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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

CARACTÈRES distinctifs de l'homme, la pensée et la parole, qui lui assignent le premier rang parmi les êtres animés, sont sans contredit les preuves les plus irréfragables de sa céleste origine et en même temps de sa destination à communiquer avec ses semblables et à vivre en société ; mais si ; le plus beau, le plus noble attribut que nous ayons reçu de l'Auteur de la nature, est la faculté de manifester nos pensées par la parole, il faut convenir que la plus grande et la plus étonnante découverte dont puisse s'honorer l'esprit humain, est celle de l'écriture (1). Habitués à parler dès

(1) On a beaucoup disserté sur l'origine de l'écriture. (Nous ne parlons ici que de l'écriture alphabétique.) Les opinions des savans tant anciens que modernes, sont divisées entre trois peuples qui se disputeroient l'honneur de cette découverte. Cicéron, Jamblique, Tertullien, Plutarque, etc., défèrent cette gloire aux Egyptiens, dans la personne de Thoth, fils d'Hermès ou MercureTrismegiste. Pline et Diodore de Sicile regardent les Phéniciens comme les pères de l'écriture. Kircher s'est déclaré pour les Égyptiens; il a été vivement combattu par Renaudot. Buxtorf, Conringius, Spanheim, Meier, Morin, Bourguet et Court de Gebelin se sont prononcés ouvertement pour les Chaldéens. Mais selon Génebrard, Bellarmin, Huet, Montfaucon, Calmet, Renaudot, Jos, Scaliger, Grotius, Casaubon, Walton, Bochart, Vos

que nous quittons le sein maternel, habitués dès le bas âge à tracer des caractères sur le papier,

sius, Prideaux, Capelle, Simon, le président de Brosses, etc., etc., tout dépose exclusivement en faveur des Phéniciens. Nous partageons cette dernière opinion, en ce sens que par la Phénicie on ne doit pas seulement entendre les villes de la côte maritime de la Palestine, mais encore la Judée et le pays des Chananéens et des Hébreux, (car les Phéniçiens n'étoient primitivement que le reste des anciens Chananéens que les Israélites n'avoient point chassés). Ainsi, par écriture phénicienne ne pourroit-on pas entendre la samaritaine (avec laquelle elle a une telle analogie que Scaliger et Bochart ont donné le nom de samaritain et de phénicien au même alphabet)? Le samaritain dont nous parlons est l'ancien caractère hébreu qu'il ne faut pas confondre avec l'hébreu carré ou chaldéen, adopté depuis la captivité, suivant S. Jérôme, Saint Irénée et Saint Clément d'Alexandrie. Ce qui nous fait pencher vers ce sentiment, c'est que le monument historique le plus ancien, le plus certain, le plus authentique où il soit question de l'art d'écrire, est le Pentateuque; et l'on ne peut guère douter qu'il n'ait été écrit en vieux samaritain ou hébreu primitif. Entre une infinité de passages de ce livre antique, qui attestent que l'art de l'écriture existoit déjà, nous citerons les suivans tirés de l'Exode (cap. xvII, † 14): Dixit autem Dominus ad Moysen: SCRIBE hoc ob monimentum in libro; et plus loin (cap. xxiv, † 4): SCRIPSIT autem Moyses universos sermones Domini ; ailleurs (cap. xxxiv, 27): Dixit Dominus ad Moysen: SCRIBE tibi verba hæc, etc., etc. C'est Moyse lui-même (1571 avant J.-C. ), qui s'exprime ainsi; et Job, que, d'après son livre, on juge con temporain de Jacob (environ 1720 ans avant J.-C.), nous parle aussi de l'écriture: Quis mihi tribuat (dit-il, cap. xix, † 23 et 24), ut SCRIBANTUR sermones mei? Quis mihi det ut exarentur in LIBRO? Stylo ferreo, et plumbi laminá, vel celte SCULPANTUR in silice? Plus loin (cap. xxx1, † 35): Et librum SCRIBAT ipse qui judicat; etc. Ces passages ne prouvent-ils pas évidemment que l'écriture étoit déjà, dans ces temps reculés, très familière aux Hébreux? Ni Job, ni Moyse n'en parlent point comme d'une

nous ne réfléchissons pas assez sur les merveilles de la parole (1), et sur les merveilles plus grandes

découverte ; ils s'expriment à ce sujet aussi naturellement, aussi simplement que nous le ferions aujourd'hui, si nous parlions d'écrire une lettre, un discours, un livre. L'invention de l'écriture dont ils faisoient usage, étoit donc antérieure au temps où ils vivoient; et cette écriture devoit être celle du peuple dont ces écrivains faisoient partie. D'ailleurs, les Phéniciens étoient-ils antérieurs aux Hébreux, dont Abraham est la souche? Leur illustration vient du commerce, dont ils furent redevables au voisi nage de la mer; mais ce commerce ne fut florissaut qu'après Moyse. Nous ne parlerons ici ni de Cécrops, ni d'Agenor, ni de Cadmus, parce qu'ils passent moins pour avoir inventé l'art d'écrire, que pour l'avoir transféré aux Grecs. D'après ce que nous venous d'exposer, nous pensons que l'écriture a pris naissance dans le pays des Hébreux; que sans doute Joseph, puis ses frères, la connoissoient lorsqu'ils abordèrent en Égypte, et que l'échafaudage de l'origine des lettres attribué au fabuleux Thoth (qui n'est peut-être que Joseph ou Moyse), n'a été élevé par l'imagination des premiers historiens ou des poëtes, bien postérieurs à ces temps reculés, que sur la vérité historique des Livres saints, dont la tradition s'étoit altérée, défigurée, puis perdue chez les autres peuples.

(1) La Harpe dit : « Quand on pense à tout le chemin qu'il a fallu faire pour parvenir un langage régulier et raisonnable, malgré ses imperfections, la formation des langues paroît une des merveilles de l'esprit humain, que deux choses seules rendent concevable, le temps et la nécessité. » Cette pensée avoit été plus développée par Scaliger, long-temps auparavant: « Trois causes, dit-il, ont contribué d'abord à former, et par la suite à perfec tionner le langage, savoir: la nécessité, l'usage, et le désir de plaire. La nécessité produisit un ensemble de paroles très imparfaitement liées; l'usage, en les multipliant, leur donna plus d'expression, et c'est au désir de plaire qu'on dut ensuite ces tourpures, cet heureux assemblage de mots qui donnent aux phrases de l'élégance et de la grâce. »

encore de l'écriture. Cependant, quoi de plus digne de notre attention que ces deux objets, dont le dernier surtout est un prodige si inconcevable pour l'homme de la nature (1), et si admirable pour l'homme social par l'influence qu'il a eue sur les progrès de la civilisation! La pensée, plus

(1) L'anecdote suivante, tirée du Voyage de John Crevecœur dans la Haute Pensylvanie, Paris, 1801, 3 vol. in-8o, n'est pas étrangère à notre sujet : « Un jeune guerrier sauvage, ayant un jour conté l'histoire de sa nation à un habitant des Etats-Unis, celui-ci prit d'abord quelques notes, et se rappelant ensuite les circonstances que le Sauvage lui avoit racontées, il les écrivit, et lut cette histoire à celui dont il la tenoit. L'étonnement du Sauvage fut extrême. Quoi! dit-il, avec une plume tenue par trois doigts, tu peux dire à mes paroles : Arrête-toi sur cette écorce; et elles s'y arrêtent! Toutes les fois qu'il t'en prendra fantaisie, tu pourras lui dire encore : Répète-moi ces pensées; et elle te les répétera! Pourquoi avec nos dix doigts n'en pouvons-nous pas faire autant? Comment ces ligues mortes, comme celles que nos enfans tracent sur le sable, peuvent-elles redire les paroles vivantes d'un homme absent ou parti pour l'Ouest ? C'est le faire parler sans qu'il ouvre la bouche, et même après que ses yeux ont cessé de voir le soleil de la vie. Que distinguent-ils donc, les tiens, dans ces petites figures noires que tu traces avec tant de rapidité? Pourroieut-ils voir quelque chose là où les miens, qui valent bien les tiens, ne voient cependant rien? Comment peuvent-elles émettre un son, une idée? Auroient-elles donc une ame, une voix? Ou bien, est-ce toi qui leur prête la tienne? Mais peut-être parlentelles à tes oreilles? Voyons!..... Je ne les entends pas; les entends-tu, toi ? — Non. — Eh bien ! si elles sont aussi muettes pour toi que pour moi, comment as-tu donc fait pour répéter ce que je t'avois dit? etc., etc., etc. » Le Voyage de Crevecœur est un cadre ingénieux dans lequel il a peint au naturel les mœurs des Sauvages d'Oneida. Cet ouvrage est une espèce de suite à ses Lettres d'un Cultivateur américain, Paris, 1787, 3 vol. in-8°、~

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fugitive encore que la parole, et la parole ellemême qui n'est qu'un son qui frappe l'air et disparoît aussitôt, acquièrent l'une et l'autre par l'écriture une existence permanente qui leur permet de franchir, sans s'altérer, l'espace des siècles même les plus barbares et des lieux les plus reculés. Oui, cet art étonnant qui, moyennant un burin ou style, un roseau, une plume, rend une substance brute (1) la dépositaire et l'inter

(1) Chez les anciens comme chez les modernes, la pierre, la brique, le marbre, l'or, l'argent, le bronze, le plomb, le bois, le parchemin, etc., ont reçu des caractères d'écriture; mais le papyrus a été remplacé chez les modernes d'abord par le papier de coton, puis par celui de chiffons.

Quant à l'écriture courante, les anciens, et particulièrement les Romains, avoient cinq sortes de matières sur lesquelles ils la traçoient. Ils écrivoient journellement Io sur des tablettes enduites de cire, avec un style pointu à l'une des extrémités pour tracer les lettres, et applati de l'autre pour effacer les mots quand on le jugeoit à propos; d'où le sæpè stylum vertas d'Horace, tournez souvent le style, c'est-à-dire, effacez, corrigez souvent; II° sur du papier d'Egypte, papyrus, composé des pellicules d'une plante de ce nom qui croissoit sur le Nil. En collant ces pellicules deux à deux l'une contre l'autre en sens contraire, on en formoit des feuilles de toute dimension et de toute qualité, depuis l'augusta regia ou macrocolla, papier fin de deux pieds de long, jusqu'à l'emporetica ou scabra bibulaque, papier d'enveloppe. C'est du temps d'Alexandre qu'on a découvert le papyrus, et il a cessé d'être en usage vers le viie siècle, parce que la conquête d'Alexandrie par les Sarrasins, au commencement du viie siècle, fut cause que l'importation du papyrus d'Egypte en Europe cessa presqu'entièrement; III° sur des écorces d'arbres, principalement du hêtre ou du tilleul, non pas les écorces extérieures, mais les intérieures, çe qu'on nomme le liber : elles se préparoient à-peu-près comme

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