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A l'épiscopat français qui s'apprêtait à donner au pays le spectacle d'une Eglise échangeant gaiement sa dotation pour recouvrer son indépendance, fière de montrer ses initiatives et sa valeur civique, le pontife romain a donné des ordres, dictés par l'impie et fol espoir de tirer vengeance de la France républicaine et de son gouvernement.

Que ces perspectives, même si elles avaient eu quelque chance de se réaliser, aient provoqué peu d'enthousiasme auprès de la majorité des évêques et des fidèles est un fait qui devait être constaté, car il est tout à leur honneur.

La Séparation qui, loyalement acceptée, aurait pu devenir pour l'Eglise de France, une occasion de fournir la de sa preuve vitalité et de sa plasticité, est devenue, par suite de l'attitude de Pie X., un affront fait au Siège Apostolique par le Parlement d'abord, ratifié ensuite, d'un bout à l'autre du territoire, dans toutes les élections subséquentes.

Cette défaite sur le terrain politique n'a été que le prélude d'une série d'autres, moins extérieures et moins retentissantes, mais plus profondes et irrémédiables.

C'est, en effet, du côté de la pure et simple morale que les ruines s'entassent avec une effrayante rapidité. Et ici il ne s'agit pas de chutes individuelles qui, si regrettables qu'elles soient, ne sauraient entacher l'honneur d'une collectivité. Non; nous voulons parler du sans-gêne souverain avec lequel l'autorité romaine traite la simple vérité, des équivoques qu'elle crée, entretient et impose.

Alors que notre siècle a de plus en plus la passion et le culte de la franchise, les représentants de l'Eglise ont des habiletés qui sont pires que des mensonges.

L'accusation est trop grave pour ne pas être précisée: au lendemain de l'assemblée plénière de nos soixante et quatorze évêques (fin mai 1906), quelques hommes, parfaitement au courant, racontèrent ce qui s'y était passé : la grande majorité, après avoir adhéré sans discussion à la condamnation de principe, prononcée par le pape contre la loi de Séparation, avait non seulement exprimé son désir de faire l'essai loyal

de la loi, mais elle avait voté un règlement1 qui respectai à la fois les lois de l'Eglise et celles de l'Etat."

En agissant ainsi les évêques de France sentaient fort bier qu'ils n'allaient pas au devant des désirs du souverain pontife mais ils avaient cru de leur devoir, à cette heure historique d'exposer leurs vues.

La cohésion de l'épiscopat s'était révélée si compacte, l'act avait été si solennel que personne ne douta de son efficacité La fraction de la presse qui, depuis de longs mois, avait mi tout en œuvre pour intimider les évêques, leur dicter les plu folles résolutions, cessa brusquement le feu. Elle attendai inquiète et embarrassée, tant il lui semblait impossible que Rome, malgré son désir de pousser tout à l'extrême, ne tîn aucun compte d'avis qu'elle-même avait provoqués.

L'inattendu et l'invraisemblable se réalisèrent pourtant Le souverain pontife condamna tout essai de la loi d Séparation.

Mais cette condamnation, si grave qu'elle fût, n'était pas le fait essentiel de la bulle. Le geste du pape, qui, du hau de son infaillibilité, avait imposé ses vues à l'épiscopat, étai une conséquence, sinon normale, du moins compréhensible, d l'absolutisme pontifical. Ce nescio vos, jeté par le S. Sièg à la face de l'immense majorité de la nation française, aurai eu sa beauté hiératique, s'il était tombé du nouveau Sinaï net fier et franc.

Quelle ne dut pas être la douloureuse émotion des évêques lorsqu'ils virent que celui qui peut tout, au lieu de prendr la responsabilité de son acte, avait l'air de mettre simplemen son approbation pontificale aux résolutions de l'épiscopa français ?

Quelques hommes s'élevèrent çà et là pour rétablir la vérité on les traita d'imposteurs grotesques! Ils ne pouvaient rie

1 Etabli par l'archevêque de Besançon, Mgr. Fulbert-Petit, avec la coll boration de plusieurs autres prélats et de jurisconsultes catholiques, examir et discuté dans tous ses détails par l'assemblée générale.

2 Il fut voté par 56 voix contre 18.

prouver, avec pièces à l'appui, puisque, par la volonté du S. Siège, la réunion était tenue à un secret absolu.

Aux évêques qui eurent la naïveté, non pas de demander des explications, mais simplement de poser de timides questions, on daigna répondre que dans leurs résolutions sur l'essai de la loi ils avaient voté comme des enfants: dans sa haute sagesse, le S. Siège avait usé de miséricorde à leur égard, en tenant pour nulles et non avenues toutes leurs délibérations, sauf leur vote initial et théorique sur le principe même de la loi. Quels peuvent bien être les sentiments des évêques français devant des faits pareils? Il en est quelques-uns qui ne veulent pas voir, qui ne veulent pas se rappeler; le pape leur tient lieu t de conscience, ils réalisent l'idéal rêvé par Pie X., mais on peut se demander ce que deviendrait l'Eglise de France le jour où elle n'aurait à sa tête que des prélats de ce genre.

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Or, cet acte de Rome n'a rien d'exceptionnel.1 Dans ces

1 Il n'est pas possible de raconter ici par le menu toutes les circonstances récentes où le S. Siège a douloureusement étonné les catholiques français.

A chaque réunion de l'épiscopat, une presse qui se dit catholique et n'est qu'anti-républicaine, annonçait bruyamment que le gouvernement était résolu à interdire ces assemblées plénières et à organiser la persécution. On s'efforçait ainsi d'énerver l'opinion publique. Le ministère, qui n'avait pas songé à des mesures de ce genre, regarda cette agitation avec une parfaite tranquillité. En avait-il deviné le but? Ce qui est sûr, c'est que les organes inspirés par le cardinal Merry del Val espéraient bien que les enfants terribles de l'anticlericalisme prendraient la balle au bond et obtiendraient tout au moins une apparance de persécution.

Quelques mois plus tard les assemblées plénières de l'épiscopat étaient interdites... par le S. Siège. Inutile d'ajouter que cette mesure a été prise sournoisement, sans franchise et sans dignité. Pendant que l'épiscopat français, le cardinal-archevêque de Paris en tête, préparait une nouvelle réunion, la Corrispondenza Romana annonçait d'un ton bref que cette réunion n'était ni nécessaire, ni opportune. Un obscur Monsignore signifiait à l'épiscopat de France la conduite qu'il avait à tenir !

Comment ne comprend-on pas à Rome qu'il vaudrait mieux parler en termes moins hyperboliques des sentiments qu'on éprouve pour les évêques français et leur donner des preuves d'estime élémentaires?

Dans les premiers temps après la Séparation, Pie X. consulta les évêques de la région pour les sièges à pourvoir. On ne tint aucun compte de leurs propositions, et, quelques mois après, on supprima jusqu'à la formalité de la consultation.

Les catholiques du monde entier étaient persuadés que le premier acte du

dernières années, elle a refait plusieurs fois le même geste elle dicte sans cesse, par les intermédiaires les plus inattendus, des résolutions dont elle fait endosser la responsabilité à l'épiscopat.

Il est très sûr que la fameuse Circulaire de l'épiscopat français contre les écoles laïques n'a pas été écrite sous la dictée de Pie X., mais affirmer cela bruyamment, pour faire croire qu'elle est l'œuvre joyeuse et convaincue de ceux qui l'ont signée, est un procédé qui juge ceux qui l'emploient.

Et il en va de même pour les détails. Mgr. Batiffol, recteur de l'Institut catholique de Toulouse, n'a pas été écarté sur l'ordre de Pie X., puisqu'il n'y a aucun document qui le prouve dans les archives de cet établissement ou dans celles du Vatican. Mais, comment se fait-il donc que les évêques protecteurs l'aient éloigné, alors qu'ils étaient si contents de ses services?

On devine les souffrances morales de ceux pour lesquels le catholicisme n'est pas seulement l'obéissance aveugle à Rome.1

pape, au lendemain de la Séparation, serait de réorganiser en France le choix des évêques dans les formes prévues par le droit canonique. Il n'en fut rien, et c'est encore une congrégation, exclusivement composée d'ecclésiastiques étrangers à la France, qui prépare les nominations, et travaille sur des dossiers fournis par des agents secrets!

On a fait grand bruit dans toute l'Europe de la scène où le pape aurait embrassé le drapeau tricolore. Il aurait des moyens plus efficaces de manifester ses sentiments; par exemple, en comblant sans retard les vides qui se sont produits parmi les membres français du Sacré Collège. Aurait-il peur de vicier la prochaine élection pontificale par la présence du nombre habituel de cardinaux français ? Ce ne sont pourtant pas eux qui, au dernier conclave, ont attenté à la liberté de l'auguste assemblée. Pie X. s'est-il jamais représenté les clameurs vengeresses qui se seraient élevées de toute l'Eglise, si un cardinal français avait fait, au nom de son gouvernement, ce que le cardinal Puzyna fit de la part du sien ?

1 On demandera pourquoi les évêques ne se sont pas redressés, n'ont pas protesté contre la façon dont on les traite, contre les manifestations qu'on leur impose.

La question est fort naturelle. Cependant ceux qui la posent, s'ils veulent rester équitables, feraient bien de ne pas condamner trop vite.

Et tout d'abord à quoi bon se révolter? Le protestataire serait appelé à Rome. S'il refusait d'y aller, on le représenterait aussitôt dans le monde entier, comme n'ayant pas même osé se disculper devant le plus miséricordieux des

Avec la loi de Séparation, le S. Siège n'avait, en somme, subi qu'un échec politique. Par la bulle Gravissimo, il a lui-même porté atteinte à son prestige moral. Désormais ses meilleurs collaborateurs savent que le sens, en apparence évident, des encycliques, n'en est pas toujours le sens vrai.

Quoique les évêques aient dévoré leur tristesse en silence l'implacable vérité a fait son chemin. La mort de l'archevêque de Besançon a soulevé le voile, et on peut dire que ceux des prêtres de France qui veulent et savent lire ne peuvent plus ignorer ces faits. Des palais épiscopaux le désenchantement est descendu jusque dans les plus modestes presbytères, il se glisse dans l'âme de beaucoup de laïcs.

pères, comme un lâche et un traitre, abandonnant l'Eglise au plus fort de la bataille. S'il avait le courage de s'y rendre, malgré bien des précédents plutôt décourageants, il se verrait l'objet d'avanies, habilement calculées pour briser sa volonté ; menacé et flatté tour à tour, on lui ferait signer des procès-verbaux où il devinerait des pièges cachés; on lui offrirait tous les pardons possibles, mais à la condition qu'il se reconnût coupable d'erreurs qu'il ne commit jamais. Qu'on lise le mémoire de M. Henri Lasserre, le célèbre historien de NotreDame de Lourdes, et on verra par cet exemple contemporain ce que sont les procédés de la Curie.

Telles sont les conséquences personnelles d'un acte qui au lointain spectateur paraît tout naturel. Les conséquences ecclésiastiques ne seraient pas meilleures : ce serait abandonner un nouveau siège épiscopal, et fournir l'occasion à la bureaucratie romaine d'augmenter encore le nombre de ses créatures.

Enfin il y a une considération plus profonde encore, et plus angoissante: c'est qu'en se révoltant contre les abus de Rome, les évêques sembleraient, fatalement, se révolter contre Rome elle-même, contre le principe d'autorité. En disant la lamentable incapacité de celui qui, pour quelques jours encore, tient l'ostensoir en des mains trop humaines, l'élève et le présente aux quatre points cardinaux, ne risqueraient-ils pas d'atteindre l'hostie elle-même, de la faire tomber dans la boue, peut-être de la faire profaner? Ils s'arrêtent, tremblants, presqu'effrayés des pensées qu'ils ont tout à coup senti sourdre de leur cœur.

Credo unam sanctam catholicam et apostolicam Ecclesiam. Ils se répètent cette parole en laquelle est résumée l'âme de leur vie et de leur piété. Rome, le pape, sont des symboles précaires, chétifs, provisoires, nécessaires pourtant, et qui commandent le respect. Ils continuent donc à pleurer en silence, pendant que l'Eglise s'achemine, à travers bien des défaillances, vers la réalisation de quelques idées dont, la première, elle a pris conscience, et dont, malgré tout, elle a été la semeuse. Quelques-uns meurent d'amertume comme l'évêque de La Rochelle, Mgr. Le Camus, ou l'archevêque de Besançon ; d'autres essaient de se persuader que les voies de Dieu sont mystérieuses.

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