bonne logique elles se déduisoient nécessairement de ses principes, et il a mieux aimé les admettre que d'abandonner ses principes. Une première erreur mène souvent bien loin les esprits qui raisonnent.

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