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Montrer avec quelque précision ce mouvement, en faire toucher du doigt la réalité, est impossible ici. Nous nous bornerons donc à regarder l'Eglise Catholique pour tâcher de marquer sa situation exacte. Et encore faudra-t-il réduire la question à l'étude de sa situation morale. Sa situation matérielle a été beaucoup étudiée à propos de la Séparation des Eglises et de l'Etat. Si peu brillante qu'elle soit, elle est loin d'avoir la gravité et la portée de sa situation morale.

Il y a un écueil que nous aurons beaucoup de peine à éviter : celui qui consiste à confondre l'Eglise avec le S. Siège. Comme les autres gouvernements, celui-ci oublie son rôle et agit comme s'il était l'Eglise elle-même. C'est peut-être très habile, parce qu'on en est arrivé, dans la pratique, à gratifier le pape et ses bureaux non seulement de l'infaillibilité doctrinale, mais d'un privilège magique qui les préserverait de toute

Cet aboutissement logique d'une évolution séculaire de l'autorité constitue un grand danger pour l'Eglise, car le jour où l'attention publique se portera avec suite de ce côté, le jour où elle verra ce que valent moralement les agents de ce gouvernement divin, ses moyens de séduction, ses procédés d'intimidation, il pourrait se faire qu'une vague d'indignation balayât tout ce qui se réclame de lui, et que, dans l'ardeur de l'indignation, on fit expier par l'Eglise entière les péchés d'une poignée d'hommes qui la dirigent, prétendent la représenter et, en somme, ne font autre chose que la terroriser et la trahir.

Il est donc très nécessaire que les lecteurs ne perdent pas de vue cette distinction entre l'Eglise et son gouvernement, même si, sans le vouloir, entraîné par le langage courant, nous

erreur.

bannières rouges de quelques sociétés positivistes. Grave, subitement ému, le prélat du haut du perron salua le mort. “Que ne donnerais-je pas," ditil ensuite à son compagnon, "pour ouvrir ces portes à deux battants, et faire comprendre à tout ce peuple qui passe, qu'il fait écho, plus souvent qu'il ne croit, à la psalmodie de nos pauvres chanoines décrépits.

Deposuit potentes de sede

Et exaltavit humiles." Plusieurs évêques ont estimé que l'Eglise n'a pas en France plus de quatre à cinq millions d'adhérents effectifs. Les séminaires se dépeuplent et le denier du culte baisse avec une rapidité qu'on n'avait pas prévue.

venions à oublier de la faire explicitement. Elle est d'autan plus importante que la crise morale qui nous intéresse surtout ici a été provoquée par l'autorité et ne cesse d’être ravivée

par elle.

a

Les troupes catholiques françaises ont été, au cours du xixe siècle, d'un loyalisme à toute épreuve. Elles adoraient le pape avec un élan si naïf, si sincère et si chaleureux qu'on y sentait vibrer des sentiments qui, par delà le pontife universel saluaient les idées dont on croyait voir en sa personne la réalisation provisoire.

A ce corps d’armée le plus discipliné et le plus enthou siaste de tous, on ne s'est pas borné à demander des efforts exceptionnels; les bureaux romains lui ont donné des ordres nombreux, contradictoires, mal chiffrés, qui laissent les généraux aussi perplexes que les soldats. Puis, comme cela ne suffisait pas, on s'est mis à attendre de cette armée des manifestations quotidiennes d'attachement et de dévotion Le pouvoir central a laissé voir qu'il redoutait des défections et a envoyé dans chaque région des gens qui ne valaient pas mieux que la mission dont on les a chargés, celle de surveiller les évêques.

Le résultat ne s'est pas fait attendre : ces invraisemblables subalternes ont semé l'épouvante, et le découragement gagne de proche en proche.

Il y a pourtant une petite fraction de l'armée catholique qui triomphe, c'est le corps des soldats mercenaires qu n'ont servi le pape qu'avec la volonté bien arrêtée de si servir de lui, dans les luttes politiques qui les préoccupen exclusivement.

On s'est étonné dans les milieux les plus divers de l'indiffé rence au milieu de laquelle a été mise en vigueur la loi d Séparation. Nous venons d'en donner l'explication.

i Ce qui augmente encore la difficulté du sujet c'est que la situatio religieuse de la France est très différente de celle des autres pays de l'Europe sauf l'Italie,

A l'épiscopat français qui s'apprêtait à donner au pays le spectacle d'une Eglise échangeant gaiement sa dotation pour recouvrer son indépendance, fière de montrer ses initiatives et sa valeur civique, le pontife romain a donné des ordres, dictés par l'impie et fol espoir de tirer vengeance de la France républicaine et de son gouvernement.

Que ces perspectives, même si elles avaient eu quelque chance de se réaliser, aient provoqué peu d'enthousiasme auprès de la majorité des évêques et des fidèles est un fait qui devait être constaté, car il est tout à leur honneur.

La Séparation qui, loyalement acceptée, aurait pu devenir pour l'Eglise de France, une occasion de fournir la

preuve de sa vitalité et de sa plasticité, est devenue, par suite de l'attitude de Pie X., un affront fait au Siège Apostolique par le Parlement d'abord, ratifié ensuite, d'un bout à l'autre du territoire, dans toutes les élections subsequentes.

Cette défaite sur le terrain politique n'a été que le prélude d'une série d'autres, moins extérieures et moins retentissantes, mais plus profondes et irrémédiables.

C'est, en effet, du côté de la pure et simple morale que les ruines s'entassent avec une effrayante rapidité. Et ici il ne s'agit pas de chutes individuelles qui, si regrettables qu'elles soient, ne sauraient entacher l'honneur d'une collectivité. Non; nous voulons parler du sans-gêne souverain avec lequel l'autorité romaine traite la simple vérité, des équivoques qu'elle crée, entretient et impose.

Alors que notre siècle a de plus en plus la passion et le culte de la franchise, les représentants de l'Eglise ont des habiletés qui sont pires que des mensonges.

L'accusation est trop grave pour ne pas être précisée: au lendemain de l'assemblée plénière de nos soixante et quatorze évêques (fin mai 1906), quelques hommes, parfaitement au courant, racontèrent ce qui s'y était passé : la grande majorité, après avoir adhéré sans discussion à la condamnation de principe, prononcée par le pape contre la loi de Séparation, avait non seulement exprimé son désir de faire l'essai loyal

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de la loi, mais elle avait voté un règlement qui respectait à la fois les lois de l'Eglise et celles de l'Etat.”

En agissant ainsi les évêques de France sentaient fort bien qu'ils n'allaient pas au devant des désirs du souverain pontife, mais ils avaient cru de leur devoir, à cette heure historique, d'exposer leurs vues.

La cohésion de l'épiscopat s'était révélée si compacte, l'acte avait été si solennel que personne ne douta de son efficacité. : La fraction de la presse qui, depuis de longs mois, avait mis tout en oeuvre pour intimider les évêques, leur dicter les plus folles résolutions, cessa brusquement le feu. Elle attendait: inquiète et embarrassée, tant il lui semblait impossible que Rome, malgré son désir de pousser tout à l'extrême, ne tînt aucun compte d'avis qu'elle-même avait provoqués.

L'inattendu et l'invraisemblable se réalisèrent pourtant Le souverain pontife condamna tout essai de la loi de Séparation.

Mais cette condamnation, si grave qu'elle fût, n'était pas le fait essentiel de la bulle. Le geste du pape, qui, du haut de son infaillibilité, avait imposé ses vues à l'épiscopat, était une conséquence, sinon normale, du moins compréhensible, de l'absolutisme pontifical. Ce nescio vos, jeté par le S. Siège à la face de l'immense majorité de la nation française, aurai eu sa beauté hiératique, s'il était tombé du nouveau Sinaï net fier et franc.

Quelle ne dut pas être la douloureuse émotion des évêques lorsqu'ils virent que celui qui peut tout, au lieu de prendre la responsabilité de son acte, avait l'air de mettre simplemen son approbation pontificale aux résolutions de l'épiscopa français ?

Quelques hommes s'élevèrent çà et là pour rétablir la vérité on les traita d'imposteurs grotesques ! Ils ne pouvaient riei

1 Etabli par l'archevêque de Besançon, Mgr. Fulbert-Petit, avec la colla* boration de plusieurs autres prélats et de jurisconsultes catholiques, examin. et discuté dans tous ses détails par l'assemblée générale.

2 Il fut voté par 56 voix contre 18.

prouver, avec pièces à l'appui, puisque, par la volonté du S. Siège, la réunion était tenue à un secret absolu.

Aux évêques qui eurent la naïveté, non pas de demander des explications, mais simplement de poser de timides questions, on daigna répondre que dans leurs résolutions sur l'essai de la loi ils avaient voté comme des enfants ; dans sa haute sagesse, le S. Siège avait usé de miséricorde à leur égard, en tenant pour nulles et non avenues toutes leurs délibérations, sauf leur vote initial et théorique sur le principe même de la loi.

Quels peuvent bien être les sentiments des évêques français devant des faits pareils ? Il en est quelques-uns qui ne veulent pas voir, qui ne veulent pas se rappeler ; le pape leur tient lieu de conscience, ils réalisent l'idéal rêvé par Pie X., mais on peut se demander ce que deviendrait l'Eglise de France le jour où elle n'aurait à sa tête que des prélats de ce genre.

Or, cet acte de Rome n'a rien d'exceptionnel. Dans ces

1 Il n'est pas possible de raconter ici par le menu toutes les circonstances récentes où le S. Siège a douloureusement étonné les catholiques français.

A chaque réunion de l'épiscopat, une presse qui se dit catholique et n'est qu'anti-républicaine, annonçait bruyamment que le gouvernement était résolu à interdire ces assemblées plénières et à organiser la persécution. s'efforçait ainsi d'énerver l'opinion publique. Le ministère, qui n'avait pas songé à des mesures de ce genre, regarda cette agitation avec une parfaite tranquillité. En avait-il deviné le but ? Ce qui est sûr, c'est que les organes inspirés par le cardinal Merry del Val espéraient bien que les enfants terribles de l'anticlericalisme prendraient la balle au bond et obtiendraient tout au moins une apparance de persécution.

Quelques mois plus tard les assemblées plénières de l'épiscopat étaient interdites . ... par le S. Siège. Inutile d'ajouter que cette mesure a été prise sournoisement, sans franchise et sans dignité. Pendant que l'épiscopat français, le cardinal-archevêque de Paris en tête, préparait une nouvelle réunion, la Corrispondenza Romana annonçait d'un ton bref que cette réunion n'était ni nécessaire, ni opportune. Un obscur Monsignore signifiait à l'épiscopat de France la conduite qu'il avait à tenir !

Comment ne comprend-on pas à Rome qu'il vaudrait mieux parler en termes moins hyperboliques des sentiments qu'on éprouve pour les évêques français et leur donner des preuves d'estime élémentaires ?

Dans les premiers temps après la Séparation, Pie X. consulta les évêques de la région pour les sièges à pourvoir. On ne tint aucun compte de leurs propositions, et, quelques mois après, on supprima jusqu'à la formalité de la consultation.

Les catholiques du monde entier étaient persuadés que le premier acte du

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