Obrazy na stronie
PDF
ePub

<< peut m'abattre ; dans la volonté de Dieu, je me retirerai de la « cour, sire, avec le regret de vous avoir déplu, et avec l'espérance « de mener une vie plus tranquille. » Louis XIV parut satisfait de cette explication.

M. de Beauvilliers fit plus encore. Fénelon, en partant pour Cambrai, écrivit1 à cet ami si cher et si fidèle, une lettre où se peignoient la candeur de son âme et le noble courage qu'il opposoit au malheur. M. de Beauvilliers fit imprimer sur-le-champ cette lettre, la présenta lui-même au roi, et la répandit à la cour et dans le public. Les courtisans ne pouvoient comprendre comment on s'exposoit à compromettre son rang, ses honneurs et sa fortune, pour se montrer fidèle à un ami disgrâcié.

Plus M. de Beauvilliers montroit de générosité pour défendre son ami malheureux, plus Fénelon sembloit s'opposer lui-même à cet excès de délicatesse. Il se trouvoit bien plus fort lorsqu'il n'avoit à combattre que ses adversaires; mais tout son courage expiroit à la pensée et à la crainte d'associer à ses malheurs le plus vertueux de ses amis.

XXXII.

Lettre de Fénelon à M. de Beauvilliers, 12 août 1697 (Manuscrits).

« On ne peut être plus sensible que je le suis, mon bon duc, à << la peine que je vous cause. Le seul désir de vous en soulager << suffiroit pour me faire faire les choses les plus amères et les plus << humiliantes. Mais vous savez qu'on a refusé de me laisser expli«< quer, et on veut absolument m'imputer des erreurs que je déteste << autant que ceux qui me les imputent..... Mes principaux adver<< saires crient 1, me déchirent et abusent de l'autorité qu'ils ont. « J'ai affaire à des gens passionnés, et à quelques personnes de << bonne intention qui se sont livrées à ceux qui agissent par passion. « Je tâcherai de faire ici mon devoir, quoique les opprobres dont «on m'a couvert troublent tous les biens que je pourrois faire dans << un pays où les besoins sont infinis. Je ne respire, Dieu merci, « que sincérité et soumission sans réserve; après avoir représenté << au Pape toutes mes raisons, je n'aurai qu'à me taire et à obéir. « On ne me verra pas, comme d'autres l'ont fait, chercher des dis<< tinctions pour éluder les censures de Rome. Nous n'aurions pas eu << besoin d'y recourir si on avoit agi avec moi avec l'équité, la bonne

1 26 août.

<< foi et la charité chrétienne qu'on doit à un confrère. Je prie Dieu << qu'il me détrompe, si je me suis trompé; et si je ne le suis pas, qu'il détrompe ceux qui se sont trop confiés à des personnes pas«<sionnées. Ce qui m'afflige le plus, est de déplaire au Roi, et de « vous exposer à ne plus lui être si agréable. Sacrifiez-moi, et « soyez persuadé que mes intérêts ne me sont rien en comparaison « des vôtres. Si mes prières étoient bonnes, vous sentiriez bientôt « la paix, la confiance et la consolation dont vous avez besoin dans « votre place ».

Les inquiétudes de l'amitié avoient seules le pouvoir de troubler le calme de cette âme sensible et résignée; mais les grandes pensées de la religion lui rendoient bientôt toute la force dont il avoit besoin pour lutter contre les violentes contradictions qui lui étoient encore réservées. C'est dans cette disposition qu'il écrivoit à madame de Gamaches, peu de jours après son arrivée à Cambrai : « Encore un peu 1, et le songe trompeur de cette vie va se dissiper, «<et nous serons tous réunis à jamais dans le royaume de la vérité, << où il n'y a plus ni erreur, ni division, ni scandale; nous n'y respirerons que l'amour de Dieu; sa paix éternelle sera la nôtre. En << attendant, souffrons, taisons-nous, laissons-nous fouler aux pieds, << portant l'opprobre de Jésus-Christ: trop heureux si notre igno<< minie sert à sa gloire ».

Louis XIV avoit refusé à Fénelon la permission d'aller à Rome, et Fénelon fut réduit à la nécessité et à l'embarras de trouver un défenseur qui pût le suppléer dans l'instruction d'une cause que les circonstances rendoient aussi difficile que délicate. La Providence daigna venir à son secours. Il avoit besoin d'un homme qui réunît toute la considération de la vertu et de la piété, à la science théologique et à une connoissance particulière de tous les détails de cette controverse; d'un homme qui fût doué en même temps de cet esprit de sagesse et de conduite qui rendit son zèle utile, sans l'exposer à offrir le plus léger prétexte à la malveillance de ses ennemis. Fénelon eut le bonheur de trouver toutes ces qualités si rares réu– nies dans un parent, dans un ami pénétré pour lui de la plus tendre vénération et d'un dévouement à toute épreuve; car telle fut sa glorieuse destinée, que sa disgrâce et ses malheurs ne servirent qu'à resserrer plus étroitement les liens qui l'avoient uni à ses amis. Cet ami, ce parent étoit l'abbé de CHANTERAC 2, homme sage, pacifique

1 Le 20 août 1697 (Manuscrits).

2 N. De Lacropte de Chanterac, d'une ancienne maison de Périgord, proche parent de la mère de Fénelon.

instruit et vertueux. C'est le témoignage que lui rend un partisan zélé de Bossuet, dans un manuscrit dont nous empruntons les expressions 1.

XXXIII.

Fénelon envoie l'abbé de Chanterac à Rome.

La correspondance de l'abbé de Chanterac avec Fénelon, dont nous avons les originaux entre les mains, peut être présentée comme un véritable modèle de la sage modération que l'on doit toujours observer dans les controverses ecclésiastiques; elle offre surtout un contraste remarquable avec celle de l'abbé Bossuet, neveu de l'évêque de Meaux.

Une circonstance particulière, étrangère au livre des Maximes, avoit conduit à Rome, depuis plus d'un an, cet abbé Bossuet et l'abbé Phélippeaux. Ce dernier étoit un habile théologien dont Bossuet estimoit la capacité, et qu'il crut devoir donner pour conseil et pour coopérateur à son neveu. Ils étoient l'un et l'autre sur le point de revenir en France, lorsque Fénelon déféra lui-même le jugement de son livre au Saint-Siége. Bossuet se hâta de suspendre leur retour, et les chargea de poursuivre à Rome la condamnation du livre de Fénelon. Ce fut un véritable malheur pour l'évêque de Meaux comme pour l'archevêque de Cambrai. Il suffit, en effet, de lire les lettres de l'abbé Bossuet 2, et la Relation du Quiétisme de l'abbé Phélippeaux, pour juger combien ces deux ecclésiastiques contribuèrent, par leur emportement et leurs relations virulentes, à aigrir Bossuet contre Fénelon 3.

XXXIV.

Le cardinal de Bouillon ambassadeur à Rome.

Le cardinal de Bouillon venoit d'être nommé ambassadeur de France à Rome. On ne doit point juger de lui par les portraits odieux qu'en ont fait, dans leurs écrits, l'abbé Bossuet et l'abbé Phélippeaux. Il eût été, à la vérité, porté à favoriser Fénelon; mais ce ne fut jamais aux dépens de la fidélité qu'il devoit au prince qui l'avoit

1 Manuscrits de Pirot

2

Voyez les tomes XIII, XIV et xv de l'édition des OEuvres de Bossuet, de dom Déforis.

3

Voyez les Pièces justificatives du livre troisième, no vi.

[ocr errors][ocr errors]

honoré de sa confiance, et chargé de ses ordres. Il regrettoit sans doute que Fénelon se fût imprudemment engagé dans des discussions plus subtiles qu'intéressantes, et eût ainsi trahi la fortune qui sembloit l'appeler à gouverner l'Eglise et la Cour. Il pouvoit bien ne pas attacher la même importance que Bossuet à l'affaire du quiétisme, et penser comme le chancelier d'Aguesseau et beaucoup d'autres, qu'elle n'étoit pas moins une intrigue de Cour, qu'une querelle de religion; mais il n'en est pas moins vrai que toute sa conduite, en cette affaire, fut celle d'un homme aussi délicat que généreux en amitié, et d'un ambassadeur attentif à se conformer aux intentions de son maître. Il ne dissumula jamais à Fénelon que son livre seroit condamné à Rome, s'il étoit soumis à un jugement rigoureux; il ne s'attacha qu'à tenter d'adoucir tout ce que cette condamnation pouvoit avoir de trop amer et de trop flétrissant pour un prélat dont il honoroit la piété et les talents, et dont il chérissoit tendrement les vertus et les qualités. Un sentiment et un vœu aussi estimables pouvoient très-bien se concilier avec ses devoirs et ses fonctions de ministre du Roi.

Fénelon, dans sa lettre à M. de Beauvilliers 2, avoit annoncé de la manière la plus précisé et la plus formelle « que, si le Pape con<«< damnoit son livre, il seroit le premier à le condamner, et à faire << un mandement pour en défendre la lecture dans le diocèse de << Cambrai. » Il avoit, à la vérité, ajouté « qu'il demanderoit seu<«<lement au Pape qu'il eût la bonté de lui marquer précisément les << endroits qu'il auroit condamnés, et les sens sur lesquels porteroit <«sa condamnation, afin que sa souscription fût sans réserve, et <«< qu'il ne courût aucun risque ni de défendre, ni d'excuser, ni de to«<lérer le sens condamné. » Il étoit assez naturel de n'apercevoir dans ces expressions que la disposition humble et religieuse d'un évêque qui ne vouloit pas même conserver au fond de sa pensée l'ombre d'un sentiment équivoque. Mais Bossuet crut y voir de la part de Fénelon « l'intention d'éluder une condamnation générale, << et de préparer des défaites à son obéissance. Il l'accusoit de vou<«<loir faire renaitre les raffinements qui avoient fatigué les siècles passés, et qui fatiguoient encore le siècle où il écrivoit. »> Ce sont ses termes dans sa lettre sous le nom d'un docteur.

Ce premier acte d'hostilité, par lequel Bossuet se déclaroit ouvertement la partie de Fénelon, engagea ce combat interminable d'écrits qui se succédèrent avec la plus étonnante rapidité. Mais s'ils ajou

1 OEuvres du chancelier d'Aguesseau, tome XIII.

2 Celle du 3 août 1697.

rèrent à l'opinion que l'on avoit déjà des talents, du génie et de la fécondité de ces deux grands évêques, ils affligèrent sincèrement les amis de la religion et de l'Eglise. Ils auroient pu même produire les effets les plus déplorables, si un profond amour de la religion et de l'Eglise n'avoit pas toujours prévalu sur toute autre considération dans le cœur de Bossuet et de Fénelon.

Fénelon se hâta de faire tomber une accusation à laquelle il étoit loin de s'attendre, parce que la pensée en étoit loin de son cœur. Il rappelle dans sa seconde lettre à M. de Beauvilliers', « qu'il n'a << point dit qu'il ne se soumettroit à la condamnation du Pape, qu'en << cas que l'on exprimât dans sa condamnation les propositions sur <«<lesquelles le livre seroit condamné ; que sa promesse de souscrire « et de faire un mandement en conformité, étoit absolue et sans << restriction...... Que plus il vouloit sincèrement obéir, plus il dési<< roit savoir précisément en quoi consiste toute l'étendue de l'o«<béissance; que plus il craignoit de se tromper, ou de ne sortir pas << de l'erreur, plus il demandoit qu'on ne laissât point errer, et qu'on << lui dit tout ce qu'il falloit croire ou rejeter pour éviter l'erreur............ Qu'en supposant que le Pape, par une lumière supérieure à la << sienne, prononçât une simple condamnation générale, il renou<< veloit l'engagement qu'il avoit déjà pris de souscrire, dans la forme << la plus solennelle, à la censure de son livre, sans équivoque, ni « même restriction mentale. » Une déclaration si nette et si tranchante ne permit plus de reproduire les soupçons qu'on avoit prétendu élever sur la sincérité des promesses de Fénelon.

Ce n'est pas seulement dans des écrits destinés au public, c'est dans ses lettres les plus secrètes, c'est dans sa correspondance avec l'abbé de Chanterac qu'on retrouve la même candeur et la même sincérité 2. «< Ne regardez que Dieu dans sa cause, mon cher abbé; « je dis souvent à Dieu, comme Mardochée: Seigneur, tout vous « est connu, et vous savez que ce que j'ai fait, n'est ni par orgueil, « ni par mépris, ni par un secret désir de gloire. Quand Dieu << sera content, nous devons l'être, quelque humiliation qui nous << vienne de lui. »>

XXXV.

Instruction pastorale de Fénelon, du 15 septembre 1697.

A peine Fénelon fut-il arrivé à Cambrai, qu'il publia une instruc

1 Elle fut imprimée sous le titre de seconde Lettre à un ami.

2 Lettre du 3 septembre 1697 (Manuscrits).

VII.

16

« PoprzedniaDalej »